On connait en France la candidature de Coluche commencée comme un gag. On connaît moins celle du jazzman Dizzy Gillespie en 1964. Un précurseur qui a titillé un temps le jeu des grands candidats, mobilisant autour de la question des droits civiques aux États-Unis.
Le 21 septembre 1963, le trompettiste Dizzy Gillespie, 47 ans, grande figure du jazz, lance sa candidature à la Présidence sur scène au Monterey Jazz Festival. Près de 10 000 spectateurs assistent au concert, médusés et amusés, découvrant le morceau Vote Dizzy ! interprété par le chanteur Jon Hendricks. Pour le trompettiste facétieux, c'est plus sérieux qu'il n'y paraît. Alors que l'Amérique espère la réélection de JFK, le pays est laminé par des actes racistes et la ségrégation, en particulier dans le sud du pays. Cinq jours plutôt a eu lieu un terrible attentat à la bombe dans une église de Birmingham tuant 4 jeunes filles noires. Régulièrement des militants afro-américains sont attaqués ou assassinés. Des crimes signés du Klan dont les auteurs restent libres.
Choqué par cette violence, Dizzy veut faire entendre sa voix. Cette candidature a en fait commencé dès 1960 comme une blague et un moyen de collecter des fonds pour le CORE (Congrès pour l'égalité raciale) et d'autres organisations de défense des droits civiques avec l'édition de badges "Dizzy Gillespie for President". Les mois passent, le racisme se poursuit sous de multiples formes, les changements se font attendre pour la communauté afro-américaine, le refus d'accès aux universités dans le sud et à l'emploi, les jeunes envoyés dans l'enfer du Vietnam, ainsi que pour tous les laissés pour compte de la politique sociale américaine. Même sous l'ère Kennedy la désillusion est vive.
"N'importe qui aurait pu faire un meilleur président que ceux que nous avions, tergiversant sur la protection des Noirs dans l'exercice de leurs droits civiques et humains et menant des guerres secrètes contre des peuples du monde entier. J'avais une vraie raison de me présenter, parce que je pouvais menacer les Démocrates de perdre des voix et les faire basculer vers une position plus raisonnable sur les droits civiques." Dizzy Gillespie
Le 28 août 1963, Martin Luther King prononce son célèbre "I Have a dream" lors de la marche vers Washington. Sur une photo de la foule ce jour-là, aux côté de James Baldwin, Gillespie remarque un couple portant son badge. Ce clin d'œil du destin le pousse à s'engager dans la course présidentielle. Il crée une équipe de campagne menée par deux femmes, Ramona Crowell, communicante habile membre de la communauté sioux, et Jean Gleason, épouse du critique musical Ralph Gleason. En quelques semaines, grâce au réseau des organisations du mouvement des droits civiques, elle est en mesure de lancer des comités dans 25 états, une mobilisation étonnante pour un candidat indépendant.
"Je pense qu'il avait la stature et l'intelligence pour être Président, beaucoup plus qu'aucun des occupants successifs de cette fonction, et aussi qu'il connaît bien les problèmes du monde entier outre ceux de notre pays. Il est profondément sincère, sans jamais craindre d'exprimer ce qu'il pense. Par ailleurs, il a été toujours évident que Dizzy n'allait pas abandonner sa carrière musicale… pas pour devenir un politicien en tous cas. Il s'engage pour ce en quoi il croit et il a bien raison." Jean Gleason, sa directrice de campagne.
Extrait du concert :
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Pour en parler
- Alex Dutilh, producteur et animateur de l'émission Open Jazz sur France Musique
- Guillaume Lagrée, animateur d'une émission sur la radio Couleurs Jazz
- Cécile Coquet-Mokoko, professeure de civilisation américaine à l'université de Versailles-Saint-Quentin
- Sarah Fila-Bakabadio, historienne spécialisée en études américaines et afro-américaines, maîtresse de conférences à l'université de Cergy-Pontoise
- Alexandre Pierrepont, anthropologue, spécialiste des musiques afro-américaines
Lecture des textes, Pascal Nzonzi. Extraits des mémoires de Dizzy Gillespie (Presse de la Renaissance, 1981)
Archives INA : Sur la marche de Washington ou la violence raciale en Alabama
Dizzy Gillespie parle de la trompette (Quartz)
1 min
Bibliographie sélective
Al Frazer et Dizzy Gillepsie, Dizzy Gillespie : to be or not to bop (Presse de la Renaissance, 1981, plus commercialisé)
Isabelle Leymarie,
Dizzy Gillespie (Buchet Chastel, 2004)
Caroline Rolland-Diamond,
Black America. Une histoire des luttes pour l'égalité et la justice (XIXe-XXIe) (La découverte, 2019)
Sarah Fila-Bakabadio,
Africa on my mind : histoire sociale de l'afrocentrisme aux États-Unis (Les Indes Savantes, 2016)
Cécile Coquet-Mokoko,
Esclavages et antiesclavagismes. Réalités, discours, représentations (Kimé, 2021. Ouvrage collectif)
Alexandre Pierrepont,
chaos, cosmos, musiques (MF, Collection Répercussions, 2021)
Musique
Extraits de :
Vote Dizzy, album Gillespie for President (Douglas, réedition 2004)
Me'n Them, album Portrait of Jenny, Dizzy Gillespie (Perception Records)
X, Dizzy Gillespie Big Band Montreux 77
Alabama, John Coltrane, album Live At Birdland (Impulse, 1963)
Backlash blues, Nina Simone, album Live at Montreux 1976 (Sony BMG)
Thème de The Cool World, BOF The Cool World (Philips)
Générique
Un documentaire de Pierre Lorimy, réalisé par Franck Lilin. Prises de son, Yvan Turk, Manuel Couturier, Dhofar Guerid. Mixage, Jean-Louis Deloncle. Archives Ina, Ingrid-Anne Lecointre. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Remerciements à Gérard Chan et Gérard Jammet de la Discothèque de Radio France. Page web, Sylvia Favre.
Pour aller plus loin
- Quel est le (seul) candidat à la Maison Blanche qui fit campagne en faveur de la reprise des relations avec Cuba ? John Birks Gillespie. Plus connu sous le (sur) nom de "Dizzy", un doux dingue…, un article de Michel Porcheron publié sur le site de l’association Cuba Coopération France
- Dizzy Gillespie dans la Guerre froide ; la Promotion du monde libre à l’épreuve de la ségrégation, de Thomas Horeau, extrait de Double jeu (n°17, 2020)
- The Ambassadorial LPs of Dizzy Gillespie: World Statesman and Dizzy in Greece, un article de Darren Mueller paru dans Cambridge University Press (08.2016)
- " Those white guys are working for me": Dizzy Gillespie, jazz, and the cultural politics of the cold war during the Eisenhower administration, de David M. Carlettta, extrait de International Social Science Review (09.2007)
- Anecdotes sur la vie et la personnalité de Dizzy Gillespie par Guillaume Lagrée
- Monterey entre Jazz et Pop : Genèse d'un festival, une émission de Thierry-Paul Benizeau (France musique, 05.08.2018)
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
L'équipe
- Pierre LorimyProduction déléguée
- Réalisation
- Coordination
- Collaboration