

Lors de ma visite à Amiens, la mère de Mohammed et Bakhta m’a dit avec un grand sourire : "Quand "grand-père" venait à la maison, je le considérais comme mon père". J’en suis restée, sidérée.
Nous voilà chez Khadra, la mère de Baktha et Mohammed. Elle m'a préparé une robe pour le couscous, un rituel, me dit-elle. Elle me la tend avec une légère autorité. Une longue robe orientale rose et scintillante, que je n'ose pas refuser, et que je mets, pour ne pas lui déplaire. Entrer chez elle, c'est entrer dans un pays. Son pays. L'Algérie.
Second épisode : Khadra, leur mère
Elle me dit avec un grand sourire : Quand "grand-père" venait à la maison, je le considérais comme mon père. J’en reste, sidérée. Cette femme, d’origine Algérienne, avec son foulard, préoccupée par l’avenir de ses enfants, cette femme, si loin de l’idée que je me fais de mon père, si loin de sa culture, de ses principes, considère mon père, comme le sien ! Un vertige. Alors, Khadra nous raconte son histoire. Par petites touches, parce qu'elle n'a pas les mots. Aidée, soutenue, dans une choralité parfaite, par Baktha et Mohammed. Un trio magnifique lié par une histoire qui aurait pu être tragique. Mais qui ne l'est pas.
Je me suis rendu compte, qu'en fait, j'avais une mère qui était courageuse. C'est une combattante. Elle n’a pas fait d'études mais si elle avait fait des études, je pense qu'elle serait chef d'entreprise et elle mènerait une armée derrière elle pour arriver à ses objectifs. Je trouve ça incroyable ce qu'elle a fait. Ma mère, c'est une héroïne, parce qu'elle a réussi à s'émanciper d'un monsieur extrêmement violent pour protéger ses enfants. Elle l'a fait jusqu'au bout et elle le fait encore. C'est en ça qu'elle est courageuse. Elle a réussi à se débrouiller toute seule même en ne parlant que très peu français. Elle s'est battue et elle a trouvé les personnes qui étaient d'accord pour l'aider et grand-père faisait partie de ces personnes. Mohammed Anaya

C'est l’histoire d'une mère, qui après tant d’années en France (depuis 1986) parle encore difficilement le français. Que s'est il passé dans la vie de cette femme, seule, qui s'est battue pour ses enfants comme une guerrière ? Un mariage ? Un divorce ? Cette femme qui a été séparée durant cinq longues années, de son fils, Mohammed. Ce fils, resté de force en Algérie et qu'elle a ramené un jour dans ses bagages en France, contre vents et marées.
Dans sa chambre, où l'entretien seule à seule se termine, Khadra nous confie son malheur, celle d'une femme qui a sacrifié sa vie de femme. Et sa joie de mère. C'est un cadeau qu'elle nous fait, elle si retenue, et si pudique. Quand je la quitte, je lui demande si un jour, elle viendra chez moi. Elle me dit "peut-être". Mais quelque chose me dit, qu'elle ne viendra jamais. Mais qui sait ?
Archive INA : Dans "Pas la peine de crier", la comédienne Danièle Lebrun lit "Jeanne songeait", poème de Victor Hugo extrait du recueil "L'Art d'être grand-père" (France Culture, 04.01.2013)
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Musique (extraits) : Ibrahim Maalouf
Remerciements à Baktha et Mohammed, Khadra, et Josselin.
Un documentaire de France Jolly. Réalisé par Christine Robert. Prises de son, Fabien Gosset ; mixage, Pierre Minne. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France et Elna Fraysse, stagiaire.

Grand-père a apporté une touche supplémentaire dans la mesure où il nous a permis d'aller en vacances, de découvrir d'autres régions de France. C'est pour ça que moi j'ai passé une enfance assez agréable contrairement à mes camarades, où vraiment eux, ils restaient tout le temps à Étouvie. Ils étaient enfermés à Étouvie, alors que moi, j'avais la chance de sortir, d'aller au musée, d'avoir cette ouverture culturelle que grand-père m'a permise. Ça m'a construit aussi. Mohammed Anaya
Archive INA : Extrait du magazine "Le Vif du sujet", "Que sont les grands-parents devenus ?", le témoignage d'une petite fille sur sa grand-mère (France Culture, 28.05.2002)
4 min
Pour aller plus loin
- Nos mères, nos daronnes, film documentaire de Bouchera Azzouz, co-réalisé par Marion Stalens. Diffusé dans Infrarouge (France 2, avril 2015)
- Les documentaires de Bouchera Azzouz, Présidente fondatrice des Ateliers du Féminisme Populaire. Elle est auteur de plusieurs ouvrages dont Fille de daronne et fière de l'être (Plon, 2016)
- Le site de Benjamin Stora, historien, professeur des universités, spécialiste du Maghreb contemporain (guerres de décolonisations, histoire de l’immigration maghrébine en Europe)
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