Pourquoi les vidéos de chats rendent "gaga"

Pourquoi les vidéos de chats rendent "gaga"
Pourquoi les vidéos de chats rendent "gaga"

Pourquoi les vidéos de chats rendent "gaga" - #CulturePrime

Publicité

Pourquoi les vidéos de chats rendent "gaga"

Par

Ils sont les vraies stars de l'Internet, ces petits chats mignons qui donnent une soudaine envie de bêtifier. Voici comment une stratégie bien ficelée nous rend accro, à notre insu, à tout ce qui est "cute", "kawaii" ou mignon.

A pas feutrés, sur leurs petits coussinets roses, ils ont envahi vos écrans. Mais derrière ces vidéos inoffensives de chatons se cache une stratégie pour vous rendre accro. Voici comment l’esthétique du mignon vous rend “gaga” à votre insu. 

Cinéma, séries, Internet, produits dérivés : l’esthétique du “mignon” a contaminé tout ce qui nous entoure. Avant-garde de cet univers "cute", les vidéos de chatons, apparues dans l’Internet de la fin des années 2000. Vincent Lavoie, historien de l'art et auteur de Trop mignon ! Mythologies du cute (PUF, 2020) a notamment étudié les mécanismes de ce succès.

Publicité

Parmi ces chats, Attila Fluff, l’un des premiers chats stars de l’Internet. Ces clips vidéo de quelques secondes reprennent les codes du cinéma des origines et produisent la même stupéfaction que les spectateurs qui découvraient les films des frères Lumière.

Vincent Lavoie : “La trame narrative est extrêmement simple, on sait qu’il va y avoir une cabriole, quelque chose de drôle, il y a la brièveté du format et une conclusion qui se veut comique.”  

Derrière ces vidéos de chat, c’est un véritable capitalisme numérique qui s’est construit avec des millions de vues, comme le montre le succès de Lil Bub, petite chatte handicapée en raison d’une mâchoire inférieure sous-développée. 

Vincent Lavoie : “Ce n’est pas tant sa "mignonnerie" que sa singularité qui a fait en sorte que, moyennant des stratégies marketing bien au point, ce chat est devenu une vedette, montrée à la TV. On a réalisé des produits dérivés, c’est devenu un véritable phénomène qui a rapporté des sommes importantes à son propriétaire.” 

En fait, l’esthétique du “cute” emprunte beaucoup au kitsch, courant esthétique mineur du XXe siècle, qui produit des objets industriels bon marché inspirés d’œuvres d’art.

Vincent Lavoie : “Avec le mignon, il y a cette espèce de culte de la reprise qui crée un effet d’émulation : on veut reprendre, répéter. Il y a cette dimension de la surcharge, surcharge esthétique, surcharge affective qui justifie un rapprochement avec le kitsch.” 

Mais alors pourquoi certains visages déclenchent-ils plus que d'autres des réactions émotionnelles ? En 1943, Konrad Lorenz, un éthologue autrichien, établit que certains traits du visage d'un bébé déclencheraient naturellement l’empathie chez l’adulte.

Vincent Lavoie : “Front bombé, grand yeux, finesses des traits : un ensemble de traits essentiels à la théorie de l’évolution de Lorenz. D’une certaine façon, notre progéniture doit être mignonne de façon à ce qu’on s’en occupe bien."

Une stratégie marketing juteuse

L’évolution du design de Mickey Mouse est caractéristique de cette morphologie, passant de l’adulte espiègle  à l’enfant joufflu et innocent. 

Du Grain à moudre
39 min

Vincent Lavoie : “Walt Disney s’est probablement rendu compte qu’il y avait de la part de son public une réponse affective plus intéressante à partir du moment où Mickey suscitait le registre émotionnel propre au mignon. La transformation de son personnage-phare allait dans le sens de cette constitution de monde imaginaire où triomphe la gentillesse.” 

Depuis Disney, d’autres industries ont compris l’intérêt économique à donner des traits “mignons" aux objets comme l‘automobile, dont la carrosserie évoque parfois des visages, avec des yeux à la place des phares :

Vincent Lavoie : “Les voitures peuvent avoir des expression gentilles, comme la Coccinelle, ou plus agressives comme la Mustang. Il y a comme une volonté de rompre le fossé qui distinguait les objets technologiques des êtres vivants, en essayant de transposer dans des objets inanimés des caractéristiques morphologiques dans lesquelles les spectateurs vont se reconnaître. Cela reste une stratégie marketing très efficace.” 

Au contraire, le kawaï, l’équivalent japonais du mignon, est vu comme une résistance au productivisme et au capitalisme.

Vincent Lavoie : “Il y a une volonté de ne pas passer à l’âge adulte, de ne pas s'inscrire dans une structure du travail incessant et harassant. Le kawaï est une sorte de repli juvénile qui essaie de préserver le plus longtemps possible une sorte de monde de plaisirs innocents.” 

Mais trop de kawaï tue le kawaï. Le “cute” infantilise, rend docile et crée un espace dépolitisé sur Internet. Il peut aussi véhiculer des discours dangereux grâce à des images en apparence inoffensives, comme lorsque des djihadistes utilisent des photos de chatons pour rendre leur cause sympathique et recruter via les réseaux sociaux. 

Vicnent Lavoie : “Quand on s'extasie devant des objets mignons ou toute sorte de repli infantile, on est dans une posture régressive - un peu comme chez Walt Disney - qui nous situe dans une zone de non-action politique. Lorsqu’on est submergé par ces émotions, on n’est pas dans une posture d’opposition ni de résistance.”