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Chaque année l’Oxford English Dictionnary choisit un mot pour qualifier les douze mois écoulés. Mais pour la première fois, le dictionnaire renonce au choix d’un seul mot et en propose plusieurs. Le dictionnaire Robert et l'Oulipo ne sont pas en reste et nous proposent de jouer à imaginer des mots-valises correspondant aux situations inédites que nous avons vécues tout au long de cette année si particulière. Et ils donnent pour exemple Mascarader qui désigne le fait de poser son masque sur un comptoir pour boire un verre ou encore parmi de nombreux autres Covid-poche qui désigne la corbeille où l'on pose ses clés, son masque, son gel hydroalcoolique en rentrant chez soi.
Les allemands possèdent une tradition non seulement du mot de l’année mais du Unwort de l’année, le mot le plus terrible, le plus insupportable, le plus « non-mot » de l’année, c’est-à-dire le plus préjudiciable pour la société, par exemple en 1991, Ausländerfrei : « sans étrangers ».
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Et cette année 2021 est aussi l’occasion de revenir sur les mots marquants de ces deux premières décennies de ce XXIe siècle qui viennent de passer. Au-delà de l’aspect ludique, sociologique, politique et poétique de ces choix, ces explosions de créativité lexicale témoignent de l’importance du langage pour les hommes et soulignent à quel point les mots ne sont pas anodins pour la construction et la survie de toute société.
Ce que déjà le texte biblique soulignait en faisant entrer Noé, sa famille et tous les animaux dans une arche, téva, un vocable qui en hébreu signifie le « mot ». Une façon de dire que l’humanité ne peut être sauvée qu’en entrant dans un mot aux dimensions d’une langue qui possède des fenêtres sur le monde dit le texte biblique, fenêtres du désir et de la rencontre.
Des mots comme des fenêtres qui ouvrent le monde, à d’autres mondes à d’autres éclats, à d’autres lumières. Des mots-fenêtres qui ouvrent aussi à l’intérieur de l’homme, à son intimité, à son mystère et aux mystères du monde.
Et peut-être dès lors ne serait-il pas incongru de proposer, dans ce cortège de mots et de non-mots de l’année, un mot plein de mystères, le mot « mystique », que certains rejetterons d’emblée car trop plein d’irrationnel et toujours au risque de basculer dans la tromperie et la mystification, alors que d‘autres, au-delà de l’affirmation ou de la négation de la foi, adouberont en quête d’une spiritualité purement contemplative.
Au-delà de cette alternative sans doute que les choses sont plus subtiles et plus complexes plus complexe à la fois et méritent que l’on s’interroge à la fois sur le sens de ce terme mais aussi sur ses enjeux au sein de notre société contemporaine.
Et pour aborder ces questions n’était-il pas idéal de rencontrer un homme, écrivain, traducteur et éditeur, passionné de littérature, de philosophie, d’histoire, de politique, d’architecture et de poésie, passionné par la vie des mots. « ces passants mystérieux de l’âme », selon la belle expression de Victor Hugo.
L'invité
Michel Valensi est écrivain, traducteur, musicien et éditeur.
Il co-fonde les éditions de l'éclat en 1985 avec Patricia Farazzi.
L'archive sonore
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Texte de Patricia Farazzi lu pendant l'émission.
D’abord le silence du pas, les cailloux roulent sans bruit, les vagues se fracassent sur des rochers de feutre. L’homme n’entend plus que le battement de son cœur. Il s’affole et va vers l’immobilité.
On dit que le cœur danse une dernière fois avant de mourir. L’homme écoute son cœur danser. Le silence tombe comme une sentence. Un rideau sur la mer. Le ciel a rejoint l’eau et l’horizon tient dans le creux de la main.
Un décor se crée à la mesure de ce cœur qui s’éteint. L’homme lève la main pour saisir dans sa paume les rochers, il voudrait vider le paysage: qu’il devienne parchemin pour y tracer son dernier livre.
— Moi, Abraham Aboulafia, à ce jour, je rejoins le silence, cette main n’écrira plus ! Les traces perdues se confondront avec la mer et le Sans bruit, toujours le monde continue le livre.
Il regarde ses mains, la droite appartient au prophète, la gauche appartient à l’homme.
— Seul juif de cette île minuscule, j’ai regardé partir les bateaux, maintenant, il faut poursuivre le voyage. Je m’étais arrêté trop longtemps! Adonaï! Tu as fait pousser l’encre et sur l’encre j’ai grandi.
Mais qui a écouté mes paroles? Qui a lu mes livres? Adonaï, ton nom est écrit sur les pierres du chemin et qui y pose le pied est foudroyé, qui y porte le regard disparaît. Pourquoi m’as-tu donné des yeux? Pourquoi as-tu tracé mon chemin dans les sentiers étroits du secret? Et qu’est-ce qu’un secret qui ne se partage pas?
( La vie imaginaire d'Abraham Aboulafia de Patricia Farazzi )
Le livre présenté dans l'émission

Présentation de l'éditeur
Texte hébreu établi, traduit et annoté par Michaël Sebban
Dans l’océan textuel et conceptuel de la tradition cabalistique, la figure d’Abraham Aboulafia surgit, portée par une biographie en forme d’autobiographie qui étonne autant qu’elle fascine.
Né à Saragosse en 1240 de l’ère commune, Abraham ben Samuel Aboulafia rend compte dans ses ouvrages de ses pérégrinations méditerranéennes qui le porteront jusqu’aux remparts de Saint-Jean d’Acre à la recherche du fleuve Sambatyon.
Mais, dans le parcours de cette vie vagabonde entre la Grèce et l’Italie, Byzance et l’Espagne, l’événement sans précédent qui marquera les esprits et la chronique, c’est la non-rencontre avec le pape Nicolas III en 1280.
Les visions qu’il décrit alors, la «mission messianique » dont il se dit porteur, la mort soudaine du pontife au moment de l’arrivée d’Aboulafia à Rome, son emprisonnement, puis sa libération qui signe le début d’années fructueuses sur les terres siciliennes, où disciples et détracteurs se succèdent, enfin son excommunication et sa disparition mystérieuse sur la petite île de Comino dans l’archipel maltais – tout cela scelle à jamais un destin hors du commun dans le ciel de la pensée juive.
Lumière de l’intellect (’Or ha-Sekhel), écrit à Messine vers 1283, édité, traduit et annoté ici à partir de trois de ses plus importants manuscrits, est sans doute l’œuvre la plus complexe et complète d’Aboulafia.
« Il est indispensable de publier ... tous les livres d’Abraham Aboulafia, la personnalité la plus importante parmi les cabalistes qui nous sont connus à ce jour. Il faut en tout cas commencer par ... le ’Or ha-Sekhel... » écrivait Gershom Scholem à H. N. Bialik en 1925. C’est aujourd’hui chose faite.
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