Retour à la terre, un défi du XXIème siècle, avec Silvia Pérez-Vitoria (1/5) / Oriane Jeancourt / Laurent Nunez

Retour à la terre, un défi du XXIème siècle, avec Silvia Pérez-Vitoria (1/5) / Oriane Jeancourt / Laurent Nunez
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Série : Retour à la terre, un défi du XXIème siècle Tête chercheuse de la semaine : Silvia Pérez-Vitoria Economiste, sociologue et documentariste, Silvia Pérez-Vitoria a réalisé des films documentaires sur les questions agricoles et paysannes aux Etats-Unis, en Espagne, en France, au Mexique, en Roumanie, en Erythrée, au Nicaragua… En Italie, son ouvrage Les paysans sont de retour a reçu le prix Farmers’ friend 2008 et le prix *Nonino * 2009. Il est également traduit en allemand et en espagnol. Aujourd’hui considérée comme l'une des meilleures spécialistes des mouvements paysans alternatifs du monde entier, elle collabore notamment à L'Ecologiste et à la revue Nature et Progrès .

Paysan
Paysan

**Premier épisode : Les nouveaux mouvements paysans ** Une des bonnes résolutions pour la nouvelle année est de revoir notre rapport à la terre. En effet, aujourd'hui, aucun Etat, aucune politique publique ne donne la priorité aux agricultures paysannes. Pourtant, redonner toute leur place aux paysans contribue à la création d'emplois. Les savoirs et savoir faire paysans enrichissent notre vision du monde et de la nature (permet de lutter contre les pertes de diversité biologique et culturelle), prodiguent une autre occupation de l'espace et des rapports villes-campagnes (limites de l'agriculture urbaine), en outre, une agriculture paysanne permet de faire des économies (en subventions, en coût pour la sécurité sociale et pour l'environnement), on réduit alors la marchandisation de la nature. Depuis quelques années, des collectifs se battent pour qu'une autre paysannerie soit possible. Cette semaine, notre tête chercheuse nous donne les clés pour comprendre le sens de ce défi.

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Partenariat avec le magazine Transfuge :La chronique d'Oriane Jeancourt, rédactrice en chef littérature du magazine Transfuge Aujourd'hui : Oriane Jeancourt évoque les jeunes de la rentrée littéraire avec deux coups de coeur:

  • Histoire de la violence , d'Edouard Louis au Seuil, sortie le 7 janvier
  • Fabrication de la Guerre Civile , de Charles Robinson au Seuil

La chronique de Laurent Nunez, rédacteur en chef culture du Magazine Marianne Ses coups de coeur littéraire de la rentrée 2016:

  • **L'Autre Joseph, ** de Kéthévane Davrichewi chez Sabine Wespieser
  • Envoyée Spéciale de Jean Echenoz aux éditions de Minuit
  • Celle que vous croyez , Camille Laurens chez Gallimard
  • Je ne voulais pas être moi , de Claude Arnaud chez Grasset
  • A la table des hommes , de Sylvie Germain chez Albin Michel
Laurent Nunez
Laurent Nunez
© Radio France - Anaïs Ysebaert

***La sociologie est un sport de béats. * ** Histoire de la violence , c’est le nouveau livre d’Édouard Louis, feu Eddy Bellegueule , vous vous souvenez, qui avait changé de nom, de ville et de rang, dans son premier texte, pas une autofiction, mais une autobiographie, vraie de vraie. Et c’est donc à un autre texte véridique que nous sommes confrontés en cette rentrée de janvier, puisque comme vient de l’avouer l’auteur dans une interview à *Livres Hebdo * : « Dans ce livre, il n’y a pas une ligne de fiction ». On se sent mal à l’aise devant ce genre de remarques, comme si la fiction était une maladie honteuse. Si l’on devait vraiment écrire une histoire de la violence, on commencerait par là : par les brutes qui nous imposent leur vision du monde, en jurant que c’est le réel. Bref, ça commence mal. C’est donc l’histoire d’Édouard, et de ses deux meilleurs amis, Geoffroy de Lagasnerie et Didier Eribon. Ils s’offrent des livres de Claude Simon et de Nietzche, en Pléiade bien sûr. Ils boivent du vin en écoutant de l’opéra. Et puis, un soir de Noël, alors qu’Édouard rentre tranquillement chez lui, il croise un garçon kabyle : Reda. Il a un pantalon de jogging et du shit dans la poche de son pantalon de jogging. C’est Noël, il fait froid, Réda n’est pas mal, alors Édouard l’invite à monter chez lui. Sur le lit, ils discutent, mais Édouard remarque que son téléphone a disparu. Oh ! Reda ! Le jeune kabyle sort un pistolet. Il insulte Edouard Louis. Il étrangle Edouard Louis. Il viole Edouard Louis. Et puis il s’enfuit. (En murmurant : « Je suis désolé. Pardon. ») Mais ce n’est pas fini. Hôpital. Commissariat. Edouard Louis révèle tout ce qu’il sait du jeune homme, et même du père de Réda, qui vivait dans un foyer de travailleurs. Longs tunnels sur l’émigration, le racisme, la misère, pour expliquer comment ces choses-là se produisent… Parce que bien sûr Réda n’est pour presque rien dans ses actes. C’est une violence culturelle qui le traverse et qui l’inspire… Pauvre, pauvre marionnette, qui étrangle et viole les gens contre son gré… « *La sociologie m’a permis de réaliser que la violence est produite par des structures sociales. », * assurait Edouard Louis il y a quelques mois.

Bref, c’est un livre qui nous a beaucoup étonnés, et déplus. Déplus aussi pour sa construction : Édouard raconte ce qui s’est passé à sa sœur, et sa sœur reraconte tout cela à sa manière. Et comme sa sœur, Clara, est un peu simple et qu’elle n’habite pas à Paris, elle retranscrit la réalité à coups d’idées reçues et de phrases syntaxiquement incorrectes. On trouve donc, sur une même page, imaginez ! - le dialogue de Clara et de son époux – mal construit, fautif, simpliste et entre parenthèses et en italiques, les remarques d’Édouard Louis, posées, en bon français, avec du subjonctif. Le même artifice apparaissait dans Pour en finir avec Eddy Bellegueule , et déjà beaucoup de critiques déplorait cela. Je parle d’artifice à dessein, et parce que l’auteur dirait qu’au contraire, c’est vrai, « vrai de vrai », que lui parle comme ceci et que sa sœur parle comme cela. Mais j’appelle artifice cette façon de plaquer et d’opposer les deux façons de penser, et d’avoir, comme par hasard, le beau rôle. C’est facile, de bien s’en sortir, quand on est celui qui tient la plume et qui publie le livre.

Encore une chose : les mâchoires se serrent lorsque je lis un témoignage où le narrateur recule au moment de porter plainte. « Comment est-ce qu’on peut croire que ce genre de procédure fait du bien ? Je ne voulais pas porter plainte, à cause de ma détestation de la répression, parce que je pensais que Réda ne méritait pas d’aller en prison. » Non ! Trois fois non ! On peut tout de même penser que les violeurs, même s’ils ont eu une enfance très difficile, méritent d’être jugés et condamnés. Il ne s’agit vraiment pas de répression juste d’être responsable de ses actes. Et voilà : vous voyez ce que ces pages ont fait de moi ? Je vais vous dire un grand secret : je ne serais pas surpris si ce récit participait encore un peu plus de l’extrême droitisation de la pensée en France.

On ferme ce nouveau livre dont on attendait beaucoup dans la tristesse et l’agacement : à quoi bon tant admirer Bourdieu, si c’est pour écrire un livre qu’encensera Zemmour ?

Laurent Nunez

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