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Une « concordance des temps », bienvenue cette année, fait se rencontrer la pâque juive et les pâques chrétiennes.
La pâque juive commémore la sortie du peuple hébreu de l’esclavage d’Égypte et l’entrée dans la liberté. Quant au jour de Pâques dans le christianisme, il célèbre la résurrection du Christ. C'est le jour où les disciples de Jésus se rendirent au tombeau de leur Maître pour découvrir qu'il était vide. Sur le chemin du retour ils le rencontrèrent. Ils comprirent qu’il était ressuscité et commencèrent à répandre la bonne nouvelle.
Si je parle d’une concordance des temps bienvenue, c’est que cette rencontre entre judaïsme et christianisme ne fut pas toujours une rencontre heureuse et apaisée, peu s’en faut. Pendant presque 20 siècles la doctrine de l’église vis-à-vis des juifs fut celle du rejet et de l’opprobre, installant dans les mentalités un antijudaïsme profond.
Les expulsions successives dans l’Europe du Moyen-âge, l’inquisition en Espagne et au Portugal au XVe et XVIe siècles, les massacres de Chielminki dans la Pologne au milieu du XVIIe siècle, les accusations répétées de meurtres rituels, ne furent que l’un des aspects les plus visibles des conséquences de cet antijudaïsme qui se déploya de façons différentes mais constante à travers tous les pays.
L’acquisition de la citoyenneté à la fin du XVIIIe siècle et l’apparition de la philosophie des Lumières dans cette même fin de même siècle en France et en Allemagne, ne furent pas suffisants pour enrayer ce fléau.
L’antijudaïsme théologique prit alors une autre figure et un autre nom pour devenir antisémitisme. L’affaire Dreyfus et de tous les affrontements qui l’entourèrent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe furent l’occasion d’un antisémitisme débridé en Europe de l’ouest pendant qu’en Europe de l’est les pogroms continuaient à se dérouler avec une cruauté et une barbarie qu’on a encore du mal à s’imaginer.
Les horreurs dont la première moitié du XXe siècle fut le théâtre sont encore dans toutes les mémoires.
Rien n’aurait pu changer !
L’antijudaïsme et l’antisémitisme auraient pu continuer à être alimenté par un discours inchangé de l’église catholique, de ses institutions, de ses chefs et de ses fidèles. Et pourtant !
Et pourtant, une véritable révolution théologique eut lieu au milieu du XXe siècle. Un bouleversement profond s’opéra au sein de l’église catholique, de ses doctrines et de ses relations aux juifs et au judaïsme.
Ce ne fut pas simple, mais à force d’intelligence, de lucidité, de volonté, de courage, de dialogue, et d’amitié, un nouveau visage de l’église catholique prit forme, et en un demi-siècle l’église catholique passa de « l’enseignement du mépris » à « l’enseignement de l’estime », offrant ainsi au monde ce que l’humain a de meilleur. Une façon d’être au monde à laquelle cette pensée de Maurice Maeterlinck fait magnifiquement écho :
« Si l'être que j’aime le plus au monde [venait] me demander quel choix il lui faut faire, et quel est le refuge le plus profond, le plus inattaquable et le plus doux, je lui dirais d’abriter sa destinée dans le refuge de l’âme qui s’améliore. »
En ces temps d’urgences dans lesquels nous sommes plongés où l’antijudaïsme et l’antisémitisme sont encore des vocables au centre de notre actualité, il est important de comprendre l’histoire de cette révolution qui peut, peut-être, en tout cas nous l’espérons, devenir une inspiration forte pour d’autres révolutions théologiques.
Marc-Alain Ouaknin reçoit aujourd’hui l’historienne Thérèse Hebbelink.
L'invitée
Thérèse Hebbelinck est Docteur en histoire de l’UCL. Sa thèse L’Église catholique et l’enseignement de l’estime. Discours sur le judaïsme et relation avec les juifs en Belgique et en France de 1965 à 2000 (soutenue le 29 avril 2013) a été réalisée sous la direction de Jean-Pierre Delville.
De 2013-2014 et de 2015-2017, elle est Professeur invité à l’UCL (cours d’histoire du christianisme) et Chercheuse financée par le Sidic (Service d’information et de documentation juifs et chrétiens) pour réaliser une recherche sur le Sidic (contrat de 2014-2015).
Depuis janvier 2016 elle est conseillère éthique et pastorale pour Unessa (Union en soins de santé).
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Le livre de l'invitée
Tome 1
Ce livre, très richement documenté, décrit l'histoire des relations entre juifs et catholiques à travers l'étude du discours et de l'attitude de l'Église catholique, en France et en Belgique, entre 1965 et 2000. Une mutation fondamentale s'est produite durant cette période : l'Église est passée du mépris au discours de l'estime.
Ce faisant, c'est une nouvelle théologie qui est proposée : l'estime rend caduque la théologie de la substitution par laquelle l'ancien Israël était remplacé en faveur du Nouvel Israël, l'Église. Aujourd'hui, la théologie veut respecter le mystère de la persistance d'Israël, sans prétendre le convertir.
Ce premier tome s'attache à l'institutionnalisation du dialogue avec les juifs dans l'Église catholique de Belgique et de France.
Tome 2
Ce second tome s'attache aux initiatives ecclésiales en faveur d'une réconciliation et d'un dialogue plus authentique.
Il analyse l'évolution du discours ecclésial depuis le Concile Vatican II d'où émerge une connaissance plus respectueuse du judaïsme.
Ce tome est le complément indispensable du premier. Il ouvre sur les avancées théologiques, ce qui retient toute l'attention du croyant, qu'il soit chrétien ou juif.
Bibliographie de l'invitée
- Hebbelinck Thérèse, Le 30 septembre 1997 : L’Église de France demande pardon aux juifs. Impulsion du cardinal Lustiger et réception de l’événement, dans Revue d’Histoire Ecclésiastique, 103 (2008/1), p. 119-161.
- Hebbelinck Thérèse, L’Église de Belgique et la repentance à l’égard des juifs, dans Cahiers de la Mémoire contemporaine, 9 (2010), p. 87-134.
- Hebbelinck Thérèse, L’affaire du carmel d’Auschwitz (1985-1993). Implication des Églises belge et française dans la résolution du conflit (Sillages, 17), préfacé par Jean Dujardin, Louvain-la-Neuve, ARCA, 2012, 162 p.
- Hebbelinck Thérèse, La déclaration Nostra Aetate (n° 4) du concile Vatican II. Contribution des Belges et des Français à son élaboration, dans Cahiers de la mémoire contemporaine, 10 (2012), p. 353-392.
- Hebbelinck Thérèse, Naissance du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme et amorce d’une réflexion théologique post-conciliaire, dans Revue d’histoire de l’Église de France, 98 (2012/240), p. 83-107.
- Hebbelinck Thérèse, L’Église catholique et l’enseignement de l’estime ? Discours sur le judaïsme et relations avec les juifs en Belgique et en France de 1965 à 2000, dans Bulletin d’information de l’Association Belge d’Histoire contemporaine, XXXIV (2012/1), p. 10-15.
- Hebbelinck Thérèse, La Shoah, choc pour les consciences chrétiennes et point de départ d’un « enseignement de l’estime » de l’Église catholique à l’égard du peuple juif, dans Delville Jean-Pierre (éd.), Mutations des religions et identités religieuses (Théologie), Paris, Mame Desclée, 2012, p. 191-205.
- Hebbelinck Thérèse, L’Église catholique et l' "enseignement de l'estime". Discours sur le judaïsme et relations avec les juifs en Belgique et en France de 1965 à 2000. Compte-rendu d'une recherche doctorale, dans Cahiers de la Mémoire contemporaine, 11 (2014), p. 219-233.
- Hebbelinck Thérèse, L’Église catholique et les juifs. Du mépris à l’estime (Collection Histoire), 2t., préfacé par Mgr Jean-Pierre Delville, Domuni-Press, 2018.
- Hebbelinck Thérèse et De la Maisonneuve Dominique, Histoire du Sidic, à paraître chez Parole et Silence en 2018.
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