Pourquoi l’édition est confrontée à la plus grave crise de son histoire
Par Elsa MourguesLa suite de votre saga préférée met des semaines à arriver dans votre librairie ? N'accablez pas votre libraire, c’est parce que le papier est devenu un bien rare. Avant la pandémie, six semaines étaient nécessaires pour fabriquer un roman. Aujourd’hui, il faut trois mois.
On lit de plus en plus. Notamment depuis les confinements et autres restrictions sanitaires, la période récente s'est avérée plus propice à la lecture. Et avec le Pass Culture, les ventes de certains genres littéraires ont explosé, comme le manga qui enregistre une augmentation de 124%. L'édition se porte donc plutôt bien au moment même où produire un livre devient de plus en plus compliqué. Pascal Lenoir, directeur de la production Gallimard, président de la Commission environnement du SNE (Syndicat National du Livre ) et de de la CCFI (compagnie des Chefs de Fabrication des Industries Graphiques ) nous explique en trois points pourquoi l'édition vit une période de crise.
Du papier difficile à se procurer...
Le papier utilisé dans la littérature de poche provient majoritairement de forêts du nord de l’Europe dont l’entretien nécessite des coupes régulières. Ces déchets de forêt ou parfois de scierie sont transformés, le plus souvent sur place, en pâte à papier puis acheminés en Europe. Depuis la pandémie de Covis-19, c’est ce transport qui pose problème.
Pascal Lenoir : "Le problème mondial d'approvisionnement est lié à un problème de fret : il manque des containers et des bateaux. En outre, nous avons des problématiques de transports routiers car il manque des chauffeurs de poids lourds en Europe de façon conséquente, donc le transport et le fret sont devenues des problématiques plus complexes et plus lentes."
Un problème rendu plus aigu encore pour certains livres, comme les illustrés, qui nécessitent un papier particulier, majoritairement produit en Amérique du Sud.
... et plus cher à produire
La majorité des papetiers en Europe sont répartis dans différents pays selon le type de livre et de papier produit.
Pascal Lenoir : "La littérature est majoritairement imprimée en France, pour des raisons de proximité, de capacité d’approvisionnement rapide des libraires, puisque ce sont des marchés qui vivent au jour le jour. Sur des marchés plus lents ou plus complexes qui nécessitent de la reliure notamment, comme les livres d’art, les beaux livres, les albums, la fabrication se fait plutôt en Italie ou en Espagne. Mais l’Europe de l’Est monte en puissance avec des imprimeurs proposant des services pour du livre illustré et relié."
Pour ces entreprises européennes, un autre défi se pose : la pâte à papier composée à 98% d’eau doit être séchée. Un processus particulièrement consommateur d’énergie.
Pascal Lenoir :"Nous subissons en plus une augmentation du coût de l’énergie qui vient perturber les prix, parfois à une vitesse phénoménale : on a vu des augmentations de 10 à 15%, parfois en un mois. "
Moins de papier plus de carton
Ces problèmes d’approvisionnement ou de coût de l’énergie s'ajoutent à ceux que connaît le secteur du papier depuis 15 ans.
Pascal Lenoir : "On a pratiquement divisé par deux la consommation de papier en 15 ans. Mais à côté de cela, on a de plus en plus besoin de carton pour faire de la livraison à domicile, mais aussi pour se substituer au plastique. Le marché du carton évolue donc positivement : des papetiers européens sont en train de transformer du matériel qui fabriquait du papier auparavant pour faire du carton, et personne ne peut leur en vouloir pour cela."
Déjà en augmentation, la demande de carton a explosé depuis la pandémie et l’essor du e-commerce. Les livraisons de repas et de produits alimentaires ont doublé depuis le début de la pandémie. Le papier a donc dû encore plus s'effacer au profit du carton.
Pascal Lenoir : "On a eu pendant la période de Covid des arrêts de machines importants. En Eurpope, la fabrication de millions de tonnes de papier a été interrompue au profit du carton."
Cette crise du papier entraîne des retards dans la publication de nos livres, mais elle a aussi d’autres répercussions : pour les fleuristes qui ne trouvent plus de papier pour leurs bouquets, pour les vendeurs d’emballage en carton dont les prix augmentent. Ce qui pourrait faire ressurgir le spectre d'un retour à l’utilisation du plastique...