

À la fin de la Première Guerre mondiale, 15% des soldats blessés sont des "gueules cassées", des hommes défigurés par des tirs d’obus. Les médecins qui les accueillent à l'hôpital sont souvent démunis mais tentent par tous les moyens de réparer leurs visages détruits.
1918, les institutions sanitaires font face à une catastrophe inimaginable. Plus de 15 000 hommes se retrouvent sans visage. Les blessures, souvent gravissimes, mettent en échec la chirurgie plastique de l’époque alors balbutiante. Que faire de ces hommes qui n'ont plus qu'un trou au milieu de la figure ?
Épisode un : Un trou au milieu de la figure
On n’est plus qu’une chose sans nom, un amas monstrueux de chairs déchiquetées, de pansements, de pus, de fièvre empaquetés, œuvre d’amour teinte d’horreur par le canon. La Greffe générale (n° 6, avril 1918)
Il faut trouver un moyen de leur redonner un visage, car, à la souffrance physique s’ajoute un grand désarroi psychologique : ils portent sur leur face défigurée, l'inhumanité de la guerre.

Plus la guerre se prolonge, plus les blessés sont nombreux, plus les doses de morphine postopératoires diminuent, plus on souffre mais moins on en parle, sinon on ne parlerait que de cela tant les opérations se succèdent au plus profond des tissus, d’une intimité nerveuse lassée de ces assauts répétés pour des résultats qui, lorsqu'ils sont apparents relèvent davantage du plâtrage grossier que de la chirurgie esthétique. On renvoie chez eux des types au visage vaguement raffistolé, superposition d’escalopes de veaux couturées, greffons animés d’une bonne volonté changeante et il n’est que la position des yeux pour nous convaincre que leur visage ne sont pas à l’envers. Marc Dugain, La chambre des officiers (Pocket, 15.12.1999)
C'est la mission que se donne la sculptrice Jane Poupelet. Née en Dordogne, première femme admise aux Beaux-arts de Bordeaux, proche de Bourdelle et de Rodin, indépendante et secrète, elle s’engage dès le début de la Première Guerre mondiale aux côtés des chirurgiens de l’hôpital du Val-de-Grâce : Elle réalise différents moulages en plâtre et en cire des patients mutilés pour documenter les progrès des opérations.

Mais en 1917, son engagement s’intensifie. Elle fait la rencontre de la sculptrice américaine Anna Coleman Ladd qui lui propose d'intégrer "l’atelier des masques”.
On parle pour cette guerre (1914-1918) d’une brutalisation infligée aux corps parce qu’il s’agit d’une guerre d’un type inédit, d’une part par l’armement qui est mobilisé, un armement extrêmement industriel, notamment avec la présence massive d’obus et il y a des types de blessures tout à fait spécifiques liées aux éclats d’obus qui provoquent des blessures au visage et à la tête particulièrement compliquées à prendre en charge et d’un type tout à fait nouveau. Ada Ackerman, historienne de l’art
Intervenants
- Ada Ackerman, historienne de l’art
- Guillaume Pigeard de Gurbert, professeur agrégé et docteur en philosophie
- Anne Rivière, historienne de l'art
- Claudine Mitchell, historienne de la culture
- Marie-Line Amaures, habitante de Clauzure (Dordogne)
Merci à Véronique Merlin-Anglade, conservatrice-directrice du MAAP, Musée d'Art et d'Archéologie du Périgord (Périgueux)

À partir de 1906-1908, elle -Jane Poupelet- va se consacrer presque exclusivement aux animaux et aux corps féminins. La baigneuse avec son pied qui avance vers l'eau, qui tape du bout du pied avec une tension des muscles, les mains appuyées, c’est magnifique de formes ! Ses animaux sont tout à fait étonnants et si on en prend des gros plans, on voit que c’est très géométrique, qu’elle simplifie au maximum la forme. Ce qui va l’intéresser, c’est le mouvement. C’est-à-dire que l’on puisse reconnaître une attitude, le fait qu’un chat se lèche de telle façon, qu’une vache se couche… C’est ce qui va l’intéresser jusqu’à transformer ce geste en une forme quasi abstraite. Anne Rivière-Petitot, historienne de l'art

Un documentaire de Lila Boses, réalisé par François Teste. Archives Ina, Christelle Rousseau et Mylène Touchais. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. Page web, Sylvia Favre.
Lecture des textes, Olivier Balazuc - Textes lus extraits de :
- J’ai tué, Blaise Cendrars (1918)
- Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre (Albin Michel, 2013)
- Extrait du journal La greffe générale (n°2, 15.01.1918)
- Lettre du Maréchal Marc à Anna Coleman Ladd (Castres, 26.12.1920) issue de Anna Coleman Ladd Papers, American Red Cross Studio for Portrait-Masks, Smithsonian Archives of American Art
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Extrait des films :
- La chambre des officiers (2001) réalisé par François Dupeyron
- Au revoir là-haut (2017) réalisé par Albert Dupontel
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Alors qu’il y a environ huit millions d’hommes mobilisés pendant le conflit, on estime la part de blessés à 2,3 millions. C’est donc absolument énorme ! […] C’est aussi une guerre qui inflige un nouveau type de blessures par son déroulement même. Très rapidement, on bascule vers une guerre de position où les soldats passent un temps énorme à attendre dans les tranchées. Par conséquent, c’est leur tête qui est extrêmement exposée d’où cette prégnance des blessures de la tête. Ada Ackerman, historienne de l’art
Bibliographie
- Jane Poupelet (1874-1932), "La beauté dans la simplicité" (Gallimard, collection Livres d'art, 2005), catalogue de l'exposition éponyme à Roubaix, la Piscine-Musée d'art et d'industrie André Diligent (15.10.2005-15.01.2006), sous la direction d’Anne Rivière
- J’ai tué, Blaise Cendrars (1918)
- Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre (Albin Michel, 2013)
- La chambre des officiers, Marc Dugain (Gallimard, 2000 - Pocket, 1999)
- Redonner visage aux gueules cassées. Sculpture et chirurgie plastique pendant et après la Première Guerre mondiale, Ada Ackerman (volume 41, number 1, 2016) dans RACAR : Revue d'art canadienne Canadian Art Review (21.10.2021)
Pour aller plus loin
- Jane Poupelet (1874-1932), sculptrice française
- Anna Coleman Ladd (1878-1939), sculptrice américaine, volontaire au service de la Croix-Rouge. Elle installera son Atelier des masques, à Paris, 86 rue Notre-Dame-des-Champs, pour aider les Gueules cassées, pendant la Première Guerre mondiale, en s'inspirant du Tin Noses Shop (Londres, 1917) du sculpteur anglais Francis Derwent Wood.
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- Léon Dufourmentel (1884-1957), chirurgien spécialisé dans la chirurgie maxillo-faciale. Une greffe porte son nom la greffe Dufourmentel
- Lucien Schnegg (1864-1909) et Robert Wlérick (1882-1944), sculpteurs français
- Gueules cassées et Gueules Cassées. Sourire Quand Même (association et fondation)
- Hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce
Retrouvez, demain l'épisode deux : Sculpter les visages
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