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La silhouette des monuments se détache à peine derrière un nuage jaunâtre... Qui n'a jamais vu ces images qui circulent sur internet depuis quatre ou cinq ans et la médiatisation des pics de pollution en Île-de-France ? Pourtant, d'après les associations qui surveillent l'air, celui-ci serait de meilleure qualité depuis dix ans. Mais l'Institut de veille sanitaire, lui, semble moins optimiste. Mise au point, alors que la "Journée nationale de la qualité de l'air" est juste derrière nous (25 septembre) et que Paris organise une journée sans voiture ce dimanche 27 septembre.

Elle surveille la qualité de l’air en Île-de-France, la communique, et cherche à comprendre les phénomènes de pollution. L'association Airparif existe depuis trente cinq ans, mais c'est seulement depuis 1996 qu'une "loi sur l’air" établit le fonctionnement de cette surveillance. "Ca fait très longtemps, plus de cent ans, que l’air est surveillé, même si les dispositifs n’étaient pas les mêmes à l’époque. Les laboratoires de la Ville faisaient déjà des mesures ", précise Amélie Fritz, ingénieur à Airparif . Forte de ce recul, elle affirme que l'air s'est globalement amélioré ces dix dernières années en région parisienne, même si le constat n'est pas évident, les polluants n'étant pas les mêmes : avant, la pollution était liée aux combustions ouvertes, au brûlage, aux dégagements chimiques...
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De son côté, Céline Derosiaux, responsable de la communication à ATMO Nord-Pas-de-Calais , l'une des vingt-huit associations agréées pour la surveillance de l'air en France et fédérées par ATMO France, dresse peu ou prou le même constat. La région, dont l'air est surveillé depuis le milieu des années 70, est l’une des plus émettrices de particules fines du fait de sa population (émissions liées au chauffage), de ses transports et de ses activités économiques, et donc particulièrement concernée par les épisodes de pollution. Pour les PM10, particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres, le niveau de fond est de 20 à 30 microgrammes par mètre cube d'air. Pour autant, le niveau de particules fines reste relativement stable depuis dix ans. L'ozone est le seul polluant en légère hausse dans la région :
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Et quid de l'évolution de la qualité de l'air sur les dernières décennies ? "La pollution change, difficile d'évaluer si elle a empiré ou non ", estime Amélie Fritz. Pour les particules fines par exemple, davantage liées au trafic routier qu'à l'industrie, impossible de donner les tendances antérieures à 2000 : c'est seulement dans les années 2000 qu'on a commencé à s'intéresser à ces dernières.
Reste à aller chercher des indices en exhumant des archives... telle cette émission de 1956, "Le smog et l'oxycatalyse". Diffusée sur la RTF, elle dressait un bilan inquiétant de la "pollution chimique" des villes Rappelons que quatre ans auparavant, en décembre, 1952, un épais nuage de fumées sulfureuses avait étouffé le bassin londonien durant cinq jours, entraînant un important pic de mortalité (12 000 décès en excès).
Respire-t-on réellement mieux qu'hier ?
Si l'air est globalement plus respirable, pourquoi cette impression que les épisodes de pollution se mutliplient ? Notamment parce que ceux-ci sont souvent relatifs aux particules, pistées seulement depuis les années 2000. Mais aussi parce que les critères de déclenchement des seuils d’information et d’alerte ont été abaissés. "Auparavant, le premier seuil [seuil d'information et de recommandation] était déclenché à 80 microgrammes par mètre cube pour les PM10. Depuis fin 2011, il l'est à 50. Et le second seuil * [seuil d’alerte], qui était à 125 microgrammes par mètre cube, est maintenant à 80. Il y a une raison sanitaire à cela. C'est lié à toutes les recommandations de l’OMS. Car même si la qualité de l’air s’est améliorée, on reste avec des niveaux qui sont parfois bien au-delà de la réglementation.* "
Il y a presque une rupture en 2007, concernant le développement des méthodes de surveillance : les technologies de mesure ont bien évolué cette année là, et ont permis de mesurer la fraction volatile des poussières. Céline Derosiaux
Et les phénomènes de brouillard ? Lorsque les aérosols, ensemble des particules fines en suspension, sont retenus par un couvercle chaud suite à une inversion de température, ou s'accumulent dans l'air à cause d'une absence de vent ou de pluie, cela crée une chape de pollution sur les villes. Et, à lire les médias, on pourrait pourtant avoir l'impression que ces phénomènes gagnent en intensité et en fréquence, depuis ces deux, trois dernières années. Autosuggestion, pour Céline Derosiaux, qui impute ce sentiment au fait que les épisodes de pollution sont davantage mis sous le feu des projecteurs :
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En attendant, Sylvia Madina qui coordonne le programme air et santé à l'Institut de veille sanitaire (existant depuis 1997), est nettement plus pessimiste qu'Amélie Fritz et Céline Derosiaux. Et pour cause : si d'autres indicateurs sont en baisse, l'ozone et les particules fines, dont les niveaux stagnent donc, voire augmentent pour l'ozone, sont justement deux polluants qui ont un fort impact sur la santé car ils pénètrent à différents niveaux de l'appareil respiratoire, et dans tout l'organisme par voie sanguine. Responsables de pathologies respiratoires (asthme), ils contribuent aussi au développement de maladies coronariennes, et sont aujourd'hui soupçonnés de favoriser le diabète en impactant le pancréas, ou encore la maladie d'Alzeihmer et l'autisme en pénétrant dans le cerveau par le nerf olfactif.
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Les particules fines vont jusqu'au niveau des alvéoles, causant de l'inflammation et du stress oxydatif qui dénature les cellules conduisant à un vieillissement et une mort prématurée des cellules, et augmentant leur risque de mutation maligne. L'OMS a classé il n'y a pas très longtemps les particules fines diesel comme cancérigène certain pour l'homme.
Sylvia Medina
Sylvia Medina souligne que ce ne sont pas les épisodes de pollution qui ont le plus d'impact sanitaire, mais bien la pollution de fonds : "Si on veut voir le poids relatif des pics de pollution par rapport à l'ensemble des effets de la pollution... : seulement 7% des hospitalisations cardiovasculaires sont attribuables aux pics de pollution. "
Alors que le chiffre de 42 000 morts prématurées par an dues à la pollution correspond à des données antérieures à 2000, une nouvelle évaluation de l'impact sanitaire devrait être publiée en octobre. Trop tôt pour en connaître les résultats, mais l'épidémiologiste n'est pas optimiste :
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Les différentes sources des polluants
Concrètement, alors q'une soixantaine de polluants est surveillée, quinze sont réglementés. Parmi eux, cinq sont problématiques en Île de France, à différentes échelles.
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Le fait que certaines réactions chimiques se créent dans l’atmosphère complique l'équation. Et il s'agit justement d'une problématique notamment liée aux particules : "En mars, on a eu beaucoup de particules secondaires : des gaz, notamment les oxydes d’azote majoritairement issus du trafic diesel et essence, ont interragi avec l’ammoniac, provenant de l’agriculture, pour former des déchets secondaires" , explique Amélie Fritz.
De plus, les pics de pollution ont lieu en été, comme en hiver, car des inversions de température peuvent se produire tout au long de l’année : "*En été, il y a des formations d’ozone qui peuvent intervenir, mais ce n’est pas forcément la saison où l’on enregistre les plus gros épisodes de pollution. Surtout que les derniers étés ont été plutôt pluvieux. Et tout ce qui est trafic et chauffage est moindre en été. * "
Les sources des polluants sont variées : transports, agriculture, chauffage (et climatisation), industrie manufacturière, activité économique, mais aussi sources naturelles (volcans, pollens...) Voyagent-ils ? On a beaucoup entendu que la France héritait de la pollution des usines à charbon d'Allemagne. C’est vrai, les polluants se déplacent, reconnaît Amélie Fritz. Mais l'ingénieur affirme qu'en Île-de-France, aucun pic de traces souffrées qui correspondraient à l'activité industrielle allemande n'a été mesuré.
Céline Derosiaux, d'ATMO Pas-de-Calais, n'écarte pas, elle, la possibilité d'une pollution exogène venue de l'Est, même si elle affirme qu'il est encore trop tôt pour établir des corrélations :
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Souvent, lors des épisodes de pollution, la problématique est plutôt locale. On a des anticyclones avec très peu de vent et un placage au sol de cette pollution dû à ces inversions de température qui fait que la majorité de la pollution est très locale. Amélie Fritz
Pas simple de pister les polluants, même s'il existe des indicateurs parmi les composants des particules : le noir de carbone par exemple, ou encore le carbone suie issu du trafic et du chauffage, sont des indicateurs de pollution locale, ils voyagent peu. On trouve aussi des produits issus de l'ammoniac, qui témoignent d'origines plutôt agricoles, ou des produits souffrés, d'origine industrielle. "Et le temps de formation de ces secondaires est beaucoup plus long que celui du primaire, des polluants originellement émis, donc ça va nous permettre de comprendre d'où ça vient et comment ça se transporte. "

Pour Amélie Fritz donc, la qualité de l'air a augmenté. Sylvie Medina elle, ne note aucune amélioration. Difficile de les départager, attendu que la surveillance de l'air, comme la veille sanitaire, sont relativement récents à l'échelle du dernier siècle, et que la pollution change de visage. D'ailleurs, à quoi ressemblera celle de demain ? Des scénarios ont été réalisés dans le cadre du Plan de Protection de l’atmosphère, nous apprend Amélie Fritz : grâce aux améliorations technologiques qui s’ajoutent aux véhicules, aux dispositifs de chauffage etc., tous les polluants réglementés seraient en baisse, même avec un scénario "fil de l’eau", sans établir de réglementations supplémentaires. "La qualité de l'air s’améliore à l’horizon 2020. Mais certains polluants ne sont pas réglementés aujourd’hui, et posent déjà question… ", nuance l'ingénieur d'Airparif. Parmi ces polluants, les pesticides :
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Céline Derosiaux évoque aussi cette problématique des polluants non réglementés, mais néanmoins soumis à surveillance au regard des enjeux territoriaux : "C’est plus compliqué parce que pour ces polluants là, on n’a pas de valeurs réglementaires et on ne peut les comparer à des données antérieures, ou bibliographiques, c'est-à-dire à des mesures faites par ailleurs dans d’autres régions ou d’autres pays. On mesure des pesticides, des dioxines, des fluorures, des poussières sédimentables, différentes des poussières en suspension car elles sont plus lourdes et se déposent.. ."
La problématique de la qualité de l'air, une histoire sans fin ? Avant même d'avoir en main toutes les clefs pour pallier la pollution d'aujourd'hui, il faut déjà se creuser les méninges pour appréhender celle de demain. Affaire à suivre.