Pourim : à l'écoute des mots

Delphine Horvilleur
Delphine Horvilleur ©Radio France - DR
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Jeudi dernier avait lieu la fête de Pourim, une fête si importante disent les maîtres du Talmud que c’est la seule fête qui continuera à exister avec la fête de Kippour après la venue du messie. 

Une fête qui commémore l’échec d’Haman, un homme politique de la perse ancienne, qui voulut détruire l’ensemble du peuple juif de son époque. L’histoire est racontée dans le livre d’Ester que l’on lit à la synagogue, un texte qui influencé plus d’un, dont Racine qui en a fait une célèbre tragédie. 

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Dans le monde juif, Pourim est une fête qui est l’occasion de s’adonner au théâtre et en particulier sous une forme appelée Purimspiel, entre théâtre et Carnaval, Purimspiel qui est d’ailleurs entrée en 2015 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de la France.

Pourim ce sont les mots en fêtes, les mots à la fête, qui jouent, se renversent, s’inversent, se palindroment, se carambolent, s’anagramment et s’entichent, s’acrostichent et se culbutent, qui littéralement s’éclatent, pour ensuite se recomposer et toujours nous surprendre de leur inventivité. 

Pourim, c’est la fête-carnaval du langage et des corps, qui ont été déguisés, grimés, masqués, et dansent, chantent, écoutent et prient.

Mais les mots s’ils savent réjouir, savent aussi attrister, injurier, blesser, avilir, rejeter. 

Et je lisais ces jours-ci un article de journal dans lequel j’ai senti comme un Pourim à l’envers, une fête qui se retournait en défaite de l’esprit et aussi des corps, si l’on peut dire, car il s’agissait de Football.

 Voici le titre de l'article : "L’État hébreu a exprimé dimanche son indignation après des insultes visant un joueur israélien en Allemagne lors d'un match de football.

Le débat sur la recrudescence de l'antisémitisme dans le pays et en Europe a été relancé vendredi avec un tweet visant un joueur israélien.

Expulsé pendant la rencontre de deuxième division entre l'Union Berlin et Ingolstadt, Almog Cohen a été visé par un internaute se présentant comme un supporteur du club berlinois. Celui-ci a adressé un message antisémite haineux, appelant entre autres insanités le joueur à « retourner dans sa chambre à gaz ».

Le joueur israélien a, lui, répondu aux insultes sur son compte Twitter en soulignant être « fier d'être juif » et des valeurs qui lui ont été transmises. 

L'affaire, continue l’article, préoccupe la Fédération allemande de football. Son vice-président Rainer Koch a dénoncé un « tweet ignoble » et demandé que tout soit fait pour en retracer l'origine. » fin de citation.

Il est extraordinaire que dans un même article concernant le football l’on trouve ces quatre termes réunis ensemble. 

Sur fond d’antisémitisme, on découvre un État hébreu, un joueur israélien qui se dit être fier d’être juif !  

Que nous disent  tous les mots? Que nous apprennent-ils ? Importance d'être à leur écoute pour protéger l'équilibre du monde. Car comme disait Camus reprenant les mots de son ami le philosophe Brice Parain : 

« Mal nommer un objet c'est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c'est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge. »

L'invitée

Delphine Horvilleur est l’une des trois femmes rabbins en France.  

Titulaire d’un diplôme de journalisme au CELSA et d’un master de  littérature hébraïque, elle a été ordonnée rabbin au célèbre Hebrew Union College de New-York (HUC). 

Delphine Horvilleur est rabbin du MJLF (Mouvement Juif Libéral de France) à Paris, et Directrice du magazine Tenou’a, Atelier de Pensée(s) Juive(s). 

Elle est aussi l'auteur de quatre livres très remarqués : "Comment les rabbins font les enfants : sexe, identité et judaïsme", et "En tenue d'Eve : féminin, pudeur et judaïsme", tous deux chez Grasset (2013 et 2015) 

et Réflexions sur la question antisémite(Grasset 2019). 

Et en collaboration avec Rachid Benzine, Des mille et une façons d’être juif ou musulman (Seuil, 2017).

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Le livre de l'invitée

Edition Grasset
Edition Grasset
© Radio France - 2019

"Sartre avait montré dans Réflexions sur la question juive  comment le juif est défini en creux par le regard de l’antisémite.  Delphine Horvilleur choisit ici de retourner la focale en explorant  l’antisémitisme tel qu’il est perçu par les textes sacrés, la tradition  rabbinique et les légendes juives.

Dans tout ce corpus dont elle fait  l’exégèse, elle analyse la conscience particulière qu’ont les juifs de  ce qui habite la psyché antisémite à travers le temps, et de ce dont  elle « charge » le juif, l’accusant tour à tour d’empêcher le monde de  faire « tout »  ; de confisquer quelque chose au groupe, à la nation ou à  l’individu (procès de l’« élection ») ; d’incarner la faille  identitaire ; de manquer de virilité et d’incarner le féminin, le  manque, le « trou », la béance qui menace l’intégrité de la communauté.

Cette  littérature rabbinique que l’auteur décortique ici est d’autant plus  pertinente dans notre période de repli identitaire que les motifs  récurrents de l’antisémitisme sont revitalisés dans les discours de  l’extrême droite et de l’extrême gauche (notamment l’argument de l’«  exception juive » et l’obsession du complot juif).

Mais elle offre  aussi et surtout des outils de résilience pour échapper à la tentation  victimaire : la tradition rabbinique ne se soucie pas tant de venir à  bout de la haine des juifs (peine perdue…) que de donner des armes pour  s’en prémunir.

Elle apporte ainsi, à qui sait la lire, une voie de  sortie à la compétition victimaire qui caractérise nos temps de haine et  de rejet." [Présentation de l'éditeur]