Le superfail qui nous intéresse cette semaine concerne la France et sa capacité à innover, ou plutôt à innover jusqu’au bout. Si internet apparaît aujourd'hui largement dominé par les entreprises américaines, il faut tout de même se rappeler qu'à l'origine, le web était une invention française.
- Eric Reinhardt Ecrivain
- Pierre Beckouche
L’histoire de cet échec hexagonal est racontée dans le dernier roman d'Eric Reinhardt, intitulé Comédies Françaises. Alors que dans les années 80, le gouvernement français investit massivement pour développer le minitel, cela fait déjà une décennie que l’ingénieur Louis Pouzin a développé le réseau Cyclades, ancêtre d’internet :
Louis Pouzin a inventé le datagramme. Le datagramme, c’est l’invention, unique au monde, qui a permis l’invention et le lancement d’internet tel que nous le connaissons aujourd’hui. Louis Pouzin avait vraiment innové dans la conception des réseaux de transmission de données.
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L’abandon des recherches françaises autour d’internet
Si Internet n’a finalement pas été développé en France, c’est d’une part pour des raisons corporatistes : les représentants de l’ « establishment des télécoms » de l’époque, à l'origine de l'invention du minitel, ne veulent pas perdre leurs prérogatives dans le domaine des réseaux de transmission de données et s'opposent par principe aux avancées technologiques proposées par les informaticiens. D’autre part, l’abandon du réseau Cyclades est lié à un conflit entre industriels opposant Ambroise Roux, ancien patron de la CGE, à Paul Richard, ancien patron de Thomson. Thomson souhaitait en effet disputer à la CGE le marché des captifs des commutateurs téléphoniques. Pour éviter que son principal concurrent ne prenne trop de pouvoir, Ambroise Roux conseille alors au président Valérie Giscard d’Estaing d’abandonner les recherches autour du datagramme et de se focaliser sur la démocratisation du minitel.
Dès lors, deux américains vont s'emparer de l'invention du datagramme, que Louis Pouzin avait partagé auprès de scientifiques européens et américains dans l’optique de mettre au point une norme commune internationale :
Bob Kahn et Vint Cerf, les soi-disant inventeurs d’internet - ce que raconte l’histoire avec un grand H - ont rusé à ce moment-là. Ils ont prétendu être trop en avance pour attendre ces nouvelles spécifications, et ils ont lancé leur propre réseau en prenant le datagramme de Louis Pouzin. Ils l’ont juste un peu modifié pour pouvoir donner leur nom.
Un échec lié à la structure de la société française
Bien que l’informatisation de la société française se soit faite par la suite de manière assez fluide, la France n’est néanmoins pas parvenue à s’imposer au niveau de l’offre des services dans le paysage web. Pour le géographe Pierre Beckouche, ce retard s’explique par des caractéristiques sociétales :
Dans le cas de la société française, on peut dire qu’elle est caractérisée par des silos, des cloisonnements plutôt forts, forts ou très forts. C’est moins vrai aujourd’hui qu’hier mais ça reste vrai et à l’époque, dans les années 70 ou 80, c’était encore plus vrai. Et quand vous avez une révolution aussi transversale qui apparaît, et qu’elle est dans le cas français, menée par la haute fonction publique - en réalité le gouvernement, l’état et quelques grandes entreprises - vous n’êtes pas dans les meilleures conditions pour tirer le parti de toutes les innovations possibles.
Sources :
L'informatique au quotidien - Archive vidéo INA
5 inventions cultes des années 90 - Archive INA
Entretien avec Louis Pouzin - Inria Channel
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