

1/2 Le rapprochement par les textes
Liberté, égalité, fraternité » !
Comme disait Victor Hugo, « la liberté, c'est le droit, l'égalité, c'est le fait, la fraternité, c'est le devoir. » Tout l’homme est dans ces trois mots ajoutait-t-il.
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Trois mots toujours à réinterpréter pour ne pas tomber dans l’immobilisme qui est le risque de toutes les formules.
Jaurès nous a offert un commentaire important de cette fraternité. « Étant solidaires, dit-il, nous sommes frères ». La fraternité c’est donc la solidarité. Solidarité en acte qui a donné la sécurité sociale, les pensions de retraite, les aides sociales, l’accueil des exilés, le respect du travailleur étranger, et toutes les actions qui, dans l’idéal, constituent une redistribution des richesses pour permettre à chacun de vivre avec dignité, matériellement et spirituellement.
A ce commentaire essentiel, on peut, en convoquant le lexique hébraïque, en ajouter un second. Le mot « fraternité » est un hapax, c’est à dire un mot qui n’apparaît qu’une seule fois dans toute la Bible hébraïque au chapitre 11 verset 1 du livre de Zacharie. Construit sur le mot ah qui veut dire « frère », « Fraternité » se dit ahva.
Que veut dire et que vient dire ce mot « fraternité » quand je le dis dans sa référence au texte biblique et en hébreu : ahva ? Quelle idée ajoute-t-il à celle des liens de sang, de proximité fraternelle et de solidarité et de responsabilité sociale ?
C’est le livre de Job, qui, par la bouche de Elihou fils de Barakh-el le bouzite, nous propose une réponse très intéressante. Après que les anciens aient parlé, le plus jeune des amis de Job prend la parole et dit : « C'est pourquoi je dis : écoutez-moi, et moi aussi je dirai mon avis ». Ou autre traduction : « Moi aussi, j'exposerai ma pensée. », formule qu’il répète quelques versets plus loin : « je prendrai la parole à mon tour et je dirai mon avis, moi aussi. ».
En hébreu, « je dirai » se dit ahavé mot qui est parfaitement homographe, c’est-à-dire qu’il s’écrit exactement de la même façon que le mot ahva, « fraternité ».
Par ce jeu herméneutique très sérieux, la fraternité se comprend dès lors comme la possibilité pour chacun de prendre la parole et d’affirmer sa différence. Ahavé dé’i, af ani, dit l’hébreu : littéralement, « je parlerai moi aussi ». Expression que l’on peut accentuer par la traduction suivante : « Je donnerai aussi on point de vue raisonné et argumenté moi qui suis aussi un sujet de parole et de savoir ».
Ainsi, la « Fraternité », se comprend non comme la recherche du semblable, non comme le partage des mêmes opinions, mais comme expression de la différence, du débat réglé où s’exprime la subjectivité de chacun.
Fraternité comme espace public qui se transforme en espace de rencontre, de dialogue et de controverse, sans volonté d’imposer une vérité absolue mais seulement de proposer de réfléchir ensemble sur le sens que l’on peut donner à sa vie, aux choses, aux textes et aux situations de l’existence.
Fraternité qui n’est pas l’instinct grégaire d’une foule qui se déplace dans le même sens et au rythme des mêmes slogans, mais fraternité par la parole apaisée dans ce que Martin Buber appelait « Dialogue », dans un respect pour l’Autre qui se définit par le respect et la patience d’apprendre à écouter.
Dès lors, « Liberté, égalité, fraternité » prend un sens totalement nouveau et sans doute paradoxale car dire « frères » ou « sœurs », c’est dire la rencontre dans la différence et le non-semblable. Bien sûr, on peut toujours et c’est un plaisir d’être en accord avec d’autres personnes, mais il faut entendre cet accord dans un sens musicale : un son harmonieux composé de plusieurs notes différentes.
La fraternité est ainsi l’ouverture à une intelligence collective faite de la confrontation d’intelligences différentes, ce que le Talmud nomme Mahloquèt, vocable qui signifie dialogue et controverse, que l’on peut aussi traduire par « pensée en partage ».
Pour approfondir cette "pensée en partage", Marc-Alain Ouaknin reçoit aujourd’hui le Rabbin Delphine Horvilleur et l’islamologue Rachid Benzine pour leur livre intitulé Mille et une façon d’être juif et musulman, écrit en collaboration avec Jean-Louis Schlegel, qui vient de paraître aux éditions du Seuil.
Transition sonore
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Les invités
Delphine Horvilleur
Delphine Horvilleur est née à Nancy en 1974. Elle a étudié la médecine en Israël à l'Université hébraïque de Jérusalem avant de travailler plusieurs années comme journaliste à la rédaction de France 2, en Europe et au Proche Orient. Elle est titulaire d'une licence de l'Université Hébraïque de Jérusalem et d'un double Master d'éducation juive et de Littérature hébraïque du Hebrew Union College à New York. Elle a été élève rabbin au MJLF, au Jewish Community Center et à la Central Synagogue de Manhattan.
Elle a été ordonnée rabbin en 2008 puis a rejoint l'équipe rabbinique du MJLF.
Elle est également la directrice de la rédaction de la revue trimestrielle Tenou'a, atelier de pensée(s) juive(s), qui fait dialoguer art, actualité et pensée juive.
Elle est l'auteure de En tenue d'Eve : féminin, pudeur et judaïsme (Grasset, 2013), de Comment les rabbins font les enfants ; Sexe, transmission et identité dans le Judaïsme (Grasset, octobre 2015).
Rachid Benzine
Rachid Benzine, né en 1971 à Kénitra au Maroc est un islamologue. Arrivé en France à l'âge de sept ans, il devient plus tard champion de France de kickboxing. Avant de s'orienter vers des études d'Histoire et d'islamologie.
Il a enseigné à l'Institut d'études politiques d'Aix en Provence, dans le cadre du Master "Religions et société", et a été chercheur associé à l'observatoire du religieux. Il a également donné des cours à la faculté catholique de Louvain La neuve et à la faculté de théologie protestante de Paris.
Rachid Benzine est notamment codirecteur de la collection Islam des lumières aux éditions Albin Michel. il s'attache à penser un islam en phase avec notre temps et s'investit dans le dialogue dans le dialogue interreligieux.
Il a publié de nombreux ouvrages dont :
- Nous avons tant de choses à nous dire, Albin Michel, 1998. (Avec Christian Delorme)
- Les nouveaux penseurs de l'islam, Albin Michel, 2004.
- Mohammed Arkoun, La Construction humaine de l'islam, Albin Michel, 2012. (En collaboration avec Jean-Louis Schlegel)
- Le Coran expliqué aux jeunes, Le Seuil, 2013, (traduit en Néerlandais, 2017)
- La République, l'Église et l'Islam : une révolution française, Bayard, 2016.
- Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ? Le Seuil, 2016.
- Finalement, il y a quoi dans le Coran ? La Boite à Pandore, 2017.
Le livres des invités

Quatrième de couverture.
Pourquoi ce livre ?
Intervenant l'une et l'autre sur la scène intellectuelle et médiatique française et sur des thèmes assez semblables, il était inévitable que nous ayons envie de nous rencontrer et que nous y parvenions un jour.
L’une est rabbin, l’autre est islamologue. L'une est femme et l'autre homme, et ce n'est pas une mince différence ! Juive ou musulman, nous le sommes chacun de manière singulière… Il y a mille et une façons d’être juif ou musulman !
Mais au-delà de nos différences, nous avons tous deux compris que la Bible et le Coran n’étaient pas étrangers l’un à l’autre. Et tous deux nous revendiquons la liberté de la recherche et de la parole religieuses : une liberté responsable, qui prend en charge les questions et affronte les conflits. Or, de nos jours, partout des fondamentalismes et des mouvements identitaires se prévalent de traditions anciennes qu'ils croient pouvoir faire remonter aux origines de leur foi.
Nous en sommes convaincus : être « héritier » ne consiste pas à mettre ce qui a été reçu dans un coffre fermé à clé, mais à le faire fructifier. Cela ne consiste pas à reproduire à l'identique ce qui a été reçu, mais à le renouveler.
Nous espérons que notre parole libre et résolument fraternelle fera surgir beaucoup d'autres paroles libres et fraternelles !"
L'équipe
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