

L’œuvre philosophique de ce savant persan est aussi dense que son œuvre médicale, et son célèbre "Canon de la médecine" ("Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb") fit autorité auprès des étudiants en médecine en Occident jusqu’au XVIIème siècle.
Le nom d’Avicenne entre souvent en concurrence avec celui d’Averroès, l’autre savant musulman qui vécut, lui, au XIe siècle. La comparaison entre les deux génies sera l’un des axes de ce documentaire.
Le persan Avicenne naît dans une famille aisée à Boukhara, ville qui se situe aujourd’hui en Ouzbékistan. À l’excellente éducation qu’il reçoit s’ajoutent des dons : à seize ans, Avicenne est capable de soigner des malades grâce à ce qu’il a lu et appris chez Galien, Hippocrate et Aristote. De tous ces auteurs, il sait faire la synthèse. Il les lit en arabe puisque le grec ne lui a pas été enseigné, comme il n’est d’ailleurs pas enseigné aux autres musulmans à cette époque. Lecteur évidemment du Coran, et religieux comme tous les musulmans de son époque, Avicenne écrit de la philosophie toujours en ayant en tête la philosophie grecque et la théologie. L’immortalité de l’âme est la question principale de son œuvre, et Le Livre de la guérison est sa somme philosophique. Pour des raisons de coût éditorial, ni son Canon de la médecine ni ses textes philosophiques ne sont aujourd’hui intégralement traduits et disponibles en français.

Il était imprégné de la médecine grecque et romaine, sa vision est complètement différente de la nôtre. Ça n’est pas de la médecine où l’on fait des essais cliniques, c’est de l’observation, donc il y a des choses qui marchent et d’autres pas. Avicenne c’est un pallier dans l’histoire de la médecine. Mathias Wargon, médecin urgentiste à l’hôpital Delafontaine à Saint Denis
Avicenne est-il davantage un médecin ou un philosophe ? Les avis divergent. Selon Omar Merzoug, biographe du savant, Avicenne est davantage un médecin. C’est dans cette discipline qu’il a innové, en prenant notamment en compte les maladies de l’âme, sans bien sûr les nommer ainsi. Cet avis est partagé par un médecin urgentiste, Kamel Allaoui, qui lit et commente pour ce documentaire des extraits du Canon de la médecine. La supériorité de l’Avicenne médecin sur le philosophe expliquerait que son nom ait été donné à l’hôpital de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Une visite guidée de l’établissement, en compagnie de la conférencière Bénédicte Penn, revient sur l’histoire de cet hôpital, construit en 1935, pour n’accueillir que des musulmans. Son architecture est orientale, inspirée d’une mosquée marocaine.

D’autres défendent l’idée selon laquelle Avicenne est un plus grand philosophe que médecin. Son influence sur la philosophie orientale, sur le soufisme surtout, est considérable. C’est l’avis du professeur de philosophie Jean-Baptiste Brenet. Le Livre de la guérison, traduit en latin au XIIème siècle, permit aux Occidentaux de retrouver l’œuvre d’Aristote. Avicenne distingue deux sortes d’êtres : l’être nécessaire par lui-même, c’est-à-dire Dieu, et les autres, qui n’existent que grâce à Dieu. Cette dualité structure sa pensée. Connue dans le monde entier du vivant d’Avicenne, cette idée fait tout de suite polémique.
Partisans de l’Avicenne médecin et de l’Avicenne philosophe s’accordent sur une idée : le savant, bien que lecteur de ses prédécesseurs, fut un créateur alors qu’Averroès ne fut qu’un commentateur – mais un remarquable commentateur. D’ailleurs, initialement spécialiste d’Averroès, Omar Merzoug s’est progressivement davantage intéressé à Avicenne.
De la vie privée d’Avicenne, on sait peu de choses : il soignait des personnes de haut rang et a lui-même exercé des responsabilités politiques, raison pour laquelle il s’exilait souvent, soumis aux jeux d’alliances et d’inimitiés des grands hommes qu’il approchait. Les textes d’Avicenne donnent une idée de sa personnalité : il avait conscience de sa grande valeur.

Intervenants
- Jean-Baptiste Brenet, professeur de philosophie arabe médiévale à Paris-I
- Omar Merzoug, docteur en philosophie et traducteur d’arabe, auteur d’une biographie d’Avicenne et enseignant
- Joël Chandelier, maître de conférence en histoire médiévale à Paris-VIII, spécialiste de l’histoire de la médecine
- Bénédicte Penn, conférencière et archiviste à la mairie de Bobigny
- Kamel Allaoui, médecin urgentiste
- Mathias Wargon, chef des urgences de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis
Merci à Joël Chandelier qui a traduit pour nous des extraits du Canon de la médecine.
Merci à Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, professeure d’anthropologie d’Asie du Sud à l’Inalco et psychologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny
Archive Ina : Meryem Sebti, philosophe, chercheur au CNRS, parle du concept d’aperception qui apparaît dans le thème de l’homme volant développé par Avicenne
1 min
Un documentaire de Virginie Bloch-Lainé, réalisé par Clotilde Pivin. Prises de son, Romain Luquiens et Mathieu Leroy. Mixage, Eric Boisset. Archives Ina, Manuela Dubessy. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Page web, Sylvia Favre.
Il aurait appris la médecine tout seul, "en passant", alors qu’il apprenait les autres sciences et la philosophie. Joël Chandelier, historien

Musique
- Extrait de Éperdument... Chant d'amour persans par Alireza Ghorbani (label Accords croisés, 2015)
- Paralyser* - Make it real - X-ALT par le goupe de rock canadien Suuns (label Secretly Canadian, 2016* et 2018)
- In Fantasia (album Lighght, 2014) de Kishi Bashi
- Madih, Musiques arabo-andalouses
Bibliographie
- La Médecine au temps des califes, à l’ombre d’Avicenne, œuvre collective, catalogue d’une exposition organisée à L’Institut du monde arabe (IMA) en 1996 (Snoeck-Dicaju et Zoon et l’IMA, 1996)
- Omar Merzoug, Avicenne ou l’Islam des Lumières (Flammarion, 2021)
- Joël Chandelier, L’Occident médiéval (400-1450) (Belin, collection Mondes anciens, 2021)
- Meryem Sebti, Avicenne. L’âme humaine (Puf, 2000)
- Jean-Baptiste Brenet, Robinson de Guadix, préface de Kamel Daoud, (Verdier, collection Philosophie, 2020)
- Jean-Baptiste Brenet, Je fantasme. Averroès et l’espace potentiel (Verdier, collection Philosophie, 2017)

Pour aller plus loin
- Canon de la médecine ( Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb -Livre des lois médicales-, vers 1020) d'Avicenne
- Parlez-vous hôpital Avicenne ?, une vidéo et bien plus sur le site savoirs.rfi.fr
- B. Ben Yahia : Avicenne médecin. Sa vie, son œuvre. Extrait de Revue d'histoire des sciences et de leurs applications (tome 5, n°4, 1952)
- Portrait d’Avicenne sur le site Médarus, dédié aux médecines et médecins du monde
- Dossier sur Avicenne proposé par le site pédagogique de la Bibliothèque nationale de France (BnF)
- Roshdi Rashed, Avicenne, "philosophe analytique" des mathématiques, extrait de Les Études philosophiques (n°117, 2016)
- Anne-Sophie Jouanneau, L’éthique et le miroir de l’âme selon Avicenne, extrait de Sens-Dessous (n°20, 2017)
- Radhi Jazi et Farouk Omar Asli, La pharmacopée d'Avicenne, paru dans la Revue d'histoire de la pharmacie (86ᵉ année, n°317, 1998)
- Les conceptions éducatives d’Avicenne (Ibn Sina) par Abdel Rahman Abdel Rahman Al-Naqib, directeur du Département des fondements de l’éducation à l’Université de Mansourah. Extrait de Perspectives, revue trimestrielle d’éducation comparée (n°1-2, 1993)
- Avicenne, Livre de la genèse et du retour, traduit par Yahya J. Michot (Oxford Centre for Islamic Studies)
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