Figure majeure de l’abstraction en France, Jean Degottex a marqué l’art de la deuxième moitié du XXe siècle par la radicalité et l’exigence de son œuvre. Sa vie durant, cet artiste autodidacte et inclassable a sillonné un même chemin, loin des postures et des honneurs. Vers l’essentiel.
- Dominique Bollinger Beau-fils de Jean Degottex
- Pierre Wat Professeur d'Histoire de l'art contemporain à l'Université Panthéon-Sorbonne
- Jean Degottex Peintre français abstrait (1918-1988)
- Serge Tiers Restaurateur d'art
- Caroline Bouteiller-Laurens Historienne de l'art
- Maurice Benhamou Critique d'art
J'aimerais que ma peinture soit une grande respiration. (...) Rien avant, rien après : tout en faisant. Jean Degottex
"Du signe je suis passé à l’écriture, de l’écriture à la ligne d’écriture, de la ligne d’écriture à la ligne". Jean Degottex résumait ainsi en peu de mots plus de 50 ans de travail, éclairant le chemin qui l’a toujours habité et qu’il a toujours suivi.
Après une jeunesse lyonnaise qui le voit fréquenter les milieux libertaires et forge durablement ses convictions politiques, Jean Degottex peint à partir de 1939 ses premières œuvres, d’inspiration fauve, avant d’abandonner rapidement la peinture figurative pour l’abstraction. Dès lors, c’est une peinture du geste qui se déploie. Les œuvres de cette période rapprochent alors Jean Degottex de l’abstraction lyrique, courant majeur de l’époque. Mais l’essentiel reste à venir.
Jean Degottex ne cherche pas à sortir de la peinture. Il cherche, à partir d’une économie de moyens, à recommencer et à la réinventer. Il ne cesse de réinterroger les moyens de la peinture. Ce n’est pas un homme de l’habitude, c’est un homme de la réinterrogation. Pierre Wat
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Au sujet d’un séjour en Bretagne effectué à l’été 1954, Renée Beslon, la compagne de l’artiste durant 40 ans, elle-même artiste, déclare : « c’est là qu’il est vraiment devenu Jean Degottex ». Sur des feuilles posées à même le sol, retenues par quelques pierres, l’artiste trace là, devant la mer, des dessins à l’encre de chine, écritures qui évoquent la calligraphie orientale – mais dépouillées, déjà. Une écriture qui n’écrit pas, qui ne signifie pas, mais qui trace, et dans laquelle André Breton croit à tort découvrir l’équivalent pictural de l’écriture automatique. Dans les années qui suivent, Jean Degottex peint souvent des œuvres de grand format, fréquemment en séries creusant une même idée jusqu’à son épuisement. Le geste s’y veut à la fois mûrement réfléchi, posé sur des fonds longuement préparés, et rapide dans son exécution, ou plutôt, pour reprendre le mot de l’artiste, « instantané ». La recherche sur la notion de vide, sur cet « autour » du signe, déjà présente dans les œuvres antérieures, devient alors centrale. L’espace même du tableau, l’espace entre les tableaux, se trouvent interrogés par ces toiles ascétiques, où le geste semble rendu à sa pureté.
La perte accidentelle de sa fille Frédérique en 1963 viendra suspendre un temps le travail de Jean Degottex, terrassé. Mais dès l’année suivante, il se remet au travail. Bientôt une nouvelle phase est inaugurée, qui voit l’artiste délaisser les techniques traditionnelles de la peinture au profit d’explorations de la matière – celle de la toile elle-même, du papier ou, plus tard, de la brique ou du bois. Jean Degottex plie, colle, déchire, érafle et griffe, gratte et soulève pour ouvrir la voie à l’inconnu qui peut surgir de la matière elle-même. Il devient « artiste Robinson », glanant dans la rue et sur les décharges des objets mis au rebut, sur lesquels il intervient avec grâce et légèreté, pour en révéler la nature et la beauté. C’est par le travail sur le bois, matériau naturel précédant l’homme et peut-être appelé à lui survivre, que s’achève la carrière de Jean Degottex, qui décède en 1988. Comme si la nature avait repris ses droits. Alors que seul l’artiste est en mesure de nous la rendre si sensible.
Jean savait regarder un débris sans intérêt, un clou rouillé, une vieille brique, une planche à lavé usée, jusqu’à en extraire une idée plastique et au-delà une révélation d’ordre spirituelle. Il lui arrivait de ramasser des bouts de bois, de carrelage, de n’importe quoi dans une décharge, il les posait sur une étagère et il attendait qu’elles éclosent. Cela pouvait durer des années, soudain, un jour, sans qu’il les ait touchés ils étaient devenus des œuvres d’art. Parfois il leur venait en aide mais son apport était minime et respectueux. Maurice Benhamou
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Artiste qualifié par Pierre Wat de « source cachée de l’art contemporain », Jean Degottex, concentré sur le « faire » du moment présent, n’aura guère œuvré à la postérité de son œuvre, se tenant toujours à bonne distance des mondanités. Il en aura payé le prix, par une vie longtemps difficile matériellement, et par un déficit de reconnaissance qui ne se verra comblé que tardivement – notamment avec le Grand Prix national de peinture décerné en 1981. Mais comment ne pas voir dans cette tentation du retrait la traduction en actes de l’exigence de Jean Degottex, de sa rigueur, et d’une quête jamais achevée de l’effacement du créateur au profit de l’œuvre elle-même ? Une œuvre dans laquelle jamais la rigueur ne prend le pas sur une extrême sensibilité.
Extrait d'un Photo-portrait avec Jean Degottex, au micro de Gérard-Julien Salvy, sur France Culture, le 6 février 1988
1 min
Pour aller plus loin :
Site officiel consacré à Jean Degottex
Degottex, peintre, un film de Michelle Porte à voir sur Youtube.
Plus de 800 œuvres de Jean Degottex sont à voir sur le site du marché de l’art, Artnet.
- Avec Dominique Bollinger, beau-fils de Jean Degottex ; Serge Tiers, restaurateur d’art ; Maurice Benhamou, critique d’art ; Caroline Bouteiller-Laurens, historienne de l’art ; Pierre Wat, Professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Panthéon-Sorbonne ; et la voix de Jean Degottex issue de l’émission « Photo-portrait » diffusée sur France Culture le 6 février 1988.
- Un documentaire de Sophie Maurer, réalisé par Yvon Croizier, archives INA : Marie Chauveau et liens internet : Annelise Signoret de la bibliothèque de Radio France.
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