1/2 La conscience du futur.
REDIFFUSION
" Au commencement était le bol..."
C’est par cette phrase que le romancier néerlandais Cees Nooteboom rappelle que penser, c’est peut-être d’abord réfléchir sur les objets qui nous entourent. Regardons ce bol. Revenons au commencement et réfléchissons en considérant comment ce bol est né ! « D’abord, écrit Vilém Flusser dans son livre Choses et non choses, on a dû entrecroiser les doigts des deux mains de manière à créer un espace creux destiné à recueillir l’eau potable, la porter à la bouche ou l’offrir à une autre personne. Ensuite, on a entrelacé des branches au lieu des doigts, et ainsi sont apparus les paniers, (de même que les tissus). Toutefois, étant donné que les paniers ne retiennent pas les liquides, on en a enduit l’intérieur avec de la glaise. Et enfin, on a brûlé ces paniers étanches, par hasard ou intentionnellement (nous savons combien le hasard et l’intention se conditionnent l’un et l’autre) ; et c’est ainsi qu’ont été fabriqués les premiers bols — ces bols ravissants, avec leurs motifs géométriques noirs sur fond rouge, traces des branches brûlées. »
L’humanité avait fait un grand pas ! Par le bol, la terre quitta le sol et s’éleva, la culture du sol devint culture de l’esprit, ainsi naquit la transcendance et avec elle l’idée de sacrée ou plus précisément de sainteté.
Mais les objets comme tout le vivant possèdent des cycles. Utiles ils sont là auprès de nous, toujours prêts à nous servir jusqu’au moment où nous n’en avons plus l’usage. Devenant encombrants, nous cherchons à nous en débarrasser. Poubelle, décharge, déchetterie, les mots ne manquent pas pour les lieux de dépôts, de disparition ou de recyclage de ces objets fatigués.
Mais parfois l’objet résiste à sa disparition et nous l’aidons à survivre. Les caves et les greniers en sont les plus beaux témoignages.
Survie de l’objet que la tradition juive a particulièrement prise au sérieux en considérant que tous les objets de cultes, il faudrait dire de culture, devaient être conservés, et ainsi un destin particulier fut accordé aux livres saints qui comportaient mentions des noms de Dieu et de façon dérivée à tous les livres et tous les objets ayant un rapport à l’écriture hébraïque et à l’écriture en générale.
Ainsi, les livres de la Tora devenus illisibles parce que leur encre s’est effacée, tout comme les parchemins des mezouzot et des tefilin sont placés dans de grandes jarres en terre et enfouis sous la terre, dans un lieu prévu à cet effet dans les cimetières, dans la tombe des grands maîtres pour certains commentateurs, ou à côtés selon d’autres.
Enfouissement qui avec le temps prit en hébreu le nom de gueniza, c’est à dire « cachette », de mise au secret, guenizot au pluriel.
L'habitude alors fut prise, en attendant d’emporter ces objets au cimetière, de consacrer une pièce de la synagogue, appelée justement gueniza, une pièce souvent située dans des combles et des greniers.
Grâce à l’existence de ces guenizot, les archéologues apprennent aujourd’hui qu’il ne suffit pas de creuser et fouiller le sol et la terre, mais qu’il faut aussi ausculter le ciel des greniers, à la recherche de poudre de livres anciens et de miettes de Golems endormis.
Les guenizot découvertes permettent de comprendre à quel point notre lien avec les objets qui nous entourent est important et riche, à quel point il est extraordinaire de pouvoir les faire parler quand on les retrouve plusieurs décennies ou siècles après, renouant ainsi avec leur sens, leur histoire, leur signification, et redonner ainsi à leur environnement humain sa dimension sensible au cœur de son épaisseur historique.
Nombreuses sont les guenizot oubliées, jusqu’au jour où au détour de travaux ou d’autres événements de construction, ces lieux mystérieux sortent de leur cachette et dévoilent au monde entier leur secret, comme ce fut le cas pour la plus célèbre d’entre elles, la gueniza du Caire, découverte ou inventée comme disent les archéologues, par Salomon Schechter en 1896.
Comme ce fut le cas aussi très récemment, pour la gueniza de Dambach-la-Ville en Alsace, qui par sa richesse, la beauté et l’intérêt des objets qu’elle contient a ouvert des perspectives de recherches et l’occasion d’une magnifique exposition intitulé « Héritage inespéré, les objets cachés des synagogues », qui s’est d’abord tenue à Strasbourg fin 2016, début 2017 et que l’on peut voir aujourd’hui à Paris au Musée d’art et d’Histoire du Judaïsme jusqu’au 28 janvier 2018. »
L'invitée
Claire Decomps, est conservateur en chef du Patrimoine au service de l’inventaire général du Patrimoine culturel (Région grand est) et chargée d’une étude systématique du patrimoine juif (architecture et mobilier). Elle a été commissaire scientifique de l’exposition « les Juifs et la Lorraine, un millénaire d’histoire partagée » au Musée lorrain à Nancy en 2009 et avec Elisabeth Shimells qui est Conservatrice du Musée alsacien de la ville de Strasbourg, elle est commissaire de l’exposition « Héritage inespéré, objets cachés au cœur des Synagogue » qui a lieu actuellement au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme à Paris.
ATTENTION: L'exposition au MAHJ est terminée.
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