Pourquoi le cerveau reptilien n'existe pas

Très prisée dans les années 70 par les conservateurs, on retrouve aujourd'hui encore la notion dans la bouche de certains idéologues de droite comme Henry de Lesquen
Très prisée dans les années 70 par les conservateurs, on retrouve aujourd'hui encore la notion dans la bouche de certains idéologues de droite comme Henry de Lesquen  ©Getty - Duncan Geere / EyeEm
Très prisée dans les années 70 par les conservateurs, on retrouve aujourd'hui encore la notion dans la bouche de certains idéologues de droite comme Henry de Lesquen ©Getty - Duncan Geere / EyeEm
Très prisée dans les années 70 par les conservateurs, on retrouve aujourd'hui encore la notion dans la bouche de certains idéologues de droite comme Henry de Lesquen ©Getty - Duncan Geere / EyeEm
Publicité

Si la notion de « cerveau reptilien » vous dit quelque chose c’est que son utilisation est très fréquente. Tantôt mobilisée en « neuromarketing », en développement personnel ou même en politique, le concept, censé expliquer nos comportements primitifs, ne s'appuie sur aucun fondement scientifique.

Avec
  • Sébastien Lemerle Maître de conférences à l'Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Si vous êtes agressif au volant de votre auto, ce n’est pas de votre faute, c’est votre cerveau reptilien qui vous commande. Si vous avez peur devant une bête sauvage, c’est que là aussi votre cerveau reptilien s’exprime. Voici deux exemples de croyances communes en l’existence d’une part reptilienne de notre cerveau. Une croyance qui relève au mieux, d’une erreur scientifique et au pire, d’une véritable imposture. Un ouvrage récent y est consacré, c’est le livre de Sébastien Lemerle, intitulé Le cerveau reptilien, sur la popularité d’une erreur scientifique publié aux éditions du CNRS. 

Les origines du "cerveau reptilien"

On doit la notion de « cerveau reptilien » à un neuroscientifique américain, Paul MacLean, qui dans les années 60, la place au coeur de sa théorie dite du "cerveau triunique". Selon cette théorie, le cerveau humain serait partagé en trois parties distinctes, correspondant chacune à une étape de l’évolution de l’espèce. Notre premier cerveau, le plus ancien, est donc appelé le « cerveau reptilien » et serait à l’origine de nos réflexes et comportements les plus primitifs, notamment ceux concourant à la préservation de soi. Or cette théorie du cerveau apparue dans les années 60, a été depuis fortement remise en cause par les avancées de la recherche scientifique. C’est ce qu’explique le chercheur Xavier Leinekugel, chercheur en neurosciences à l'INSERM : 

Publicité

C’est vrai que les reptiles ont un cerveau plus simple mais ce n’est pas vrai que leur cerveau correspond à la partie du cerveau des mammifères qui s’occupent des fonctions vitales. Les reptiles ont un répertoire mental qui est moins riche que les mammifères mais ils montrent quand même des comportements élaborés, qui sont associés au cerveau supérieur et "non-reptilien", comme par exemple la mémoire ou la navigation spatiale. Xavier Leinekugel, chercheur en neurosciences

La Conversation scientifique
59 min

La postérité de la notion dans le champ culturel et intellectuel 

Mais alors comment expliquer que cette notion, considérée très tôt comme obsolète sur le plan scientifique, ait eu une telle postérité dans le champ culturel ? Pour comprendre ce phénomène, il faut selon le sociologue Sébastien Lemerle, s’intéresser à l’arrière-plan culturel de la notion. D’une part le « cerveau reptilien » renvoie à la dualité de la nature humaine, que l’on retrouve dans les philosophies les plus anciennes. D’autre part, Paul MacLean semble avoir calqué ses représentations du cerveau sur le schéma freudien : les composantes du cerveau triunique présentent de nombreuses similitudes avec le « moi », le « surmoi » et le « ça » freudien. 

Cette théorie quand elle a été proposée, les commentateurs s’y sont tout de suite retrouvés : elle répondait miraculeusement à des questions qu’on se posait de toute éternité sur le mal, le pouvoir, le malaise dans la culture etc. Sébastien Lemerle, sociologue

En France, le concept de « cerveau reptilien » accède à la notoriété notamment par l’intermédiaire du réalisateur Alain Resnais. Dans son film Mon Oncle d’Amérique, sorti en 1980, il s’appuie sur les thèses de Henri Laborit, neurobiologiste français, lui-même adepte de la théorie du cerveau triunique de Paul MacLean. Le film fut récompensé à Cannes et connut un beau succès au box-office, ce qui contribua à pérenniser l’utilisation de cette notion dans le secteur médiatique. 

Aujourd’hui, le « cerveau reptilien » a été récupéré par le secteur du développement personnel, cette fois dans un sens optimiste : il s’agit désormais d’accepter notre « part reptilienne » pour vivre mieux, comme en témoigne l'essai à succès : Comment apprivoiser son crocodile, paru en 2007. 

Extraits :     - Vidéo "Les 3 cerveaux : pour vendre plus, parlez-leur " de la chaîne Lumerys https://www.youtube.com/watch?v=g2ChfLFhiow
- Mon oncle d'Amérique, Alain Resnais, 1980 (125mn) 

L'équipe