De fil en aiguille, des ouvrières : épisode 2/2 du podcast La libération des corsetières

La "Cité des Coutures", à Limoges, est située non loin de la gare. Cet ensemble de logements ouvriers a été construit entre 1925 et 1932.
La "Cité des Coutures", à Limoges, est située non loin de la gare. Cet ensemble de logements ouvriers a été construit entre 1925 et 1932. - Nedjma Bouakra
La "Cité des Coutures", à Limoges, est située non loin de la gare. Cet ensemble de logements ouvriers a été construit entre 1925 et 1932. - Nedjma Bouakra
La "Cité des Coutures", à Limoges, est située non loin de la gare. Cet ensemble de logements ouvriers a été construit entre 1925 et 1932. - Nedjma Bouakra
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Jeannette Dussartre-Chartreux, figure de la cité ouvrière des Coutures, a retrouvé les archives de la grève des corsetières de 1895, une grève pionnière où les femmes se donnent à elles-mêmes l'autorisation de former un syndicat.

À Limoges, de 1889 à la fin des années 1960, la Maison Clément était une entreprise de confection de corsets prospère. Malgré cette réussite, personne ne peut imaginer la discipline de fer et les conditions de travail épouvantables qui y régnait.

La Maison Clément ne s’embarrasse pas de l’adhésion librement consentie à des ouvrières. À ces conditions morales, elle impose les siennes ! La patronne oblige ses ouvrières, et cela sous surveillance, à faire trois jours de retraite, à aller à confesse le samedi, et faire leur Pâques le dimanche. Les absentes sont punies par une distribution de mauvais travail avec menace de renvoi, selon l’enquête diligentée par le Commissariat central ! Jeannette Dussartre-Chartreux (1923-2017)

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Les corsetières fondent un syndicat féminin, libre, et sortent de la tutelle du syndicat patronal fondé par la maison. Leur grève dure quatre mois. Marie Saderne avec Madame Barry et Mademoiselle Coupaud assistent au congrès national constitutif de la CGT tenu à Limoges, en septembre 1895.  

Archive INA : "Métiers d'aiguille, langage et savoir-faire" dans l'émission "Tire ta langue" d'Antoine Perraud, sur France Culture, sous-titrée "Les petites mains ont la parole" (12.06.2001)

3 min

Jeannette Dussartre-Chartreux pousse les portes de l’établissement : elle a 80 ans et part à la recherche des corsetières présentes au congrès de la CGT en 1895. Elle ne trouve que leurs noms et quelques signalements policiers. Fille de la Vienne et des Ponticauds, puis figure de "la cité des Coutures", près de la gare de Limoges, elle consacre une vie entière à la collecte de la mémoire des femmes de sa famille et des grandes grèves. Toute une vie de sacerdoce, des évangiles à la résistance sociale limougeaude. 

Une corsetière au travail (15 juillet 1965)
Une corsetière au travail (15 juillet 1965)
© Getty - Keystone-France\Gamma-Rapho via Getty Images

Elle observe l'effacement du monde ouvrier de son perchoir de la cité des Coutures, tout en brique rose, donnant sur les rails de la gare de Limoges : le départ des grèves, les fourgons à bestiaux dont les ruminements montent jusqu'à sa fenêtre, les cris des appelés pour l'Algérie qui refusent de partir faire la guerre. Et puis, une porte plus loin, c'est la grande amie Lulu. Jeannette Dussartre-Chartreux a conservé les archives de Lulu et une copie du règlement intérieur d'une usine de confection dans laquelle a travaillé Lulu en 67 : Article 4 - Les toilettes sont interdites pendant les heures de travail. Sous peine de sanction -suppression de primes- de parler à une autre personne qu'à un encadrement, de se déplacer hors de son poste de travail -et sous peine de mise à pied, de discuter ou refuser d'exécuter un ordre !
De ces archives là à celles de la grande grève des corsetières, une femme tresse le canevas de l'histoire des femmes ouvrières en Limousin.
Mais sans Françoise Étay, grande collecteuse du patrimoine sonore et limousin, la voix de Jeannette et de sa mère ne parviendraient pas jusqu'à nous, et sans les enregistrements de Jeannette Dussartre-Chartreux aucun des souvenirs de ces femmes ne remonteraient à la surface. Et c'est un tout un aéropage de femmes qui circulent sur ces bandes sonores presque usées. 

Mireille Della Giacomo, archiviste aux Archives municipales de Limoges, devant des façades de la "Cité des Coutures" de Limoges.
Mireille Della Giacomo, archiviste aux Archives municipales de Limoges, devant des façades de la "Cité des Coutures" de Limoges.
- Nedjma Bouakra

Intervenants

Un documentaire de Nedjma Bouakra, réalisé par Julie Beressi. Prise de son, Arthur Dumont ; Mixage, Bruno Mourlan. Archives INA, Véronique Jolivet. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France et Elna Fraysse, stagiaire.

Archive INA : L'historienne Madeleine Rebérioux à propos de "la culture ouvrière féminine" dans "Les chemins de la connaissance" présenté par Jean-Paul Aron (France Culture, le 23.05.1979)

3 min

L'historienne et présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'homme Madeleine Rebérioux pose à son bureau, devant un portrait de Jaurès, à son domicile à Paris (07 décembre 2000)
L'historienne et présidente d'honneur de la Ligue des droits de l'homme Madeleine Rebérioux pose à son bureau, devant un portrait de Jaurès, à son domicile à Paris (07 décembre 2000)
- Joël Robine / AFP

Archives (extraits) : Les chansons et conversations mère et fille sont issues des collectes sonores de Françoise Étay, ethnomusicologue - Les passages où l'on entend Jeannette Dussartre-Chartreux sont issus du double CD-Rom, Le pays d'où je viens, conservé aux Archives municipales de Limoges.

Il y avait une espèce d'idéalisation du christianisme qui était un peu assimilé au communisme. On voyait le Christ comme un républicain, comme quelqu'un qui avait donné, qui s'était sacrifié pour les pauvres. C'était ça leur christianisme dans ce milieu-là. Françoise Etay

La Maison du Peuple, à Limoges, 24 Rue Charles Michels. Le bâtiment a été construit en 1936
La Maison du Peuple, à Limoges, 24 Rue Charles Michels. Le bâtiment a été construit en 1936
- Nedjma Bouakra

Bibliographie

Pour aller plus loin