Pourquoi le Front national refuse toujours la qualification d'extrême droite
Par Anne Fauquembergue
Le XVIe congrès du Front national est organisé à Lille ce week-end. Un congrès dit de la "refondation" au cours duquel Marine Le Pen compte annoncer le changement de nom du FN. C'est aussi pour rompre avec le passé qu'elle refuse toujours l'épithète extrême droite pour qualifier son parti.
Depuis des années l'épithète extrême droite fait débat au sujet du Front national. Avec des points de vue divergents selon les chercheurs, historiens ou journalistes. Voici, avant un congrès dit de "la refondation", les avis de Marine Le Pen, de son père et de Florian Philippot. Conclus par celui du psychanalyste Roland Gori.
"Un mensonge", d'après Marine Le Pen
La présidente du Front national semble vouloir poursuivre sa stratégie de "dédiabolisation". Elle cherche à s'éloigner de l'héritage de son père, qu'elle a exclu en 2015 du FN pour des propos polémiques sur la Shoah. Mais au-delà du changement de nom de son parti dont les adhérents ont accepté le principe, Marine Le Pen répète à nouveau ces derniers jours que le FN n'est pas d'extrême droite. Encore mercredi, lors d’une interview sur RTL, la présidente du FN a déclaré : "le fait que l’on accole au FN, à la Ligue (Italie) ou au FPÖ autrichien le terme d’extrême droite me dérange car c’est un mensonge". En 2013, sur ces mêmes ondes, elle affirmait déjà :
Affubler le FN du terme d'extrême droite est une faute déontologique des journalistes, un acte de militantisme et une bavure intellectuelle.
La finaliste perdante de la dernière présidentielle avait aussi menacé à l'époque de traîner devant les tribunaux ceux qui continueraient de qualifier ainsi le FN. Elle reprenait ainsi l'initiative passée de son père.
Et il y a tout juste sept ans, Marine Le Pen expliquait déjà à l'AFP qu'elle récusait depuis bien longtemps ce terme :
Il y a une nomenclature du ministère de l'Intérieur qui parle de FN, alors que celle d'extrême droite ne correspond pas au FN, mais à des groupuscules. C'est une formulation qui recèle un jugement politique, je demande qu'il n'y ait pas de jugement politique", a-t-elle insisté. L'utilisation de ce terme est par ailleurs "inversement proportionnelle à ma montée dans les sondages", faisait-elle remarquer.
"Une droite nationale, populaire et sociale" pour Jean-Marie Le Pen
Marine Le Pen n'est pas la première à refuser la catégorisation d'extrême droite. Malgré ses multiples déclarations choc parfois condamnées par la justice, son père l'a fait avant elle, et dès la création du parti. En 1996, le co-fondateur du FN avait même envoyé de multiples menaces de poursuites judiciaires aux médias qui utilisaient le terme "extrême droite" pour qualifier le FN. Libération et le Monde avaient ainsi été condamnés dans des contentieux avec le Club de l'Horloge, le quotidien Présent et le Front national. Plusieurs hommes politiques s'en étaient émus. Quarante d'entre eux avaient pris position dans le journal Libération pour protester et assumer ce qualificatif "d'extrême droite" dans le discours public.
Mais pour Jean-Marie Le Pen, "il y a une intention malveillante dans l'utilisation du terme extrême droite : on sait très bien que le terme d'extrême droite est un terme polémique qui d'ailleurs en sémantique donne extrémiste de droite alors qu'à gauche c'est gauchiste". Le co-fondateur du FN préfère parler de "droite nationale, populaire et sociale", une dénomination à laquelle il est fidèle depuis 1972 et la création du parti. D'ailleurs, le FN est né sous l'impulsion de François Duprat, la tête pensante d'Ordre nouveau, les racines sont donc bien d'extrême droite. Ce que nie toujours Jean-Marie Le Pen, que nous avons rencontré cette semaine :
"Ordre nouveau était un groupe étudiant qui avait peut-être dans ses expressions, les excès qui sont ceux de la jeunesse"
5 min
Je crois que Marine Le Pen a raison de ne pas accepter le qualificatif d'extrême droite, d'autant qu'il y a à l'extrême droite, c'est-à-dire dans la contestation du régime républicain lui même, un certain nombre de groupes ou groupuscules qui ne peuvent pas être confondus avec le Front national.
La vraie-fausse dédiabolisation du FN
Pour l'ancien numéro 2 du Front national Florian Philippot : "l'extrême droite c'est la racialisation des rapports sociaux, le refus de la démocratie et de la République". Selon lui, le FN a été un parti d'extrême droite mais il y a eu une rupture avec l'arrivée de Marine Le Pen à sa tête en 2011. Néanmoins, il ne croit pas que le congrès du FN soit une nouvelle étape de la "dédiabolisation". Le FN garde en effet toujours dans ses rangs des adhérents dont le profil est lié à l’extrême droite. Des personnes issues de la mouvance identitaire par exemple qui ont de bonnes compétences pour relayer les thèmes et les idées du FN sur le web notamment.
Les partis politiques ont intérêt à se présenter en conciliant toutes leurs contradictions
Le psychanalyste Roland Gori affirme pour sa part que ce n'est pas au parti politique de se définir. Il se réfère au travail d' Umberto Eco pour dire qu'il existe un fascisme primitif et éternel qui ne peut pas être assigné à un parti politique : le culte de l'action violente, le refus de la critique et des Lumières. Or selon lui :
Il y a aujourd'hui une contradiction entre le désir de démocratie porté par l'humanisme après la deuxième guerre mondiale et les exigences d'un matérialisme extrême que constitue le libéralisme. Si nous n'inventons pas une nouvelle voie de démocratie humaniste sociale et libérale, nous risquons de voir émerger des formes de populisme qui pourrait recycler ce qu'on appelle traditionnellement l'extrême-droite.
Roland Gori
4 min
