

Alors que les chasseurs ont pu bénéficier d’une dérogation pour « actions de régulation » lors du deuxième confinement, Superfail revient sur la multiplication des sangliers en France ces dernières années. Pourquoi, malgré un abattage massif, ces grands gibiers restent-il si nombreux ?
- Fabrice Nicolino Journaliste spécialiste de l'écologie et essayiste
Jadis les sangliers étaient un met rare, goûté notamment par l’un de nos héros nationaux, Obélix. Mais aujourd’hui, beaucoup s’inquiètent de leur prolifération en Europe et plus spécifiquement, sur notre territoire national. Pourquoi leur présence pose-t-elle problème et comment expliquer que les sangliers soient si nombreux ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes tournés vers Fabrice Nicolino, journaliste à Charlie Hebdo et initiateur de l’Appel des coquelicots pour l’interdiction des pesticides, lancé en 2018.
Les problèmes liés à la présence des sangliers
Si la présence trop importante de sangliers dans nos espaces naturels inquiète, c’est d’abord parce que ces mammifères sont vecteurs de maladies mortelles pour d’autres espèces : ils ont notamment participé au déploiement de l’épidémie de grippe porcine en 2019, menaçant des élevages entiers de porcs domestiques. Véhicules particulièrement efficaces de l’infection, la multiplication des sangliers accroît ainsi mécaniquement le risque pesant sur notre agriculture.
Or la prolifération des sangliers sur notre territoire national est bien réelle. Alors que dans les années 70, l’on tuait environ 60 000 sangliers annuellement, les derniers chiffres indiquent que le nombre de sangliers tués par an s’élève aux alentours de 700 000, soit environ dix fois plus.
En plus de représenter un danger dans le cadre de la propagation de maladies infectieuses, les sangliers peuvent également s’avérer dangereux pour l’être-humain dans certaines situations : ils sont en effet susceptibles de charger s’ils se sentent menacés et sont à l’origine de nombreux accidents de la route en France :
On pense qu’il y a environ en France actuellement, 60 000 accidents sur la route qui sont liés à la présence de ce que l’on appelle le grand gibier. Sur ces 60 000 accidents annuels, plus de la moitié sont liés directement à la présence de sangliers. (…). Cela veut dire que ce sont des dizaines de morts humaines liées à la présence de sangliers sur la route.
Enfin, les passages des sangliers dévastent chaque année de nombreuses exploitations agricoles, désespérant une grande partie des agriculteurs.
Les raisons de leur multiplication
A la fin des années 50 en France, l’on assiste à un phénomène important de « déprise agricole » : le pays connaît un exode rural massif et les agriculteurs délaissent des territoires naturels entiers. Les chasseurs se retrouvent alors face à des espaces particulièrement vastes et décident d’accroître la présence de sangliers pour agrémenter leurs parties de chasse.
Pour augmenter le nombre de sangliers, des élevages de sangliers sont créés et la pratique de l'agrainage est généralisée, ce qui permet de les nourrir artificiellement. La conjonction de ces initiatives a ainsi permis d’augmenter considérablement le nombre de sangliers sur notre territoire :
Les sangliers prolifèrent parce que des hommes ont voulu qu’ils prolifèrent. Évidemment, ils croyaient, dans leur sentiment de toute puissance qu’ils sauraient arrêter l’affaire en route, mais ils n’ont pas pu.
Le silence politique
Selon le journaliste Fabrice Nicolino, les raisons qui expliquent le silence politique sur ce sujet sont liées au pouvoir électoral des chasseurs. En effet, les chasseurs en France représentent un électorat particulièrement important, et sont convoités par tous les partis sans distinction idéologique :
Le pouvoir des chasseurs est tout à fait extravagant dans ce pays. Le potentiel électoral du monde de la chasse est convoité tantôt par l’extrême droite tantôt par le parti communiste – là, je parle du passé – et aujourd’hui par Macron qui copine comme vous le savez avec les lobbyistes de la chasse.
Pour éviter de voir perdurer cette situation, des mesures radicales doivent être prises. Pour Fabrice Nicolino, il est ainsi urgent de revoir la totalité du dispositif d’occupation des espaces naturels en France, en convoquant les chasseurs, les paysans et les protecteurs des animaux lors d’un grand rendez-vous national. Mais selon le journaliste, lorsque l'on connaît la puissance du lobby de la chasse en France aujourd'hui, une telle résolution politique reste encore de l'ordre de l'utopie.
L'équipe
- Production
- Réalisation
- Collaboration