

Au cours du XXe siècle, Nietzsche a été accusé, à tort, d’être un penseur nationaliste et belliciste. Certaines de ses idées ont été mal, voire dramatiquement interprétées. En éclairant son rapport à l’Allemagne, nous revenons aujourd’hui sur les aspects politiques de sa biographie et de sa pensée.
- Céline Denat Maîtresse de conférences à l’Université de Reims-Champagne-Ardennes, spécialiste de philosophie allemande moderne, membre et coordinatrice du Groupe international de Recherches sur Nietzsche
- Georges-Arthur Goldschmidt Professeur d'allemand, écrivain, essayiste et traducteur.
- Emmanuel Salanskis maître de conférences à l’Université de Strasbourg, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Paris et agrégé de philosophie
- Michèle Cohen-Halimi philosophe, professeure de philosophie à l’université Paris 8
- Patrick Wotling ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de philosophie, directeur du département de philosophie de l’Université de Reims et fondateur du Groupe International de Recherches sur Nietzsche
Nietzsche naît le 15 octobre 1844 à Röcken, dans une région à l’époque annexée à la Prusse. Après le collège et à la demande de sa mère, il entreprend d’abord des études de théologie à Bonn. Ce domaine ne l’intéresse absolument pas mais il se passionne en revanche pour la philologie, soit l’étude des lettres classiques et en particulier du grec. Il retirera de cette formation une culture encyclopédique de la Grèce antique, qui sera déterminante dans sa pratique de la philosophie, par exemple dans son premier livre publié, La Naissance de la tragédie (1872).

Le 8 novembre 1866, à Leipzig, Nietzsche rencontre Richard Wagner lors d’un dîner. Ce dernier lui expose rapidement son projet de faire construire, à Bayreuth, un théâtre où l’on ne jouerait que ses propres opéras, et qui pourrait être le lieu de l’intensification de la culture et de l’esprit allemand. Dans un premier temps, Nietzsche s’enthousiasme pour ce projet.
Archive INA : Georges Bataille à propos du rire tragique selon Nietzsche, diffusé le 14 janvier 1959
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Il faut préciser qu’à cette époque, l’Allemagne n’existe pas en tant que pays unifié : elle ne correspond qu’à un ensemble d’une trentaine d’États indépendants liés uniquement par une langue et une culture partagées. Le jeune Nietzsche est le témoin de l’unification progressive des États allemands en une nation aux frontières politiques établies. Le processus commence en 1866, lorsque la Prusse remporte la guerre qu’elle menait contre l’Autriche : la Prusse va alors essayer d’unifier les États allemands autour d’elle, par la domination militaire. C’est chose faite avec la victoire sur la France en janvier 1871 : de l’écrasement de la France naît le deuxième Reich allemand. Un temps infirmier pendant la guerre, Nietzsche, qui a renoncé à sa nationalité prussienne en 1869, arrive rapidement à la conclusion que cette boucherie signe le déclin irrévocable de la culture allemande, qui a cédé à ses yeux aux sirènes du nationalisme. Cette victoire de l'Empire allemand le met ainsi en porte-à-faux complet avec l'enthousiasme de Wagner, qui lui se réjouit et appelle de ses vœux une véritable hégémonie allemande en Europe.

A partir de là, le chemin politique que prend Nietzsche est mal connu, et souvent confondu avec la caricature qu’en ont fait les tenants du régime national-socialiste. Nietzsche serait, d'après cette lecture falsificatrice, le penseur de l'écrasement des faibles, de la sélection biologique raciste, de la volonté de domination. Il convient donc de revenir sur certaines erreurs de lecture et de traduction, afin de ne pas reconduire cette lecture biaisée, qui n’emprunte pas grand chose à la véritable pensée de Nietzsche.
Archive INA : Sarah Kofman parlant du langage métaphorique dans l'œuvre de Nietzsche, diffusé le 19 mai 1972 sur France Culture
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Avec : Michèle Cohen-Halimi, professeure de philosophie à l'Université Paris 8 ; Céline Denat, maître de conférences en philosophie à l'Université de Reims ; Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain, germaniste, et traducteur de Nietzsche ; Emmanuel Salanskis, maître de conférences en philosophie à l'Université de Strasbourg ; Patrick Wotling, professeur de philosophie à l'Université de Reims.
Lecture des textes : Michel Vuillermoz, de la Comédie française.
Un documentaire de Colomba Grossi réalisé par Vincent Decque. Documentation et recherche internet : Annelise Signoret. Collaboration : Suzanne Saint-Cast.
Références des textes lus (dans l'ordre de diffusion) :
- Ecce homo (1888), « Pourquoi je suis un destin » §1. Traduction Eric Blondel, Flammarion, 1992.
- Lettre à Erwin Rohde, 1870, Correspondance, tome II. Traduction de Jean Lacoste, édition établie par Giorgio Colli et Mazzino Montinari. Gallimard, 2015.
- Le Gai savoir (1882), §377 - « Nous, sans patrie ». Traduction de Patrick Wotling, édition Flammarion, 1997.
- Ainsi parlait Zarathoustra, première partie (1883), « Prologue de Zarathoustra » §3. Traduction de Georges-Arthur Goldschmidt. Le livre de poche, 1983.
Les œuvres de Nietzsche mentionnées pendant l'émission :
- La Naissance de la tragédie, 1872
- La Philosophie à l'époque tragique des Grecs, 1872
- Les conférences Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement, 1872
- Humain, trop humain. Un livre pour esprits libres, 1878
- Aurore. Pensées sur les préjugés moraux, 1881
- Le Gai savoir, 1882
- Ainsi parlait Zarathoustra, 1883-1885
- Par-delà bien et mal, 1886
- La Généalogie de la morale, 1887
- Ecce homo, Comment on devient ce qu'on est, 1888
Bibliographie :
Œuvres de Nietzsche
- Nietzsche, Œuvres, tome I, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2000.
- Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, édition de Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Gallimard. Cette édition comprend aussi les fragments posthumes de Nietzsche, des textes de longueur variable non publiés de son vivant, numérotés et écrits dans différents cahiers.
- Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt, Le Livre de poche, 1983.
Littérature secondaire
- Georges-Arthur Goldschmidt, "Nietzsche pour tous et pour personne"
- Emmanuel Salanskis, Nietzsche, Les Belles lettres, 2015.
- Emmanuel Salanskis, "Nietzsche sur l'eugénisme et sa justification machiavélienne"
- Patrick Wotling, Nietzsche, collection Idées reçues, Le Cavalier bleu, 2009.
- Céline Denat, Nietzsche, Généalogie d'une pensée, Belin, 2016.
- Keith Ansell-Pearson, An Introduction to Nietzsche as Political Thinker, Cambridge University Press, 1994.
Pour aller plus loin...
- Yann Porte (docteur en philosophie) : Le siège de Metz en 1870. La guerre de Nietzsche comme expérience intérieure. A lire dans la revue Le Portique n°21, 2008.
- Sur le site Nietzsche à la lettre, on peut lire les lettres adressées à Richard Wagner.
- Lire Nietzsche dans le texte, c’est possible grâce à la version allemande du projet Gütenberg : La naissance de la tragédie, Ainsi parlait Zarathustra, Le gai savoir,… en ligne, en allemand.
- HyperNietzsche : Site animé par l’association éponyme, fondée à l’ENS en 2001 : études, manuscrits, conférences, actualités…
- Le premier diagnostic du jeune Nietzsche sur la disparition de la culture classique ou la fin d’un type d’humanité. Communication de Michèle Cohen-Halimi au séminaire organisé le groupe Métaphysique, critique et politique de l’université de Madrid (2015-2016).
- Nietzsche et la politique : rencontre avec Dorian Astor, auteur d’une biographie de Nietzsche en 2011. Rencontre organisée par l’association : Devenons Citoyens (2015)
- L’unité de la Kultur et de la politique chez Nietzsche. Thèse d’Uchenna Osigwe présentée pour l’obtention du grade de docteur en philosophie, Université de Laval, Québec, 2011.
- Nietzsche et les anarchistes, une influence paradoxale? A propos du livre de Max Leroy, Dionysos au drapeau noir : Nietzsche et les anarchistes (2014). A lire dans Slate 21 novembre 2014.
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