Elle s’appelait Eva Salinger. Victime du nazisme comme des millions d'anonymes, son souvenir s'était perdu. Son nom est aujourd'hui inscrit dans le sol à Berlin, sur une Stolperstein.
En 1993, le sculpteur et artiste allemand Gunter Demnig, entame un travail sur les victimes du 3ème Reich, destiné à leur rendre une histoire individuelle. Il crée et encastre, au départ illégalement, sur les trottoirs de plusieurs villes allemandes de petits carré de métal de 10 cm de côté sur lequel il grave à la main, le nom, la date de naissance et le destin individuel de la victime devant le dernier lieu où elle vécut librement. Il baptise ces pierres Stolpersteine, littéralement pierres d'achoppement, pierres sur lesquelles on trébuche.
On parle aussi du plus grand mémorial décentralisé du monde. Claire Kaiser
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Dès 1996, à la demande de descendants de victimes, de voisins, de comités de quartiers, il en pose dans toute l’Allemagne, puis au-delà des frontières du pays. Il y en a aujourd’hui et plus de 8 000 à Berlin et plus de 71 000 en Europe.
1er épisode : à la recherche d'une inconnue
Le 21 février dernier, une Stolperstein a été posée à Berlin en mémoire d’Eva Salinger, arrêtée le 29 octobre 1941 et assassinée deux ans plus tard, dans le camp d’extermination de Chełmno, peu de temps après avoir été déportée du ghetto de Lodz. C’est son petit neveu Joachim Salinger qui en a fait la demande. Il veut rendre hommage à cette tante oubliée, mère célibataire, l’une des seules de la famille Salinger à ne pas avoir pu quitter l’Allemagne à temps. Et dont le souvenir s'est dissous dans une mémoire familiale douloureuse. Lorsqu'il entame ses recherches, Joachim n'est pas même sûr de son prénom.
Il est en revanche convaincu que le projet des Stolpersteine, est le plus pertinent pour le travail de mémoire. Ces petits pavés de laiton de 10 cm sur 10 cm, permettent l’hommage individuel, tout en rendant compte de la dimension européenne des persécutions nazis, puisqu’on en trouve aujourd’hui dans la plupart des villes d’Europe, y compris en France.
Les Stolpersteine sont disséminées dans les rues européennes et on bute dessus par hasard. C'est une manière de faire ressurgir de façon inopinée le souvenir à un moment où on ne s'y attendait pas. Le souvenir resurgit de souvent de façon d'autant plus forte que c'est le fruit du hasard. On peut être en train de se promener ou de faire ses courses et tout à coup on a un retour du passé. On peut s'arrêter ou pas. Quand on s'arrête, on est obligé de se pencher, de déchiffrer ce qu'il y a sur les pavés, donc il y a vraiment un acte volontaire d'appropriation du passé. Claire Kaiser
Archive INA : La fabrique de l'Histoire. France Culture 23/02/2004 Joseph Nisenman, à l'origine des plaques apposées sur des écoles de Paris à la mémoire des enfants juifs déportés
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Depuis huit ans, Joachim enquête auprès des différentes institutions (allemandes, françaises, et britanniques), pour comprendre qui était cette mystérieuse mère célibataire, abandonnée à elle-même, dans une Allemagne de plus en plus hostile. Peu à peu, il suit la trace de sa grande tante, reconstitue sa lente chute sociale. Mais aussi comment elle réussit in extremis à sauver sa fille unique Ruth, 7 ans, exfiltrée vers la Grande Bretagne en 1939, grâce aux Kindertransport, opération humanitaire lancée neuf mois avant la déclaration de guerre.
Avec Joachim Salinger, petit neveu d’Eva Salinger ; Bernd Meyer, habitant du 31 Lothringerstrasse ; Melanie Schaumann, présidente du comité Stolpersteine du quartier de Lothringerstrasse ; Claire Kaiser, maîtresse de conférence à l'Université Bordeaux Montaigne.
Un documentaire de Zoé Sfez, réalisé par Jean-Philippe Navarre. Archives INA : Anne Brulant. Recherche internet et documentation : Annelise Signoret. Collaboration Juliette Testa avec Lucie Rebière.
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Bibliographie :
Dossier sur le mémorial des Stolpersteine en France et en Allemagne, dans la revue Allemagne d’aujourd’hui n°225 (2018)
Kindertransport - pièce de théâtre en anglais de Diane Samuels
Un roman d'Allemagne - Régine Robin, Éditions Stock
Pour aller plus loin :
Site des Stolpersteine
Site officiel de Gunter Demnig
Les Stolpersteine, un symbole des rues allemandes. A voir sur Arte.tv
Documenter, rechercher, informer, perpétuer la mémoire : c’est ce que propose le Service International de Recherches sur les victimes du nazisme
Pour les germanophones, cet excellent dossier multimédia de la radio culturelle allemande SWR2 sur les Stolpersteine
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