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« Au commencement était la faim » écrit Emmanuel Lévinas, faim écrit ici f-a-i-m. Une expression qu’il commentera dans Totalité et infini par une autre formule tirée du Talmud au nom de Rabbi Yohanan « Grand est le manger ».
Une façon de nous rappeler que l’éthique n’est pas une « théorie » mais un « partage concret du pain », ce dont l’étymologie a gardé le secret puisque le mot « compagnon » par exemple viens du latin cum panis qui signifie « celui avec qui on partage la pain ».
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Ce que disent aussi de nombreuses langues dans lesquelles le mot « pain » est de la même racine que le mot « frère » et le mot « partage ». Brot, Bruder, brechen, en allemand, bread, brother, break en anglais par exemple.
Éthique du partage du pain qui est au centre de la liturgie juive et chrétienne avec des sens différents. Dans le judaïsme il existe une fête du pain, une fête au cœur de laquelle la question du pain est centrale.
C’est la fête de Pâque, Pessah en hébreu, fête de la libération d’Égypte, fête de la liberté qui s’ouvre par la cérémonie du Séder, soirée pascale au cours de laquelle, dans un ordre très précis, c’est le sens du mot Séder, on raconte les péripéties de la sortie d’Égypte, on boit quatre coupes de vin et on partage le pain azyme, c’est à dire le pain sans levain.
Une soirée au cours de laquelle on questionne le sens de quatre différents pains présents dans la tradition. Le pain quotidien fait avec du levain que l’on mange tout au long de l’année appelé lehèm hamèts, le pain azyme fait sans levain appelé matsa, au pluriel matsot, que l’on mange à Pessah, lehèm min hachamayim, le pain du ciel qui est l’autre nom de la manne du désert et un quatrième pain au cœur de la pensée kabbaliste, nahama dekisoufa, « le pain de la honte ».
Que signifie le « pain de la honte » ? quel est sa place au cœur de cet édifice liturgique de la pâque juive qui fête la liberté ? Comment s’articule ce pain de la honte avec l’obligation de raconter la sortie d’Égypte, le récit pascal ou Haggada en hébreu ?
Questions particulièrement intéressantes en cette veille de la fête de Pessah qui tombe cette année Vendredi soir prochain et durera 7 ou 8 jours selon les traditions.
Michaël de Saint Chéron, auteur de Réflexions sur la honte, De Rousseau à Lévinas, paru aux éditions Hermann est l’invité ce matin de "Talmudiques".
L'invité
Michaël de Saint Chéron est philosophe des religions et s'intéresse tout particulièrement aux les relations entre philosophie et littérature. Auteur de très nombreux ouvrages, il est spécialiste de la pensée d’Élie Wiesel et d'André Malraux. Son dernier ouvrage s'intitule Réflexions sur la honte, De Rousseau à Lévinas, et vient de praâitre aux éditions Hermann
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Le livre de l'invité

Quatrième de couverture
"Depuis la Bible hébraïque, qui lui donna un relief particulier, la honte fut pensée d’abord par Platon et Aristote comme concept, puis traversa la littérature mondiale. Relisant Rousseau à la lumière de Levinas, Kafka à celle de Benjamin ou George Steiner, Celan à celle de Blanchot, ou le génocide khmer à l’aune de Rithy Panh et Paul Ricoeur, Michaël de Saint-Cheron propose une réflexion sur l’histoire universelle de la honte. Si dans la mémoire de la Shoah, l’auréole du martyre s’est substituée à celle de la honte vécue par 6 millions de victimes et par tant de survivants, ce n’est pas le cas dans le génocide khmer. Dans sa conclusion, l’auteur évoque Geneviève de Gaulle Anthonioz, qui a combattu la honte."
Textes cités dans l'émission
Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, biblio-essais.
Emmanuel Lévinas, Carnets de captivité, Œuvres complètes, Grasset , Tome 1.
Alain Finkielkraut, Il y a quelque chose à dire en faveur de la honte, dialogue avec Gilles Hanus, Cahiers d’Études Lévinassiennes, n°7, 2008, p. 267 à 299.
Kafka, Le procès, Gallimard. Traduction Alexandre Vialatte.
Saül Friedlander, Franz Kafka poète de la honte, Seuil en 2014; traduit de l’anglais par Nicolas Weill.
Walter Benjamin, Essais__, réunis et traduits par Maurice de Gandillac, Denoël.
Jean-Jacques Rousseau, Les confessions__.
Sebastian Haffner_,_ Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933, Actes Sud, 2002.(Cité par A. Finkielkraut)
Christopher Browning, Des hommes ordinaires : Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, Tallandier, 2007. (Cité par A. Finkielkraut)
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