

Dans le Paris de l'entre-deux-guerres et bien avant les indépendances, Paulette Nardal et ses sœurs ouvrent les pages des revues à une problématique incandescente : la condition noire dans le monde.
À Paris, la "vogue nègre" entre revues musicales, music-hall, publications, débats, ouvre pour les noirs venus du monde entier - tirailleurs des colonies démobilisés, Caribéens, Africain-Américains- une nouvelle ère au cœur des années folles. Ils découvrent une liberté inédite pour la plupart d'entre eux. Paulette Nardal arrive en 1921, année où le prix Goncourt est décerné au Guyanais René Maran. Débarquée de Martinique, elle vit cette circulation intense et inédite des journaux et revues, suivant des courants divers, assimilationnistes ou internationalistes noirs.
"Nous voulons imposer le respect dû à notre race, ainsi que son égalité avec toutes les autres races du monde, ce qui est son droit et notre devoir, et nous nous appelons Nègres !" La voix des Nègres, publication du Comité de la Race Nègre (1927).
Paulette Nardal est une des premières bachelières d’origine afro-descendante à aller à la Sorbonne. Elle consacre son mémoire à Harriet Beecher Stowe, auteure abolitionniste de La Case de l’oncle Tom mais elle doit, sous la pression de son professeur, élargir son sujet à l’étude du puritanisme de La Nouvelle Angleterre… Il lui faut ouvrir son horizon ? C’est chez elle qu’elle fera venir la diaspora noire en pleine effervescence !
Les sept sœurs transforment leur appartement de Clamart en salon. À l'heure du thé, entre auteurs et artistes des différents empires, africains, caribéens et africains-américains, les conversations vont bon train. Découverte des negro-spirituals, poésies déclamées, peut-être celles de Claude McKay ou Langston Hugues. Nous ne le saurons jamais. Paulette Nardal n'a pas fait récit de ces dimanches là. Mais, ce qui est certain, c'est que cet espace de rencontre devient un relais des pensées avant-gardistes de la diaspora. Si la Harlem Renaissance est coordonnée par Alan Locke aux États-Unis, elle l’est à Paris par Paulette Nardal. Et Paulette n’est jamais seule, ses sœurs forment un aréopage de femmes se serrant les coudes, toutes aussi instruites, volontaires et talentueuses.
Paulette et sa sœur Jane fondent avec le Dr Léo Sajous, en 1931 La Revue du Monde noir, une revue bilingue français-anglais qui part en quête de "l'âme nègre" et entend réhabiliter la civilisation noire, la culture africaine, les "valeurs de la race". Un des articles remarquable de la revue publié par Paulette Nardal, Éveil de la conscience de la race, apparaît aujourd'hui comme un véritable prélude au mouvement de la négritude porté quelques années plus tard par Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Leon Gontran Damas.
"Créer entre les Noirs du monde entier, sans distinction de nationalité, un lien intellectuel et moral qui leur permette de se mieux connaître, de s’aimer fraternellement, de défendre plus efficacement leurs intérêts collectifs et d’illustrer leur Race, tel est le triple but que poursuivra" La Revue du Monde noir
Mais ce que l’on oublie souvent, c’est que Paulette fut aussi une femme d’action. Dès 1945, elle fonde le Rassemblement féminin en Martinique et se mobilise pour que les femmes martiniquaises exercent leur droit de vote dès qu'elles l'acquièrent.
Pour en parler
- Brent Hayes Edward, professeur de littérature comparée à l'Université de Columbia
- Jennifer Boittin, professeure d'études francophones et d'histoire à l'Université d'État de Pennsylvanie
- Etienne Achille, fils de Louis-Thomas Achille, cousin germain de Paulette Nardal, il collabore à la création de la Revue du Monde Noir
- Sarah Frioux, responsable des archives et de la documentation des collections à la médiathèque du musée du quai Branly. Commissaire de l'exposition du quai Branly L’Atlantique Noir de Nancy Cunard
- Eve Gianoncelli, docteure en sciences politiques. Ses recherches portent sur les processus de constitution - problématiques – de femmes comme intellectuelles au XXe siècle
- Maître Catherine Marceline, avocate à la Cour en Martinique, membre de l’association "Paulette Nardal au Panthéon”
- Philippe Grollemund, auteur de Fiertés de femme noire. Entretiens / Mémoires de Paulette Nardal (L'Harmattan, 2019). Membre de la chorale Joie de Chanter créée par Paulette Nardal
"Femmes à fleur de peau", "À la recherche de Jeanne et Paulette Nardal" dans "Interception"
5 min
Bibliographie
- Brent Hayes Edward, The Practice of Diaspora. Littérature, Translation, and the Rise of Black Internationalism (Harvard University Press, 2003)
- Jennifer Boittin, Colonial Metropolis : The Urban Grounds of Anti-Imperialism and Feminism in Interwar Paris (University of Nebraska Press, Lincoln and London, 2010)
- Philippe Grollemund, Fiertés de femmes noires. Entretiens / Mémoires de Paulette Nardal (L'Harmattan, 2019)
Générique
Un documentaire de Nedjma Bouakra, réalisée par Annabelle Brouard. Prise de son, Benjamin Perru. Mixage, Claude Niort. Archives Ina, Véronique de Saint Pastou. Page web, Sylvia Favre.
Lecture des textes, Mariann Matheus
Musique : Advantage Points, Chilly Gonzales
Pour en savoir plus
- Paulette Nardal, théoricienne oubliée de la négritude, portrait par Léa Mormin-Chauvac, publié sur le site Libération.fr (26.02.2019)
- Félix Jeanne Paule dite Paulette Nardal, sur le site de Louis Thomas Achille
- Le point sur "Voix panafricaines à Paris (1920-1950). De la Voix des Nègres à Présence africaine" sur le site Journals OpenEdition par Sarah Frioux-Salgasp (pages 135-141)
- La pensée conquise par Eve Gianoncelli sur le site Paulette Nardal au Panthéon
- Biographie de Paulette Nardal sur le site de la Fondation pour la Mémoire de l'Esclavage
- Le "Rassemblement féminin" (1945-1951) : à la croisée des différents réseaux de Paulette Nardal par Clara Palmiste pour Flammes sur le site de l'université de Limoges (05.10.2021)
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