Les z'inhumains de Bruno Dumont

Il est 23h et il y a des corps qu’on n’avait pas vus venir. Des corps étrangers, pas forcément d’ici, des corps qui font clignoter rouge le voyant sécurité. Il va falloir pour mieux voir, tordre le paysage. Celui qui nous a vus naître, qu’on pense être un socle solide, sur lequel on ne glisse pas, qui a des murs qui ne tombent pas, celui qui nous fait tenir debout : Bruno Dumont y fait perdre l’équilibre. Il y met des pentes, des glissades, de l’incertitude. C’est Marcel Proust qui écrivait : le seul véritable voyage, ce n’est pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux. Bruno Dumont ne change donc pas de paysage, retourne dans le Nord, et prend d’autres yeux. Si le plus difficile est de voir ce que l’on voit, les yeux grands ouverts du Commandant Van der Weyden lui font bouger tout le corps, gonfler les joues, tourner sur lui-même, le paysage qui change, ça impacte l’organisme. Dans la saison 2 du Ptit Quinquin, Bruno Dumont met en scène Coincoin et les z’inhumains. Il y a donc Quinquin devenu adolescent, il y a les forces de l’ordre qui n’arrivent plus à le maintenir, depuis l’arrivée des corps étrangers : une glue qui tombe du ciel, et des humains à la peau noire qui marchent sur le bord des routes. Du vivant qui n’est pas d’ici, résume Van der Weyden. C’est le monde moderne, ajoute-t-il parfois, un peu désabusé. Jusqu’à ce que la plus grande peur, soit la vision de son clone, celui qui nous ressemble trop fait encore plus peur que celui qui vient d’ailleurs. Il y a des corps qu’on n’avait pas vus venir, un ordre des choses qui vient de s’écrouler devant des yeux qui soudain, ont vu que le paysage penchait

Bruno Dumont, cinéaste, pour sa série Coin Coin et les Z’inhumains diffusée sur Arte, cette saison 2 fait suite au P’tit Quinquin.

LIVE : Fred Poulet. Le musicien et réalisateur, grand amateur du cinéma de Bruno Dumont, sort son disque The Soleil le 09 novembre (Dernière Bande / Médiapop Records / Pias). A ses côtés en studio, Maxime Delpierre.