Madeleine Vionnet (1876-1975), sculpter les apparences

Dessin de modèle de Madeleine Vionnet, Musée Galliera, Paris, collection hiver 1912. Bibliothèque historique de la ville de Paris, acquisition Thérèse Bonney, http://www.palaisgalliera.paris.fr/
Dessin de modèle de Madeleine Vionnet, Musée Galliera, Paris, collection hiver 1912. Bibliothèque historique de la ville de Paris, acquisition Thérèse Bonney, http://www.palaisgalliera.paris.fr/ - Madeleine Vionnet
Dessin de modèle de Madeleine Vionnet, Musée Galliera, Paris, collection hiver 1912. Bibliothèque historique de la ville de Paris, acquisition Thérèse Bonney, http://www.palaisgalliera.paris.fr/ - Madeleine Vionnet
Dessin de modèle de Madeleine Vionnet, Musée Galliera, Paris, collection hiver 1912. Bibliothèque historique de la ville de Paris, acquisition Thérèse Bonney, http://www.palaisgalliera.paris.fr/ - Madeleine Vionnet
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Peu connue du grand public, Madeleine Vionnet est pourtant l’une des couturières les plus importantes de l’histoire de la mode.

Avec
  • Emmanuelle Garcin Restauratrice de matériaux textiles au Musée des Arts Décoratifs de Paris
  • Lydia Kamitsis Historienne de la mode, commissaire d’exposition indépendante
  • Georges Vigarello Historien, philosophe, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • Olivier Theyskens Styliste
  • Sophie Lemahieu Historienne de la mode.
  • Sophie Tiercelin Historienne de la mode

Avec ses longs drapés coupés en biais, cette figure phare de la haute couture parisienne de l’entre-deux-guerres a révolutionné la mode et métamorphosé la silhouette féminine. Madeleine Vionnet a été et continue d'être un modèle pour les couturiers les plus novateurs tels Balenciaga, Christian Dior, Azzedine Alaïa ou Issey Miyake. 

J'ai cherché à donner au tissu un équilibre tel que le mouvement ne déplace pas ses lignes mais les magnifie encore. (...) Quand une femme sourit, sa robe doit sourire avec elle. Madeleine Vionnet

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Brillante élève issue d’un milieu populaire, Madeleine Vionnet quitte l’école à douze ans pour apprendre le métier de couturière. Mariée à seize ans, elle décide de tout quitter après avoir perdu sa fille en bas âge. Elle s’expatrie alors à Londres pour apprendre l’anglais : d’abord blanchisseuse, elle est vite employée chez les maîtres tailleurs de Savile Row.

Les longs drapés coupés en biais sur cette robe de Madeleine Vionnet
Les longs drapés coupés en biais sur cette robe de Madeleine Vionnet
© Getty - Chicago History Museum

De retour à Paris en 1900, elle travaille chez les sœurs Callot Gerber, une des maisons de couture les plus réputées de l’époque, puis chez Jacques Doucet qui la charge de « rajeunir » sa ligne. Qu’à cela ne tienne, elle bannit le corset et raccourcit l’ourlet ! Mais sa modernité n’est pas du goût des clientes et du personnel… Afin d’affirmer sa ligne et ses idées, elle fonde en 1912 sa propre maison de couture.

Madeleine Vionnet a participé, en plus de la libération des tissus, à la libération des corps. Par exemple, lorsqu'elle travaille chez Jacques Doucet, elle fait aussi défiler devant les clientes ses mannequins pieds nus ou en sandales grecques. Elle veut libérer jusqu'au moindre doigt de pied. Sophie Tiercelin

Peu soucieuse des variations de la mode, Madeleine Vionnet s'attache à la structure des robes dont elle révolutionne les principes. Elle transforme radicalement la conception du vêtement en substituant la traditionnelle coupe dans le droit fil par une coupe en biais des tissus.

Un portrait de Madeleine Vionnet
Un portrait de Madeleine Vionnet
© Radio France - Juliette Ilher

Exit le dessin sur patrons, Madeleine Vionnet travaille comme une sculptrice et modèle mousselines, satins, velours et crêpe de soie directement sur son petit mannequin en bois de palissandre. Fascinée par la Grèce antique, elle tente de réinventer le drapé libre en réduisant les coutures et les attaches. Ses drapés blancs et fluides seront sa signature.

Elle arrive après une mode qui était très extravagante, très vibrante - après Paul Poiret, après des teintes violettes et oranges très violentes, des verts complètement fous... Et elle, s'adresse à une femme qui est peut-être plus discrète, qui est plus sensible, plus subtile, qui souhaite montrer son intelligence et sa beauté intérieure par quelque chose de plus doux, de plus subtil, de plus intelligemment construit. Sophie Tiercelin

Sa parfaite compréhension des possibilités des tissus et l’exploitation inédite du biais sont mises au service des principes qui la guideront toujours : la valorisation des formes naturelles et la liberté de mouvements recherché par les femmes. Ce n’est plus au corps de s’adapter au vêtement, mais au vêtement de suivre la silhouette sans l’exhiber. L’exigence esthétique rejoint une revendication existentielle : promouvoir une femme libre et libérée.

Madeleine Vionnet modelant une robe sur son petit mannequin en bois, vers 1930
Madeleine Vionnet modelant une robe sur son petit mannequin en bois, vers 1930
© Getty - Hulton Archive

Cheffe d’entreprise extraordinaire, socialiste avant l’heure, Madeleine Vionnet remplace les tabourets par des chaises pour soigner les lombaires de ses employées, augmente leur paie, prodigue des formations, fournit une crèche aux mamans et des congés payés bien avant qu’une loi l’y oblige. En 1939, sa maison de couture ferme et tombe progressivement dans l’oubli. Madeleine Vionnet meurt pourtant à presque cent ans et jouera jusqu’à la fin un rôle important dans l’actualité de la mode. 

Sa vie n'existait que pour son art. Elle disait elle-même qu'elle considérait que son travail était une sorte d'"apostolat", terme très fort. Cela donne la dimension de cette abnégation totale au profit de son art. Lydia Kamitsis

Logotype de la maison Vionnet dessiné par Ernesto Thayaht, 1919
Logotype de la maison Vionnet dessiné par Ernesto Thayaht, 1919
© Getty - Ernesto Thayaht

Avec Lydia Kamitsis, historienne de la mode, commissaire d’exposition indépendante ; Sophie Tiercelin, historienne de la mode ; Georges Vigarello, historien ; Olivier Theyskens, styliste ; Sophie Lemahieu, historienne de la mode et Emmanuelle Garcin, restauratrice de matériaux textiles au Musée des Arts Décoratifs de Paris.

Textes lus par la comédienne Catherine Ferran.

Remerciements à Jéromine Savignon pour ses entretiens avec Denise Maillet, Première Main de la maison Vionnet, réalisés et diffusés sur Paris Première, dans l'émission "Paris Modes", présentée par Marie-Christiane Marek en 1995. 

Un documentaire de Juliette Ihler, réalisé par Marie Plaçais. Prises de son : Lucien Lefebvre, Manon Houssin et Sylvain Latu. Mixage : Eric Villenfin. Documentation et recherche internet : Annelise Signoret ; Archives INA : Manuella Dubessy ; Collaboration : Maud Jussaume.

Bibliographie :

- Madeleine Vionnet, ma mère et moi, l’éblouissement de la haute couture, de Madeleine Chapsal, Edition J’ai Lu, 2011 

- La chair de la robe, de Madeleine Chapsal, Edition Fayard, 1989  

- Madeleine Vionnet : Créatrice de mode, de Sophie Dalloz-Ramaux, Editions Cabédita, 2006

- Madeleine Vionnet : Puriste de la mode, sous la direction de Pamela Golbin, Editions Les Arts Décoratifs, 2009 

- Madeleine Vionnet : Mémoire de la Mode, de Lydia Kamitsis, Editions Assouline, 2000

- La robe. Une histoire culturelle – Du Moyen Âge à aujourd’hui, de Georges Vigarello, Seuil, 2017  

- Des idées dans la garde-robe, Grosse philosophie de la mode, de Juliette Ihler et Cécile Dormeau, Edition Delcourt, 2019

- Histoire des modes et du vêtement, du Moyen Age au XXIe siècle, sous la direction de Denis Bruna et Chloé Demey, Editions Textuel, 2018

- Qu’est-ce que je fais là ? de Bruce Chatwin, Edition Grasset, 1991

- Le site d’Olivier Theyskens

- L’ instagram d’Olivier Theyskens

- Souvenirs involontaires, de Madeleine Chapsal, Edition Fayard, 2015

- L’Esprit Vionnet, de Jéromine Savignon, Université de la Mode de Lyon, 1994

Pour aller plus loin...

Madeleine Vionnet, puriste de la mode. Présentation de l’ exposition proposée par le Musée des arts décoratifs en 2009-2010.

Les carnets de croquis de Madeleine Vionnet, numérisés par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris

Vionnet : des sabots… à la haute couture. Histoire de la famille Vionnet, par Jean-Marie Vionnet.

La vie et le secret de Madeleine Vionnet : portrait publié dans Marie-Claire du 28 mai 1937, et consultable sur Gallica.

Madeleine Vionnet : à la redécouverte de l’antiquité grecque, par Sophie Tiercelin, Ecole du Louvre.

Conserver et restaurer la Haute-Couture. L'exemple de Madeleine Vionnet : Retransmission audio du colloque des 14 et 15 janvier 2010, en ligne sur le site de l’Institut national du patrimoine.

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La Fashion Week, calendrier et bande-annonce visibles sur le site de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode

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