

"Ermite, apôtre, prophète, moine, prêtre, dieu : rien n’est assez poncivement religieux pour exprimer le magnétisme dont Monk est la bête." Avec, ô comble, pour un pianiste et compositeur de jazz, le silence comme point d’orgue…
- Jacques Ponzio biographe.
- Thierry Delcourt psychiatre et psychanalyste.
- Julien Delli Fiori Ancien animateur radio
- Laurent De Wilde biographe.
1947, le 15 octobre, Thelonious Sphere Monk a trente ans depuis cinq jours et c’est la première fois qu’il entre en studio pour son propre compte. Trente ans, c’est déjà un peu tard pour une première. Mais tout est déjà là, mûri, pensé, fignolé, dont Well you needn’t, In walked Bud, Ruby my dear ou ‘Round midnight, autant de chefs d’œuvre.
Personne ne l’avait vu venir, Monk, avec ses airs d’ours bourru, gourmand et solitaire, qui assène ses certitudes d’autodidacte à coups de griffes, autant de mélodies insolites et d’accords bizarres. Personne ne l’avait entendu venir à cause de son incapacité à dire les choses. Ainsi lorsqu’on lui demanda le titre du tout premier morceau qu’il venait de graver, il répondit d’un dubitatif grognement sourd, sa façon à lui de s’exprimer, qu’un assistant polyglotte décryptera comme "Humph", tel est resté le titre mystérieux du morceau. Autant dire que cet homme-là ne parlait déjà pas tout à fait le langage admis.
Pour singulier qu’il est, Monk ne se situe pas en marge. Au contraire, il est au cœur du jazz moderne, fût-il souvent pris pour un excentrique. On l’ordonna même grand prêtre du be-bop, voire prophète, bien qu’il ne fût jamais que moine, comme son nom l’indique.
Il joue à jeu égal aux côtés de Charlie Parker et Dizzy Gillespie à la pointe de l’avant-garde. Seulement, il ne possède ni la "jazzogénie" tumultueuse de l’un ni l’exubérance sympathique de l’autre. La virtuosité volubile ni de l’un, ni de l’autre.
Quant à son association avec Miles Davis, le soir de Noël 1954, elle vira à la foire d’empoigne. Et Monk aurait le dernier mot. Au beau milieu de son solo, il s’était simplement tu pendant une dizaine de mesures. Le silence monkien, tel le plus beau contrepied à l’éloquence.
Parallèlement, le comportement étrange du musicien s’accentue, proportionnellement au caractère farfelu des chapeaux dont il se couvre le chef. Il entre sur scène avec retard, ne salue pas le public, déambule dans le vide. Plus tard, en plein morceau, pendant que la rythmique tourne et que le saxo s’emballe, il quitte le piano et entame une étrange danse hiératique de chamane possédé, bras à l’horizontal. Il tournoie sur lui-même, avec lenteur, pesanteur et déraison. L’impression prend une dimension menaçante. On le dit demi-fou.
En coulisse, la toute menue Nellie, son épouse, veille. Thelonious s’occupait de la musique, elle du reste.
Il y a aussi Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild, pour le protéger. La baronne possède une maison majestueuse, de l’autre côté de l’Hudson. Monk s’y retire à 59 ans et s’y cloître, seul avec un grand Steinway dont il ne joue pas, au milieu de dizaine de chats, à attendre que la mort vienne. Un long fondu au noir de six années. En silence.
Une émission d'Yvon Croizier. Liens internet : Annelise Signoret.
LISTE DES MORCEAUX UTILISES
Light blue (Monk) B.O. Les liaisons dangereuses, 1959
Round about midnight (Hanighen, Monk, Williams) Genius of Modern Music, vol. 1, 1947
Jackie-Ing (Monk) Live in Stockholm, 1961
Monk’s mood (Monk) Himself, 1957
Chordially (Monk) London collection, vol. 3, 1971
Blue Monk (Monk) TV Broadcast The Sound of jazz, 1957
Misterioso (Monk) London collection, vol. 2, 1971
Trinkle tinkly (Monk) Monk Trio, 1954
Ask me now (Monk) Five by Five, 1959
By and by (trad., arr. Monk) B.O. Les liaisons dangereuses, 1959
Well, you needn’t (Monk) Live at The It Club, 1963
Little Tootie Rootie (Monk) Monk Trio, 1954
Monk’s point (Monk) Solo, 1962
In Walked Bud (Monk) Genius of Modern Music, vol. 1, 1947
Ruby, my dear (Monk) Monk’s music, 1957
Miles Davis : The man I love (Gershwin, Gershwin) [take 2], Bag’s Groove, 1954
Misterioso (Monk) Live at the Workshop, 1964
Epistrophy (Clarke, Monk) Live in Paris, 18 avril 1961
Crepuscule with Nellie (Monk) Monk’s music, 1957
Pannonica (Monk) B.O. Straight, no Chaser
I mean you (Monk) from London collection, vol. 2, 1971
Monk’s mood (Monk) Monk’s dream, 1957
Ugly beauty (Monk) Underground, 1967
Abide with me (trad. arr. Monk) Monk’s music, 1957
Epistrophy (Kenny Clarke, Monk) Live in Schwitzerland, 1966
A ECOUTER/VOIR
Laurent de Wilde New Monk Trio, album paru en octobre 2017. Et son hommage lors d'un concert capté le 10 octobre 2017, au théâtre de Vanves | ARTE Concert.
VIDEOGRAPHIE
Straight, No Chaser, de Charlotte Zwerin
Jazz on a Summer’s Day, de Bert Stein
The Sound of Jazz, émission de CBS, 1957
La leçon de Jazz, Thelonious Monk, le griot du jazz, d’Antoine Hervé
LIENS
Interview d’anthologie de Monk par Jacques B. Hess, 1969
Blog de Thierry Delcourt, quelques pages consacrées à Monk
Biographie sur le site de l’Olympia
Discographie complète, sur le site Discogs.com
Thelonius Monk aurait cent ans : Laurent de Wilde raconte un génie inclassable et inimitable sur Culturebox, le site culturel de France Télévision & France Info.
Thelonious Monk, le sculpteur de silence. Un portrait signé Denis Laborde, paru dans le numéro spécial « Jazz et anthropologie » (avril-septembre 2001) de la revue L’Homme.
Jazz in France propose un dossier sur Thelonius Monk et la France.
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