Pour le maire pirate de Prague, "le maître-mot est la transparence"

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Pour le maire pirate de Prague, "le maître-mot est la transparence"

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A 37 ans, Zdeněk Hřib, du Parti Pirate, réalise son premier mandat électoral en tant que maire de Prague
A 37 ans, Zdeněk Hřib, du Parti Pirate, réalise son premier mandat électoral en tant que maire de Prague
© Radio France - Anne Fauquembergue

Entretien. La République tchèque marquée par les soupçons de corruption qui touchent le Premier ministre Andrej Babis a placé à la tête de sa capitale un maire du Parti Pirate. Le cyberparti a été à la pointe dans la dénonciation de conflits d'intérêts. Entretien avec Zdeněk Hřib, élu en octobre dernier.

Alors que le chef du gouvernement tchèque, le millionnaire Andrej Babis pourrait tomber sous le coup de la nouvelle procédure européenne sur le conflit d'intérêts, nous avons rencontré le maire de Prague. Il s'appelle Zdeněk Hřib et il a été élu en octobre dernier dans le cadre d'une coalition de trois partis. Le maire de Prague appartient au Parti Pirate, qui est le principal parti d'opposition dans le pays avec 22 députés et un sénateur au Parlement tchèque. Des propos recueillis par Anne Fauquembergue.

Vous êtes une nouvelle figure dans le paysage politique européen issue du Parti Pirate, un parti qui existe en France mais n'exerce pas de responsabilités. Il s'agit de votre premier mandat électoral. Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer quel a été votre parcours militant ?

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J'ai 37 ans. J'ai trois enfants, une épouse et j'ai passé la majorité de ma vie à Prague. J'ai fait des études de médecine à la faculté de cette ville. Ensuite, je me suis orienté vers la recherche et j'ai travaillé à l’Institut des sciences appliquées de Prague où j´ai été directeur. Je me suis spécialisé dans le domaine de la sécurité des patients et de la qualité des services publics. 

En 2013, je me suis enregistré comme sympathisant du Parti Pirate où, grâce à ma profession précédente, j´ai commencé à m´intéresser au sujet de la santé. Je suis devenu en 2016 le référent dans ce domaine au sein du parti. En 2017, j’ai décidé de devenir membre à part entière parce qu’il n´était plus possible d´expliquer aux gens que je travaillais pour les Pirates sans pour autant faire parti de leurs membres. Enfin, en 2018, j´ai gagné notre primaire interne et je me suis présenté aux élections municipales à Prague.  

Vous dirigez la ville avec deux autres partis. C’est une coalition originale avec un parti citoyen et trois petits partis de droite classique. Qu’est-ce qui vous a réuni ? Et plus globalement, qu’est-ce qui explique votre succès en tant que Parti Pirate ? 

D’abord, il faut préciser qu’à Prague le maire n’est pas élu comme en France. Les électeurs élisent une assemblée municipale qui désigne ensuite un conseil exécutif au sein duquel est choisi le primátor, c’est-à-dire le maire en tchèque. Aux élections, les Pirates ont terminé en seconde place, mais nous avons réussi à composer cette coalition avec le parti Praha Sobě, qui est un parti civique et puis les Forces alliées pour Prague qui relient trois parties à tendance chrétienne-démocrate. 

Notre succès est dû au fait que nous avons réussi à nous associer contre les pratiques de la coalition précédente à la mairie de Prague, c'est-à-dire le parti ANO du milliardaire Babiš. Nos représentants étaient alors dans l'opposition et nous avons réussi à éventer quelques affaires, nous avons fait des remarques sur plusieurs commandes étranges. En bref, nous avons été une opposition active et le travail réalisé est la raison de notre succès actuel. 

Au Parti Pirate, vous avez une approche horizontale de la prise des décisions. Ainsi, vos 900 membres dans le pays ont beaucoup de pouvoir dans le parti. Est-il possible de continuer à travailler de cette façon à l’échelle d’une grande ville ? 

Nous faisons valoir les principes de la Démocratie interne qui étaient exposés dans notre programme électoral. Avant les élections, nous nous sommes mis d’accord pour rayer la possibilité d’une coopération avec des partis extrémistes comme les communistes ou les nationalistes. De la même façon, nous nous sommes entendus sur un accord de coalition avec nos partenaires. Nous avons les mêmes priorités pour les quatre prochaines années. Nous souhaitons améliorer les infrastructures de transports : construire des nouveaux périphériques, des lignes de métro mais aussi améliorer le réseau des lignes ferroviaires périurbaines. Nous voulons aussi rendre le logement plus accessible pour les citoyens de Prague. Enfin, il y aura une digitalisation de la gestion de la ville pour qu’elle soit ouverte à tous les citoyens. 

Nous comptons respecter les règles de la vie municipale qui nous permettent de discuter au niveau du conseil municipal. S’il y a des différends au sein de la coalition, nous pouvons discuter au niveau de notre bureau exécutif ce qui s’est déjà produit depuis mon élection. Enfin, si un problème inattendu surgit, nous avons toujours la possibilité de recourir à un référendum interne en faisant voter par internet les membres du Parti Pirate de Prague. Mais il faudrait vraiment que ce soit pour une décision très importante : s’il s’agissait par exemple de devoir quitter la coalition à cause d’un conflit majeur. Nous ne voulons pas imposer nos principes de décisions aux autres partis politiques mais nous savons qu’il y a d’autres partis politiques comme les sociaux-démocrates qui regardent notre organisation et qui cherche à mettre en place des procédures de référendums internes électroniques.

Un délégué d'un parti pirate lors d'une conférence internationale de partis pirates, à Prague, en avril 2012
Un délégué d'un parti pirate lors d'une conférence internationale de partis pirates, à Prague, en avril 2012
© Maxppp - Filip Singer / EPA

Vous voulez « pirater » la politique tchèque. Qu’est-ce que cela signifie ?

Les pirates ont apporté du vent frais à la politique tchèque, nous n’avons aucun lien avec des structures plus ou moins mafieuses et nous proposons de chercher des solutions constructives pour faire valoir notre influence sur les structures publiques. 

Nous ne souhaitons pas aborder les problèmes de manière idéologiques car le « ballast » idéologique est une charge supplémentaire qui empêche souvent de trouver la solution. Par contre, puisque nous sommes un parti moderne, libéral et du centre, nous voulons faire valoir la bonne raison. 

Pour nous, la politique doit être au service des citoyens. Nous voulons que les problèmes qui surgissent et qui sont liés au temps moderne soient résolus d’une manière actuelle. Nous voulons moderniser, réformer notre système éducatif, notre système social et de la santé mais aussi réformer l´administration d´Etat dans le sens d'une digitalisation. Mais le maître-mot pour nous est la transparence. Nous voulons être transparents pour les citoyens surtout pour ce qui concerne la gestion des finances. Parfois, nous nous heurtons aux limites de la protection des données privées mais en bref, nous pouvons dire que nous sommes le parti le plus transparent de la République tchèque. 

Certains politistes vous voient comme une bulle qui pourrait éclater au moindre faux pas ou du fait du pouvoir co-décisionnaire des 900 membres de votre parti. Les expériences européennes, notamment en Allemagne, semblent valider ce constat. Qu’est-ce qui fait que le Parti Pirate tchèque pourrait tenir dans le temps ?

Evidemment, nous aussi nous pouvons faire des fautes mais nous essayons de rester humbles. L’avantage est que nous pouvons tirer les leçons des autres expériences pirates en Europe mais aussi des autres projets politiques en République tchèque. Par exemple, si nous regardons les Verts, nous voyons qu’ils ont presque disparus aujourd’hui en République tchèque. Nous, nous avons eu le temps de mûrir, de réfléchir et de préciser quelles sont nos attitudes, nos approches, nos principes. Notre évolution n’a pas été précipitée. Nous ne sommes pas une bulle. Nous avons un soutien stable à travers le pays. Nous ne sommes pas loin de devenir le deuxième parti politique de la République tchèque. 

Selon moi, il faut toujours maintenir le contact entre les élus et la base électorale, ne pas oublier les principes dont nous sommes issus : nous organisons des appels d’offre qui sont publics, nous avons un registre de contrats qui est public, nous avons des comptes bancaires ouverts. 

Le Parti Pirate tchèque a l’ambition de gagner les élections européennes. Qu’est-ce que vous pouvez apporter à l’Union européenne ? 

Il y a déjà un représentant des Pirates au Parlement. Il s’agit de Madame Julia Reda (allemande, ndlr). Nous n'apporterons pas quelque chose de complètement nouveau car les idées et les principes Pirates ont déjà été articulés. Mais nous gagnerons une occasion de peser un peu plus dans le débat. Nous allons nous orienter sur le défi que représente le développement des technologies modernes et pousser une réforme fonctionnelle de l’Union européenne pour que celle-ci soit plus pertinente aux yeux des habitants de l’Europe centrale. Nos priorités fondamentales pour les élections européennes se résument en trois mots : liberté, égalité, richesse. 

Il y a des Partis Pirates dans presque tous les pays d’Europe mais on observe des différences sur vos lignes politiques. En Europe centrale et à l’est vous avez une approche très centriste alors que les partis pirates latins semblent plus à gauche. Avec qui comptez-vous vous allier au Parlement européen ?

Notre intention pour ces élections européennes est de nous mettre d´accord sur un programme commun européen et de parler avec une voix unique au Parlement. (NB : Une déclaration commune doit être signée le 9 février 2019 à Luxembourg entre tous les partis pirates européens)

Comptez-vous jouer un rôle pendant la campagne des européennes ?

Ma place est à la mairie de Prague. Je ne pourrai probablement pas faire plus que de suivre d’ici la campagne mais je vais bien sûr contribuer là où je serai pertinent, à savoir apporter mon expérience municipale et soutenir la campagne par mon travail de qualité ici à la mairie de Prague. 

Entretien réalisé en tchèque. Merci à Alena Hanusova à Prague et Jiří Hnilica du Centre culturel tchèque de Paris pour la traduction

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