Catherine Leroy (1944-2006), un regard oublié

Coupure de presse, mai 1967
Coupure de presse, mai 1967 - Archive de la Dotation Catherine Leroy
Coupure de presse, mai 1967 - Archive de la Dotation Catherine Leroy
Coupure de presse, mai 1967 - Archive de la Dotation Catherine Leroy
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Seule femme photographe à couvrir le conflit au Vietnam en tant que correspondante de guerre (1966-1968), première lauréate de la médaille d’or Robert Capa pour ses reportages sur la guerre civile au Liban, Catherine Leroy a imposé son regard sur le front des conflits, avant d'être oubliée.

Catherine Leroy prenait des photographies comme personne avant elle, précisément parce qu’elle ne savait pas ce qu’elle était censée faire. Elle a ouvert un champ dans la photographie.(..) Mais aussi elle a tracé un chemin pour les femmes. Elle était tellement mal traitée par ses collègues que ces exploits ont été minimisés. Elisabeth Becker

"Cathy" naît sous les bombardements d’une chaude nuit d’août 1944 sur les bords du lac d’Enghien. C’est une jeune fille têtue, frustrée par une vie d’interdits prescrits à son corps frêle, fragilisé par un asthme sévère. Plutôt que des activités physiques on préfère lui conseiller le piano. Sans demi mesure, elle se passionne alors pour le jazz et rêve de célébrité. Mais l’impatience viendra à bout de l’élan musical. Une passion chasse l'autre : ce sera le saut en parachute. Lors d’une leçon, elle fait la rencontre d’un parachutiste et photographe de guerre. C’est assez pour faire naître une idée qui va bientôt devenir une obsession : elle sera photographe de guerre.

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En 1966, elle quitte la France, un aller simple pour Saigon. Une centaine de dollars en poche, Cathy court de bureaux de presse en rédactions. Cette jeune fille de 21 ans, haute d’un mètre quarante-huit, dénote par sa pugnacité mêlée de candeur. On se souvient de ses yeux bleus perçants, de ses nattes blondes qui encadrent, sur sa poitrine, son Leica. Fille de la bourgeoisie catholique et conservatrice, Cathy doit apprendre le langage de la guerre, des hommes et de la violence. Bientôt, elle se met à jurer, s’équipe d’un treillis et réussit à vendre ses clichés quinze dollars à l'agence américaine Associated Press. En 1967, sur la colline 881, elle capture le visage d’un marine éploré qui tient dans ses bras un camarade mort lors de l'attaque. Chaque mère américaine croit reconnaître le corps de son fils, la photographie entre dans l’histoire. En noir et blanc, Catherine Leroy place son objectif à ras du sol et dans la proximité des corps, elle cherche les yeux des soldats.

Catherine Leroy photographiée par Gilles Caron pendant la guerre du Viêt  Nam (12.1967)
Catherine Leroy photographiée par Gilles Caron pendant la guerre du Viêt Nam (12.1967)
- Courtesy Fondation Gilles Caron/In-actua.com

Archive Ina : Catherine Leroy à propos de la bataille autour de Khe-Sanh (Viêtnam)

3 min

Elle avait un sens très physique de la proximité, elle voulait être là, très proche, collée. Elle ne travaillait pas avec des zooms ni des téléobjectifs : le zoom, c’est les jambes. Robert Pledge

Elle est la seule journaliste à participer et à photographier en plein saut l’intervention aéroportée "Junction City". Lors de l'offensive du Têt, durant la bataille de Hué, en 1968, elle est capturée par des soldats du Nord-Vietnam. Lors de sa détention, Catherine Leroy réalise un reportage publié dans le numéro de Life daté du 16 février 1968. Sa réputation est faite.

Catherine Leroy a vécu et capturé l’âge d’or du photoreportage : le Vietnam est le premier et dernier conflit non censuré. Après 1975, les Etats-Unis comprennent qu’une guerre se gagne (ou se perd) aussi sur le front des images. Au-delà de l’accès restreint aux zones de conflits, le combat entre l'image fixe et l'image mouvement change la donne. Cathy voit cette mutation spectaculaire alors qu’elle couvre les conflits au Liban, puis en Somalie, en Afghanistan et en Irak. Elle choisit de changer de vie, s'installe aux États-Unis et réalise des photos de mode. Mais ses obsessions demeurent, elle publie en 2005 Under Fire, Great Photographers and Writers in Vietnam. "Quand l’objectif atteint sa cible, c’est le photographe qui est touché" comprend-elle en 1985. Ce n’est que tardivement que la photographe confiera ses blessures - des tympans crevés, une quarantaine de cicatrices et des rêves hantés par des scènes de guerre. Elle s’éteint en 2006, à l’aube de ses soixante ans, à la fin d’une nuit qu’elle aurait jugé trop calme. Son œuvre, largement oubliée, est aujourd’hui redécouverte grâce au travail de la Dotation Catherine Leroy.

Viêt Nam, bataille de la colline 881, près de Khe Sanh (avril-mai 1967)
Viêt Nam, bataille de la colline 881, près de Khe Sanh (avril-mai 1967)
- Dotation Catherine Leroy

Légende complète, photo ci-dessus : Vernon Wike, aide-soignant de l'US Navy, auprès d'un camarade mortellement blessé.

Pour en parler

  • Elisabeth Becker, journaliste et auteure du livre You Dont Belong Here. How three women rewrote the story of War. Correspondante de guerre pour le Washington Post au Cambodge dans les années 1960 et 1970 puis correspondante politique étrangère pour la NPR et le New York Times, elle fait partie de l’équipe du quotidien qui décroche le prix Pulitzer 2002 pour sa couverture du 11 septembre
  • Christine Spengler, photographe et correspondante de guerre. Elle réalise sa première photographie de reportage au Tchad en 1970. Elle couvre pour Time, Paris Match et le New York Times quatorze conflits dont l’Irlande, le Cambodge et l’Iran. Elle rencontre Catherine Leroy à Beyrouth pendant la guerre civile libanaise
  • Robert Pledge, journaliste. Responsable de la revue d’art visuel Zoom, il prend la direction du bureau de Gamma aux États-Unis dans les années 1970 avant de fonder l’agence Contact Presse Image avec le photographe David Burnett. Il est co-fondateur de la Dotation Catherine Leroy

Lectures des lettres de Catherine Leroy,  Manon Clavel. Traduction par Lila Boses.

Archives Ina : À voix haute, à voix basse (France Inter, mars 1968) - Il fait toujours beau quelque part (Radio Canada, mai 1989)

Archive Ina : Catherine Leroy parle de son expérience de photoreporter de guerre à Roland Mehl

5 min

Générique

Un documentaire de Hannah Barron, réalisé par Yvon Croisier. Archives Ina, Ingrid Lecointe. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Page web, Sylvia Favre.

Un très grand merci à Dominique Deschavanne de la Dotation Catherine Leroy pour sa disponibilité et son aide précieuse.

Bibliographie

Bibliographie de Catherine Leroy : God Cried, Catherine Leroy et Tony Clifton (Quartet Books, 1983) - Under Fire, great photographers and writers in Vietnam (Random House, 2005). Filmographie de Catherine Leroy : Operation Last Patrol (1972), film documentaire de Catherine Leroy et Franck Cavestani. Autres auteurs : Elisabeth Becker, You dont belong here, How three women rewrote the story of War (Public Affairs/Hachette Books, 2021) - Christine Spengler, Une femme dans la guerre (Édition des Femmes, 2006) - Film : Cathy at war, film documentaire de Jacques Menasche (2016)

Musique

Billie Holiday, The end of a love affair, album Lady in satin (1958) et Travl’in Light - Edwin Star, War, album War and Peace (1970)

Pour en savoir plus

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