Pire que l'enfer, l'école à la maison

Le dispositif "Ma Classe à la Maison" du CNED et les Espaces Numériques de Travail étaient ce mardi 6 avril 2021 indisponibles pour de nombreux élèves et enseignants en France
Le dispositif "Ma Classe à la Maison" du CNED et les Espaces Numériques de Travail étaient ce mardi 6 avril 2021 indisponibles pour de nombreux élèves et enseignants en France ©Getty -  Jamie Grill
Le dispositif "Ma Classe à la Maison" du CNED et les Espaces Numériques de Travail étaient ce mardi 6 avril 2021 indisponibles pour de nombreux élèves et enseignants en France ©Getty - Jamie Grill
Le dispositif "Ma Classe à la Maison" du CNED et les Espaces Numériques de Travail étaient ce mardi 6 avril 2021 indisponibles pour de nombreux élèves et enseignants en France ©Getty - Jamie Grill
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Alors que l’enseignement à distance se révèle déjà être un véritable casse-tête pour de nombreuses familles, les dysfonctionnements des plateformes numériques mises à disposition par l’Education nationale (ENT et CNED) en début de semaine n'ont fait qu'accroître ces difficultés.

Avec
  • Thierry Berthier Maître de conférences en mathématiques à l’Université de Limoges et chercheur en cyberdéfense et cybersécurité
  • Bruno Devauchelle Professeur associé à l'Université de Poitiers, membre du laboratoire de recherche TECHNE

Déjà l’école, quand vous étiez enfant, ça n’était pas rigolo. Mais l’école à la maison restera probablement comme l’un des moments les plus compliqués de cette vie au temps du coronavirus. Une époque compliquée pour les enfants et pour les parents avec pour seul bénéfice celui de rappeler que l’on ne s’improvise pas enseignant. Mais quand, en plus, les outils informatiques censés rendre cette école à la maison possible ne fonctionnent pas, alors là c’est vraiment l’enfer. 

Mais ce qui peut paraître plus inquiétant encore, c’est que même lorsqu’elle fonctionne sur le plan technique, l'école à la maison demeure compliquée à faire sur le plan pédagogique. Pour comprendre les causes d’un tel casse-tête, nous nous sommes rapprochés de Bruno Devauchelle, il est professeur à l’université de Poitiers, membre du laboratoire de recherche Techné et auteur d'Éduquer avec le numérique aux éditions ESF. 

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Les entraves à l’enseignement à distance 

Pour Bruno Devauchelle, même si les outils numériques mis en place par le gouvernement proposent des contenus intéressants, l’accompagnement d’un adulte reste indispensable pour guider l’élève dans son apprentissage. 

La plupart de ces outils ne peuvent être utilisés que s’ils sont situés dans un contexte dans lequel il y a un accompagnement dans lequel il y a une cohérence, dans lequel il y a une progression.  Bruno Devauchelle, spécialiste de l'éducation numérique

Bruno Devauchelle déplore ainsi le fait que les parents soient peu formés pour accompagner leurs enfants dans cet apprentissage à distance. Dans l’idéal, les enseignants devraient pouvoir adresser aux parents des supports de cours spécifiques pour rendre efficace cet accompagnement. Mais à défaut de temps et d’investissement sur le long terme du Ministère de l’éducation nationale dans la formation des familles, celles-ci se retrouvent souvent désœuvrées face aux difficultés liées à l’enseignement à distance. 

Il est temps que l’éducation nationale fasse son agiornamento, par rapport au modèle présentiel complet pour développer des modèles plus souples – on va parler aujourd’hui de modèle hybride – pour faire en sorte qu’apprendre ne soit plus seulement le monopole de l’école. 

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Les dysfonctionnements des plateformes l’éducation nationale 

Mais en plus des problèmes pédagogiques inhérents à l’enseignement à distance, ces difficultés sont largement accentuées lorsque les plateformes numériques dysfonctionnent. C’était le cas lors du premier confinement en mars 2020 mais à l’époque, l’indulgence était de mise : le caractère inédit de la situation rendait prévisibles les difficultés techniques. Mais ce mardi 6 avril, à la surprise des élèves, de leurs parents et de leurs enseignants, les Espaces Numériques de Travail (ENT), et le dispositif « Ma Classe à la Maison » hébergé par le site du CNED étaient inaccessibles pour des milliers d’élèves en France. Thierry Berthier, chercheur en cyberdéfense et en cyber sécurité, nous explique les causes possibles de ces dysfonctionnements. 

Le premier scénario, qui expliquerait les défaillances du CNED et de l’ENT, impliquerait un mauvais dimensionnement de l’infrastructure des sites, qui n’auraient pas été conçus pour accueillir les pics de trafic observés. 

La deuxième hypothèse, qui expliquerait les défaillances de certains Espaces Numériques de Travail, met en cause un opérateur privé, OVH Cloud, qui souffrirait des conséquences de l’incendie de son centre de stockage de données à Strasbourg. Mais cette accusation a été immédiatement démentie par le PDG d’OVH Cloud. 

Enfin, pour expliquer l’indisponibilité du service « Ma Classe à la Maison » du site du CNED ce mardi 6 avril, le ministre de l’éducation nationale a évoqué des cyber attaques de type DDoS, venues de l’étranger. Pour le spécialiste Thierry Berthier, cette dernière hypothèse est plausible, ce type d’attaque s’étant largement généralisé ces dernières années. Le principe de ces attaques DDoS aussi appelées attaques par déni de service est simple : des groupes de hackers font tomber un service en recrutant un nombre élevé d'objets connectés dits "zombifiés" pour créer un pic de trafic sur le site et le rendre indisponible. 

Ces attaques font l’objet d’un véritable business aujourd’hui sur internet : des groupes cybercriminels partout dans le monde proposent de mener des attaques DDoS pour des sommes peu élevées sur certains forums :

« Ils ont même tendance à casser les prix depuis un an. C’est à peu près 20 dollars les deux heures aujourd’hui, pour une petite attaque. » Thierry Berthier, chercheur en cyber sécurité 

Pour le chercheur en cyber sécurité, il est nécessaire de prendre en compte ce risque dans le futur et de proposer aux élèves des alternatives numériques sur lesquelles se replier en cas d’attaques. 

On va être obligés de vivre avec ce type d’attaques et une complexité montante dans les attaques. Il va falloir apprendre à créer de la résilience dans tout nos services et y compris au niveau de l’éducation nationale, parce qu’évidemment c’est très important qu’il puisse y avoir une continuité de l’éducation.    

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