Chaque semaine, on annonce un nouveau remake. Qu'est-ce qui pousse l'industrie du cinéma à en produire autant ?
West Side Story, À l’Ouest rien de nouveau, Mort sur le Nil, Pinocchio, La Petite Sirène… Avec ces remakes à l’écran, on peut avoir l'impression de revoir toujours la même chose, comme dans Un jour sans fin, ce film où Bill Murray est condamné à revivre la même journée encore et encore. D’ailleurs, même ce film a eu droit à son remake italien. Est-ce que ça veut dire que l’industrie du cinéma vit une crise de l’imagination et n’a plus rien d’original à proposer ? Mais que signifie original ici ? Une notion qui n'est pas pertinente par rapport à l'histoire du 7e art pour l'essayiste et critique de cinéma Jacqueline Nacache : "L’original, c’est une notion qui vient des arts plastiques. Au cinéma, on peut dire que tous les films sont des reprises, ou au contraire que tous les films sont des originaux.
D’après une étude de Verve Search, 91% des spectateurs préfèrent le film original au remake. Alors pourquoi vous continuez à en voir autant à l’écran ? Une question à laquelle répond Morgan Bizet, critique de cinéma et créateur du podcast Arrêt Caméra : "Effectivement, je dirais qu’il y a une tendance au remake, on est complètement dans une ère du remake depuis les années 2000… Mais sinon effectivement le remake au cinéma, c’est quelque chose qui a toujours eu lieu."
En fait, on peut dire que le tout premier remake date du tout premier film des frères Lumière, La Sortie de l'usine Lumière à Lyon. Morgan Bizet précise : "Comme les négatifs s’usaient facilement à l’époque, quand ils reproduisaient et copiaient des films, il fallait pouvoir avoir plusieurs négatifs de la séquence, du coup il l’ont tourné trois fois, ils ont fait pareil avec 'L'Arroseur arrosé', ils l’ont tourné deux fois."
Donc, on a toujours fait des remakes… mais les raisons pour en faire ont beaucoup évolué avec le temps.
Une des premières raisons, qui pousse l’industrie du cinéma à en faire, historiquement, c’est l’évolution technique, avec l’arrivée de la couleur et le passage du muet au parlant à partir de 1927. Cecil B. DeMille, le réalisateur de péplums a fait une version des Dix Commandements en 1923, en noir et blanc et en muet et a refait une version en 1956, avec des couleurs, du son, beaucoup plus de moyens et… Charlton Eston.
Avec la sonorisation progressive des films au début des années 1930, il faut que les films soient compréhensibles pour les publics à l’étranger et les sous-titres n’existent pas encore. L’industrie du cinéma met en place, “la version multiple” à la fin des années 1920. Une innovation technique que commente Morgan Bizet : “Il y avait des studios spécialisés dans ces tournages de films "en version multiple". Un même film américain était tourné plusieurs fois, avec un casting différent et un réalisateur différent pour chaque langue."
En 1929, un cinéaste réalise un film sur le naufrage du Titanic, qui sera tourné à nouveau dans les mêmes décors avec des castings différents : Atlantic, la version britannique, Atlantik la version allemande et Atlantis, la version française.
Cette pratique ne dure pas mais elle inspire une idée aux studios qui vont l’appliquer de plus en plus au fil du temps : plutôt que de distribuer un film franco-français aux États-Unis, autant le refaire complètement avec un casting 100% local.
Des raisons économiques pragmatiques
Pour les producteurs de ces films, céder les droits de remake est souvent plus intéressant financièrement que d’attendre les recettes éventuelles d’une sortie à l’étranger. C’est pour cela qu’Intouchables, gros carton dans les salles françaises, avec 19 millions d’entrées en 2011, est adapté aux États-Unis avec Bryan Cranston à la place de François Cluzet.
Perfetti sconosciuti, une comédie italienne de 2016 - qui met en scène un dîner qui dégénère quand les convives commencent à regarder dans le téléphone de leur voisin - détient ainsi le record au Guiness Book du nombre de remakes, avec 19 versions réalisées en 3 ans. Il a été adapté en France, au Mexique, en Corée du Sud…
Faire un remake, c’est aussi l’occasion de réactualiser un film avec une lecture plus contemporaine en incorporant de nouvelles thématiques. Par exemple La Mouche de David Cronenberg en 1986, remake de La Mouche noire, montre la dégénérescence du corps, que certains ont vu comme une métaphore du sida. Certains remakes ont aussi été justifiés par le besoin de refaire un casting plus inclusif, comme la version 100% féminine de Ghostbusters ou d’Ocean 11 par exemple.
Mais si les producteurs de cinéma misent sur des remakes, c’est surtout parce que c’est plus facile à financer dans un contexte où l’industrie prend de moins en moins de risques avec des films à gros budgets. Comme l'explique Clémence Allamand, maîtresse de conférence en socio-économie du cinéma : "Le cinéma est une industrie de prototype. Ça veut dire que chaque sortie est un pari parce que c’est un nouveau lancement de produit. Il faut que ça soit une idée qui suscite adhésion de partenaires financiers et artistiques qui vont s’engager dans le projet. Et le remake, tout comme l’adaptation, ça rassure. parce qu’en général on va faire le remake d’un film qui a marché."
On fait des économies sur le scénario, sur le travail préparatoire à la production d’un film mais également sur l’aspect communication et marketing, car le film est déjà une marque connue du public.
Le "sequel", trouvaille d'Hollywood
Depuis les années 2010, Hollywood a imaginé un cousin hybride du remake, qui est un remake, sans vraiment le dire.
Et c’est comme ça qu’est né le requel, mélange de remake et de sequel, qui veut dire suite. Il s’agit de surfer sur la nostalgie des années 1980 et 1990, de reprendre un univers bien connu, en imaginant une suite avec une nouvelle génération de personnages qui reprendraient le flambeau. Mais cette suite reprend la structure narrative de l’épisode original, en multiplie les clins d’œil nostalgiques et fait même revenir les anciens personnages, comme une cerise sur le gâteau.
Quelques exemples ? Jurassic Park, Ghostbusters, la série Willow ou Star Wars, un cas d’école, puisque la dernière trilogie reprend exactement la structure de la trilogie originale. Un bon filon la nostalgie du spectateur ? Jacqueline Nacache l'affirme : "Oui, parce que c’est un filon intimiste. Cela s'adresse à la perception la plus intime du spectateur, à sa mémoire, à des souvenirs de son enfance et de sa jeunesse. Par rapport aux films des années 1980, ce sont déjà des classiques mais qui ne sont pas aussi intimidants que les films de l’âge d’or. Ce ne sont pas des vieux films en noir et blanc avec Humphrey Bogart. Ce sont des films qui sont proches. Il y a beaucoup des acteurs qui ont travaillé dans ces films qui sont encore en vie, qui sont encore actifs, qui peuvent en parler."
Mais certains remakes sont aussi des hommages sincères à un classique. Au-delà de l'exercice de style, les meilleurs d'entre eux proposent la réinterprétation d’un univers cinématographique singulier, comme le Suspiria de Luca Guadagnino, ou sa variation malicieuse, comme Coupez de Michel Hazanavicius, ou même comme Blow Out de Brian de Palma, réponse au Blow-Up d’Antonioni.