

En 1917, les sculptrices Jane Poupelet et Anna Coleman Ladd ouvrent à Paris un atelier de reconstruction faciale, le "Studio for Portait Masks". Elles prennent alors le relais des médecins, pour redonner un visage aux "gueules cassées".
Les deux sculptrices installent leur atelier des masques au 86, rue Notre-Dame-des-Champs, à Paris. Elles sont quatre femmes et un homme à travailler, six jours par semaine, pour un salaire dérisoire.
Dès l’ouverture, les blessés affluent dans l’espoir de retrouver leur identité arrachée.
Il est malheureusement certain qu'un visage défiguré, inspirant le dégoût ou l'horreur, malgré la pitié et le respect dus aux victimes de la Grande Guerre, leur porterait un préjudice considérable... Les masques restent un complément indispensable de la chirurgie plastique. Léon Dufourmentel, chirurgien (1919)
Grâce aux différentes conférences que donne Anna Coleman Ladd dans les hôpitaux de France où elle vante les mérites de ses masques, l’atelier gagne en visibilité. Rapidement c'est un succès, elles reçoivent de nombreuses commandes d'Europe et des Etats-Unis.
La confection des masques est un long processus qui se déroule en quatre étapes durant lesquelles, minutieusement, les sculptrices ajustent, cisèlent, peignent les prothèses pour qu'elles correspondent à la physionomie de chaque soldat.

Mon objectif n'était pas simplement de fournir à un homme un masque pour cacher son affreuse mutilation, mais de mettre dans le masque, une part de cet homme, c'est-à-dire, l'homme qu'il était avant la tragédie. Anna Coleman Ladd, sculptrice
Les masques permettent aux défigurés de se réinsérer dans la société, de circuler dans les rues et même de retrouver un travail.
Cependant, malgré leur utilité, les masques présentent plusieurs inconvénients, notamment sur le plan politique.

Le visage mutilé est "dangereux à voir", "tabou", parce qu’il montre sans détour l’horreur de la guerre, une horreur sans précédent, due au caractère industriel du conflit. Le blessé de la face arbore de manière trop perturbante qu’il a sacrifié pour la Nation une partie de lui-même que celle-là est totalement incapable de lui restituer, à savoir son identité et son humanité. [...] La mise en place de masques destinés à camoufler les blessures doit dès lors être interprétée comme faisant partie d’un dispositif de censure élargi, qui vise à faire disparaître, autant que possible, les visages mutilés du champ de vision. Il s’agit, avec les masques, de faire écran, de gommer une réalité dérangeante et menaçante pour l’ordre social. Enfiler un masque revient ainsi, pour son propriétaire, à contracter un pacte par lequel il s’engage et consent à ne pas troubler l’ordre en dissimulant sa chair meurtrie. Ada Ackerman, historienne de l'art
Au début des années 20, l'atelier des masques ferme ses portes. L’après-guerre est à l’oubli et au déni, et les femmes comme les gueules cassées disparaîtront longuement du récit national. Ni droit de vote pour les unes ni d'aide supplémentaire pour les autres.

Jane Poupelet n'échappera pas à cet oubli. Malgré une reconnaissance internationale de son vivant, la sculptrice ne sera redécouverte que dans les années 2000, à l'occasion d'une grande rétrospective de son œuvre. Son style vif et épuré, ses formes quasi abstraites dessinaient les prémices d'un nouveau courant de la sculpture.

Inspirée par la militante Hubertine Auclert et par les féministes anglo-saxonnes, Jane Poupelet a toujours cultivé son autonomie et sa liberté.
Intervenants
- Ada Ackerman, historienne de l’art
- Guillaume Pigeard de Gurbert, professeur agrégé et docteur en philosophie
- Anne Rivière-Petitot, historienne de l'art
- Claudine Mitchell, historienne de la culture
- Marie-Line Amaures, habitante de Clauzure (Dordogne)
Merci à Véronique Merlin-Anglade, conservatrice-directrice du MAAP, Musée d'Art et d'Archéologie du Périgord (Périgueux).
Un documentaire de Lila Boses, réalisé par François Teste. Archives Ina, Christelle Rousseau et Mylène Touchais. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Page web, Sylvia Favre.
Lecture des textes, Olivier Balazuc - Textes lus extraits de :
- J’ai tué, Blaise Cendrars (1918)
- Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre (Albin Michel, 2013)
- Extrait du journal La greffe générale (n°2, 15.01.1918)
- Lettre du Maréchal Marc à Anna Coleman Ladd (Castres, 26.12.1920). Anna Coleman Ladd Papers, American Red Cross Studio for Portrait-Masks, Smithsonian Archives of American Art
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Extrait des films :
- La chambre des officiers (2001) réalisé par François Dupeyron
- Au revoir là-haut (2017) réalisé par Albert Dupontel
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Musique
Les gueules cassées, Chozepareï
Bibliographie
- Jane Poupelet (1874-1932), "La beauté dans la simplicité" (Gallimard, collection Livres d'art, 2005), catalogue de l'exposition éponyme à Roubaix, la Piscine-Musée d'art et d'industrie André Diligent (15.10.2005-15.01.2006), sous la direction d’Anne Rivière
- J’ai tué, Blaise Cendrars (1918)
- Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre (Albin Michel, 2013)
- La chambre des officiers, Marc Dugain (Gallimard, 2000 - Pocket, 1999)
- Redonner visage aux gueules cassées. Sculpture et chirurgie plastique pendant et après la Première Guerre mondiale, Ada Ackerman (volume 41, number 1, 2016) dans RACAR : Revue d'art canadienne Canadian Art Review (21.10.2021)

Pour aller plus loin
- Jane Poupelet (1874-1932), sculptrice française
- Anna Coleman Ladd (1878-1939), sculptrice américaine, volontaire au service de la Croix-Rouge. Elle installera son Atelier des masques, à Paris, 86 rue Notre-Dame-des-Champs, pour aider les Gueules cassées, pendant la Première Guerre mondiale, en s'inspirant du Tin Noses Shop (Londres, 1917) du sculpteur anglais Francis Derwent Wood.
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- Léon Dufourmentel (1884-1957), chirurgien spécialisé dans la chirurgie maxillo-faciale. Une greffe porte son nom la greffe Dufourmentel
- Lucien Schnegg (1864-1909) et Robert Wlérick (1882-1944), sculpteurs français
- Gueules cassées et Gueules Cassées. Sourire Quand Même (association et fondation)
- Hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce
La semaine prochaine, retrouvez un nouvel UHP, Jeanne de Belleville, la lionne de Bretagne, un documentaire d'Élise Gruau, réalisé par François Teste.
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