Pourquoi La Mecque est loin d'être le seul lieu de pèlerinage musulman

Publicité

Pourquoi La Mecque est loin d'être le seul lieu de pèlerinage musulman

Par
Un pèlerin chiite dans la ville sainte de Najaf en Irak, touche le portrait de l'imam Hussein
Un pèlerin chiite dans la ville sainte de Najaf en Irak, touche le portrait de l'imam Hussein
© AFP - H. Hamdani

carte. Le pèlerinage de la Mecque commence ce 30 août. 5e pilier de l'islam, c'est le pèlerinage le plus important, mais loin d'être l'unique pour les musulmans. Cartographie d'un phénomène social, autant politique que religieux.

Le pèlerinage de la Mecque débute ce mercredi. Cinquième pilier de l'islam, il constitue le pèlerinage le plus important pour les musulmans. La Mecque est pourtant loin de constituer le seul lieu saint de l'islam. Cartographie d'un enjeu clé de l'avenir de la pratique religieuse musulmane.

Le hajj, le plus important pèlerinage musulman

Carte des nombreux lieux saints et de pèlerinage musulmans
Carte des nombreux lieux saints et de pèlerinage musulmans
© Radio France - Camille Renard

Sur les pas du Prophète, chaque musulman a l'obligation d'accomplir le pèlerinage à La Mecque au moins une fois s'il en a les moyens physiques et matériels, point d'orgue de sa vie de croyant. Au-delà du nombre impressionnant de deux millions de pèlerins réunis en six jours (du 8 au 12 ou 13 du 12e mois du calendrier musulman), quelques autres chiffres permettent d'esquisser l'ampleur du pèlerinage de la Mecque (données recueillies par l'Institut du Monde Arabe pour l'année 2012) :

Publicité
  • 50 0000 tentes dans la plaine de Mina (à 4 km de La Mecque)
  • 49 cailloux ramassés par pèlerins dans la plaine de Muzdalifa
  • 97 020 000 cailloux ramassés et jetés (en 2013)
  • 8 litres d’eau zem zem consommée par pèlerin
  • 40 000 pèlerins sans permis de pèlerinage
  • 1 621 982 pèlerins arrivés par avion (113 026 par autobus, 17 930 par bateau)
  • 5 000 € (contre 276 € en 1976) : prix moyen du hajj au départ de France
  • 42 000 caméras de surveillance
  • 100 000 policiers et militaires sur place
  • 360 000 pèlerins se sont rendus dans des centres de soin médicaux
  • 632 : date du 1er pèlerinage à la Mecque
Concordance des temps
59 min

Le rôle joué par le hajj dans la vie de millions de musulmans permet à l'Arabie saoudite de s'en servir comme outil de pression politique, cette année en particulier vis-à-vis de son voisin qatari, comme l'explique Nabila Amel, journaliste au service étranger de France Culture :

Le hajj, instrument géopolitique

1 min

Le hajj est loin d'être le seul pèlerinage musulman

Au Kazakhstan, mausolée soufi de Yasawi, un des deux principaux sanctuaires soufis d'Asie centrale.
Au Kazakhstan, mausolée soufi de Yasawi, un des deux principaux sanctuaires soufis d'Asie centrale.
© AFP - Robert Harding

Dès la naissance de l'islam au VIIe siècle, à partir des trois villes saintes de l'islam - Jérusalem, La Mecque et Médine - un réseau dense de lieux sacrés essaime, particulièrement au Maghreb (Maroc), en Égypte, en Inde et en Indonésie. Leur forme va de la modeste tombe près d'un arbre abritant la dépouille d'un poète soufi, à la plus prestigieuse mosquée urbaine contenant le mausolée d'un membre de la famille du Prophète. Si La doctrine officielle de l’islam ne reconnaît comme saint que Dieu, et bannit donc l'application à d'autres de la notion de sainteté, la reconnaissance de la sainteté du Prophète entraîne progressivement la sacralisation de sa tombe à Médine, et provoque à son tour celles de ses proches, puis, au début du XIIIe siècle, l’instauration de la commémoration de sa naissance. Les initiatives populaires étendent ainsi peu à peu la vénération portée à Muhammad et aux prophètes bibliques à de multiples saints, savants et sages locaux.

Concordance des temps
58 min

Plusieurs facteurs propres à la religion musulmane et à son inscription dans l'espace et l'histoire, contribuent à expliquer cet te multiplication des lieux saints :

- Le caractère canonique, obligatoire, du hajj à La Mecque, et la difficulté de sa réalisation. Avant le développement des transports de masse modernes, à mesure que l'on s’éloigne de La Mecque se multiplient les figures saintes intermédiaires, et les pèlerinages auprès de leurs mausolées, plus accessibles à la majorité des musulmans. Dans ces "hajj par substitution", selon l'expression de l'historienne de l'islam Catherine Mayeur-Jaouen, plusieurs éléments sont calqués sur le pèlerinage canonique : mixité homme femme, circumambulation autour d’un objet... comme lors du pèlerinage bosniaque d’Ajvatovica, considéré comme "la Ka‘ba du pauvre ".

- Au Pakistan, en Afghanistan, ou en Inde par exemple, l’islam, lui-même pluriel, se mêle aux religions chrétienne, sikhe et hindoue. Au sein du réseau de lieux saints né de ces diverses traditions religieuses s’établissent des hiérarchies et des hybridations, des conflits, parfois, constituant une géographie sacrée au croisement des religions.

- L’absence de représentations figurées et de reliques dans l'islam impose une "dictature du lieu", qui explique l'importance des sanctuaires et des tombeaux.

- La pérégrination est un trait fondamental de la civilisation musulmane, qui s'est construite dans les frontières mouvantes d’un empire.

- Citons enfin les enjeux économiques, avec le développement d'un business de la charité mêlé à celui du tourisme : les revenus générés par le hajj, tous confondus, ont par exemple été estimés par Sylvia Chiffoleau à 20 milliards de dollars en 2013, et les possibles instrumentalisations politiques et géopolitiques, le rassemblement des foules étant propice à la propagande. L’interruption des pèlerinages chiites iraniens vers les villes saintes de Nadjaf et Kerbala, en Irak, depuis la guerre qui a opposé les deux pays au cours des années 1980, et les obstacles dressés par le pouvoir de Saddam Hussein à la pratique du culte des chiites, ont par exemple infléchi les itinéraires des pèlerins en direction de la Syrie, drainant des mouvements touristico-religieux qui ont bénéficié à l’économie du pays, jusqu'à l'inversion du flux depuis 2011 et le développement du conflit syrien.

La diversité des termes pour qualifier les types de pèlerinages exprime la diversité des pratiques religieuses vis-à-vis des lieux saints :

  • hajj (“se rendre à”) : uniquement le pèlerinage canonique à La Mecque.
  • ‘umra : le petit pèlerinage à La Mecque, à n’importe quel moment de l’année.
  • ziyârât ("visites") : pèlerinages individuels ou par petits groupes dans des sites liés au Prophète (descendants et compagnons), à des saints soufis....
  • mawsim ("saison" et "fête", a donné le mot français "moussem") : fêtes patronales, fréquentes au Maghreb, qui associent autour d’un sanctuaire, rituel religieux, foire et fête foraine.
  • mawlid ou mouled ("anniversaire") : célébration de la naissance du Prophète, mais aussi fêtes patronales, en Égypte notamment.

La montée en puissance de l'islamisme radical permet de comprendre l'enjeu actuel du pèlerinage dans le monde musulman. Le wahhabisme interdisant tout culte des saints, les Saoudiens au pouvoir arasent un grand nombre de lieux sacrés à travers le pays, et au sein même de La Mecque et de Médine. En 2012, à Tombouctou au Mali , les islamistes de Ansar Edine détruisent sept des seize sanctuaires musulmans inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. La même année,, les ultra-radicaux libyens font exploser le mausolée soufi le plus important du pays, à Zliten. Ces lieux saints et de pèlerinage représentent pour ces tenants d'un islam radical une vision populaire, festive, affective et profondément humaine de la pratique de l'islam, qui contrevient à leur vision puriste et dogmatique du Coran et la religion. Cette "tentation de supprimer ces modalités de croyance, ces fêtes religieuses, par une adhésion diffuse aux normes des wahhabites et des salafistes" constitue selon l'historienne Sylvia Chiffoleau "un des enjeux clé de l'islam pour les années à venir".

A lire " Les mondes de l'islam", série de cartes et d'analyses sur les nombreuses facettes de l'islam