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"Nos humanité nous rendent elles inhumains ?" s’interrogeait Georges Steiner en s'indignant de sa propre surdité à la demande d'un mendiant au sortir d'un cours particulièrement intense portant sur une des grandes pièces du théâtre antique.
Mais oser poser et partager cette insoutenable question n'est-ce pas déjà répondre d'une humanité qui n'abdique pas devant la souffrance de l'autre et l'extrême exigence éthique de celui qui se construit avec le texte ?
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Dans notre période de hautes turbulences dans lesquelles les moins pessimistes voient les soubresauts du monde connu parvenu à son terme, cette question continue de résonner,
Mais si, dans cette probable longue période transitoire d'accouchement d'un le monde inédit, nous en inversions les termes ?
Pour nous demander : qu'est-ce qui dans nos Humanités nous garantirait de rester humain ? Qu'est-ce qui nous permettrait de garder le cap d'une humanité choisie, Non pas celle d'un passé regretté, d'un âge d'or supposé, mais celle qui parcourt l'Histoire et lui survit, si l'histoire est cette longue série d'événements qui nous ordonnent et dans lesquels se construit chaque vie ?
Bien sûr nos questionnements contemporains ne sont plus ceux des Européens qui en leur "temps modernes " découvrirent un Nouveau Monde, de nouvelles manières d'êtres humains que de longues controverses et les progrès de l'esprit ont fini par intégrer ,si ce n'est accueillir, dans le giron de l'Humanité.
L'enjeu aujourd’hui n’est plus de décider de qui est un être humain, étant entendu que toute personne a droit à la dignité et que tous les hommes naissent libres et égaux en droit ... mais : où et comment pouvons-nous continuer de vivre et avec quels repères ?
N'aurions-nous pas tout intérêt à interroger ceux qui aux jalons des temps modernes et de notre époque contemporaine ont fait des sociétés humaines leur objet d'étude et de l'organisation des hommes pour vivre sans s'entretuer, une science ?
Et envisager avec eux les voies d'une humanité répondant au défi de sa survie dans notre ultra moderne monde contemporain ?
De ces chercheurs et pionniers dans les sciences humaines on peut dire ce que disait Lévinas de Maimonide :
« A côté des recherches savantes qui situent un grand penseur au carrefour des influences qu'il a subies et de celles qu'il a exercées, il y a une place pour une question modeste mais grave : qu’est-il pour nous ? La valeur d’une vraie philosophie ne se place pas dans une éternité impersonnelle. Sa face lumineuse est tournée vers les êtres temporels que nous sommes. Sa sollicitude pour nos angoisses fait partie de sa divine essence. L’aspect véritablement philosophique d’une philosophie se mesure à son actualité. Le plus pur hommage qu’on puisse lui rendre consiste à la mêler aux préoccupations de l’heure. Celles de notre époque sont particulièrement poignantes. Elles concernent l’essence même de notre civilisation en tant que juifs et en tant qu’hommes. »
Oui que sont-ils pour nous tous ces penseurs du passé, ces penseurs de l’humain et de la modernité ? Que peuvent nous apprendre les premiers penseurs des sciences humaines sure notre société aujourd’hui ? Comment eux-mêmes ont-ils conjugué cette relation entre tradition et modernité ? Question générale mais qui se pose particulièrement dans le judaïsme car ce dernier est lié de façon intrinsèque à la modernité.
Comme nous l’avons vu la semaine dernière avec Dominique Schnapper, l’émancipation est passée par là !
L'invité
Perrine Simon-Nahum est directrice de recherche au CNRS, professeure attachée au Département de philosophie à l’École Normale Supérieure, auteure de très nombreux articles et ouvrages très remarqués et directrice de collection chez Odile Jacob.
Elle a publié notamment : La Cité investie. La science du judaïsme français et la République (Le Cerf, 1992) ; André Malraux. L'engagement politique au XXe siècle (Armand Colin, 2010) ; Michelet, Journal, nouvelle édition (Gallimard, 2017).
Transition musicale
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Le livre de l'invitée
Les Juifs et la modernité: L'héritage du judaïsme et les Sciences de l'homme en France au XIXe siècle. Éditions Albin Michel.
Les Juifs ont souvent entretenu un rapport singulier à la modernité. C'est particulièrement vrai en France où, très tôt émancipés, ils prirent pleinement part à l'épanouissement du pays. En même temps qu'elle leur accorde la citoyenneté, la Révolution française leur ouvre l'accès à la science.
Héritiers d'une culture où sacré et profane, loin d'être opposés, s'entremêlent, ils sont les premiers à s'engager dans l'aventure des sciences de l'homme qui marque le XIXe siècle. En effet, les savants juifs conservent de la tradition une conception du temps et de l'histoire qui leur permet d'échapper aux dilemmes auxquels sont confrontés les érudits protestants ou catholiques.
Leur familiarité avec l'Orient et l'absence de dogmes, autorisant l'inclusion du religieux dans leurs objets d'étude, expliquent leur rôle fondateur dans l'essor de la science des religions mais aussi de la philologie, de la linguistique, de la mythologie comparée ou de la sémantique. Salomon Munk, Michel Bréal, Adolphe Franck, James et Arsène Darmesteter sont les grands ancêtres des intellectuels du XXe siècle.
Cette rencontre entre judaïsme et modernité éclaire d'un jour nouveau l'histoire politique et intellectuelle française, restituant au religieux la part qui lui revient. Elle permet de saisir comment, depuis leurs disciplines respectives, les savants juifs contribuent à poser l'une des questions centrales de la modernité : celle de l'identité.
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