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Nous sommes à la synagogue et l’heure de la lecture de la Tora est arrivée.
Un homme de l’assemblée se lève pour ouvrir le rideau de l’Arche Sainte, puis un second ouvre les deux portes sculptées de cette armoire très spéciale qui contient les rouleaux de la Tora. Il se penche à l’intérieur pour prendre l’un des rouleaux qu’il donne à une seconde personne qui se tient à ses côtés, qui à son tour donne le rouleau à une troisième, et ensemble, selon une procession bien réglée, déambulent à travers les fidèles qui embrassent respectueusement le manteau qui enveloppe le rouleau.
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Procession qui, après avoir fait le tour de la synagogue, s’arrête devant la Bima, La table de lecture à laquelle on accède par quelques marches. Une autre personne enlève le manteau du rouleau et une autre encore ouvre le rouleau, le déploie et le lève en un geste qui rendrait jaloux bien des haltérophiles, pour montrer à toute l’assemblée le texte qui sera lu dans la suite de la cérémonie.
Longtemps je fus frappé par cette chorégraphie dont je fus très tôt le témoin dans ma prime enfance. Mais ma plus grande surprise eut lieu le jour où avec l’école nous nous rendîmes au théâtre, théâtre Sébastopol à Lille, cette ville j’ai déjà parlée dans une précédente émission. C’était la première fois que j’allais au théâtre. Molière, le malade imaginaire. Je m’en souviens encore comme si c’était hier !
Le noir se fit, le silence, les trois coups, le lever du rideau, puis la scène illuminée, qui pendant un instant, très fugace mais suffisamment profond, me donna l’impression d’être à la synagogue dans ce moment si singulier de l’ouverture de l’Arche Sainte.
Cette première émotion théâtrale de mon enfance, sans que j’en eu une réelle conscience, a irrigué et illuminé toutes les lectures ultérieures de la Tora auxquelles j’ai assisté à la synagogue. Dans toutes les synagogues du monde. Expliquant sans doute le plaisir intense et toujours renouvelé, que fut pour moi d’écouter, semaine après semaine, année après année l’histoire de la Création du monde, de l’homme et de la femme, de leurs aventures avec le serpent, le conflit entre Caïn et Abel, Noé et le Déluge, La tour de Babel, L’histoire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Joseph et ses frères, Moïse et le pharaon, la sortie d’Égypte, l’errance guidée par une demeure fragile dans laquelle l’homme apprit comment avoir rendez-vous avec la Transcendance !
Plus tard il me fut aisé de comprendre la fascination de Kafka pour le théâtre yiddish, et sa remarque dans La lettre au père où il parle des rouleaux de la Tora sortant d’une armoire de la synagogue comme des poupées sans têtes, image, questionnant par la même le rapport complexe entre le théâtre et le judaïsme, le théâtre et l’univers biblique, comme le lui expliqua son ami, l’acteur du théâtre yiddish Itshaq Löwy.
Plus tard aussi je compris pourquoi la première troupe de théâtre en langue hébraïque créée à Moscou en 1914 prit le nom de Habima, le nom même de la table de lecture des rouleaux de la loi à la synagogue que j’ai évoquée, nom que le théâtre national d’Israël a gardé jusqu’à aujourd’hui, une façon de souligner la continuité entre la synagogue et le théâtre, ou plus précisément, une façon de comprendre le théâtre comme une continuité laïque de la synagogue !
Bien sûr la littérature, la peinture, la musique et le cinéma sont riches d’œuvres qui ont puisé leur inspiration dans le terreau des récits bibliques, mais le théâtre, en dehors des Pourimspiel, est resté très en retrait dans ce domaine. Est-ce le résultat d’une longue tradition qui semble l’avoir interdit malgré certains textes qui semble l’avoir encouragé fortement ?
Marc-Alain Ouaknin reçoit l'acteur et le metteur en scène François Rancillac, directeur du Théâtre de l'Aquarium à propos de « Cherchez la faute », une pièce de théâtre d’après La divine origine, un texte de Marie Balmary. Une pièce qui ne raconte pas seulement l’intrigue, mais qui commente l’épisode où Adam et Eve rencontrent le serpent et consomment le fruit de l’arbre défendu dans le célèbre troisième chapitre de la Genèse. Une pièce où la lecture d’un texte et son exégèse sont mis en scène !
L'invité
Né en 1963, François Rancillac fonde sa compagnie en 1983 (avec Danielle Chinsky), le Théâtre du Binôme, et met en scène des auteurs aussi divers que Jean Racine (Britannicus), Christian Rullier (Le Fils, qui obtient le prix 1987 du Printemps du Théâtre à Paris), Jakob Michael Reinhold Lenz (Le nouveau Menoza), Pierre Corneille (Polyeucte), Molière (Amphitryon, George Dandin), Olivier Py (La Nuit au cirque), Edmond Rostand (L’Aiglon), Jean-François Caron (Saganash), Jean Giraudoux (Ondine, La Folle de Chaillot), Jean-Luc Lagarce (Retour à la Citadelle, Les Prétendants, Le Pays lointain, Music Hall, Nous, les héros), Marie Balmary (Cherchez la faute !), Jonathan Swift (Modeste proposition concernant les enfants des classes pauvres), Rémi de Vos (Projection privée), Max Frisch (Biedermann et les incendiaires), Jean-Paul Wenzel (Cinq clés), Michel Marc Bouchard (Papillons de nuit), Gilles Granouillet (Zoom),…
Il aborde le lyrique avec Bastien, Bastienne… suite et fin d’après Mozart, Athalia de Haendel, et collabore aux spectacles électro-acoustiques de Serge de Laubier (Les Sargasses de Babylone, La Belle porte le voile).
Il dirige en juin 2006 en version concert l'opéra-jazz de Laurent Cugny, La Tectonique des nuages (librement adapté de Cloud Tectonics de José Rivera d’après la traduction française d’Isabelle Famchon – Editions Théâtrales).
Après avoir été artiste associé au Théâtre de Rungis, à la Scène nationale de Bar-Le-Duc, au Théâtre du Campagnol/CDN de la banlieue sud de Paris, et directeur artistique du Théâtre du Peuple de Bussang (de 1991 à 1994), François Rancillac est, à partir de 2002, co-directeur (avec Jean-Claude Berutti) de La Comédie de Saint-Etienne / CDN.
En mars 2009, il prend la direction artistique du Théâtre de l’Aquarium à la Cartoucherie où il présente actuellement "Cherchez la faute d'après la divine origine de Marie Balmary.
Musique et transition sonore.
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"Cherchez la faute"...
Jusqu'au 21 janvier au Théâtre de l'Aquarium.
avec Danielle Chinsky, Daniel Kenigsberg, Frédéric Révérend, Fatima Soualhia Manet, François Rancillac... et le public.
La divine origine
Un livre de Marie Balmary
François Rancillac et l'éducation artistique
"C’est le plus souvent grâce à l’école que les « jeunes » rencontrent le théâtre pour la première fois ; c’est aussi souvent à cet âge qu’ils s’en font la pire idée, celle d’une chose ennuyeuse, inutile, où l’on parle encore comme au XVIIème siècle de préoccupations moyenâgeuses…
Ce premier rendez-vous avec le théâtre est pourtant déterminant, voire irrémédiable ! Si le théâtre est amené, non pas comme pur objet littéraire, mais au contraire comme un art vivant et sensible, s’adressant directement et passionnément aux publics, il a de grandes chances de susciter émotion, plaisir et intelligence chez nos jeunes spectateurs.
Pour cela, il est de notre responsabilité, nous qui avons fait du théâtre notre pain quotidien, de travailler aux côtés des professeurs à ce que cette rencontre avec la représentation théâtrale soit une joie et non un rendez-vous manqué : en essayant de transmettre le goût du théâtre via les rencontres avec les artistes ou les ateliers de pratique artistique ; mais aussi en accompagnant les professeurs dans leur propre apprentissage ; et surtout en ouvrant grand les portes de nos salles de spectacles aux jeunes et à leurs professeurs tout au long du processus de création, des répétitions jusqu’aux représentations.
C’est grâce à l’éducation artistique que nous pourrons œuvrer, à construire pour les générations à venir une démocratie digne de ce nom, où l’épanouissement intellectuel et sensible des citoyens serait vraiment compris comme la condition indispensable à un « vivre ensemble » harmonieux et dynamique.
Qu’on parle d’"éducation artistique", d’"école du spectateur" ou d’"actions de sensibilisation", il ne s’agit en fait que de ça : donner le goût du théâtre, donner l’envie d’y aller, d’y retourner, et de partager à son tour cette passion."
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