Diapason transgenre cette semaine : "quand
Julien devient
Julia" Sur les Docks , quand
Bertrand Bonello ouvre les carnets de ses films fantômes dans les Ateliers de la création. J'ai demandé à Céline Ters des extraits de son journal depuis le tournage du film consacré à Yves Saint Laurent jusqu'à l'
exposition au Centre Georges Pompidou.
Les fantômes de Bertrand Bonello
Curieux chemin emprunté par les documentaires. Certains appartiennent à des familles, d'autres sont comme des ovnis. Les films fantômes à France Culture constituent un début de collection. Qui mieux que Céline Ters aurait pu en parler :
Si le fantôme est ce qui dans le noir vibre, si le fantôme est le hors champ du mirage, si le fantôme est ce qui hante en l'absence de traces, alors la radio est par essence l'art fantôme, cet art fragile et puissant à la fois, non de saisir, mais de transmettre l'onde fugitive...
C'est mues par cette conviction, qu'avec Florence Colombani, nous avons commencé il y a cinq ans, pour France Culture à aller au devant des spectres cinématographiques qui ont hanté et défaits jusqu'aux plus grands cinéastes : Visconti et son scenario Proust, Fellini et son voyage de Mastorna, Bunuel et son Moine, Losey et son Proust encore... autant de cinéastes traqués par des fantasmes psychiques de scenario trop dangereux pour accéder à la vie, des fleurs mentales obsédantes et empoisonnées, des films assassinés par leurs propres auteurs.
Nous avons ainsi voyagé dans ces ruines mentales, que nous avons retrouvées, éparpillées dans d'autres films, abandonnées dans des notes, refoulées dans des lettres ... par des cinéastes aujourd'hui défunts.
Puis Florence a eu l'envie d'interroger un cinéaste vivant.
Avec Bertrand Bonello (L'Apollonide, Saint Laurent...) nous ouvrons à présent le cercueil de deux de ses scenario ainsi écrits par lui, pensés, rêvés puis enterrés vifs. Avec lui, nous désembaumons deux corps magnifiques nés il y a dix ans, deux corps mutants, jumeaux et tellement dissemblables, abandonnés à peine nés, la mort dans l'âme, par leur auteur.
France Culture et le Centre Pompidou donnent à entendre aujourd'hui ces deux peintures sonores de films ressucités :
La mort de Laurie Markovitch et Madeleine d'entre les Morts .
Récit d' une rencontre étrange qui prouve que quand l'image défaille, le son a encore son âme à dire.
Journal de bord **Comment enregistrer la hantise ? **
7 novembre 2013 : Hotel Intercontinental, rue Scribe Paris.
Nous sommes accueillis sur le tournage ultra - secret de Saint Laurent.
Les équipes du film sont installées dans une luxueuse salle baroque aux murs tapissés de dorures et de glaces. Les maquilleuses et les costumes s’entrecroisent dans un brouhaha classieux et studieux. La scène tournée est celle du fameux défilé 1962. Bertrand Bonello est tendu. Il accepte pourtant de porter toute la journée le micro-cravate que nous lui confions, pour l’enregistrer dans le feu de l’action et de sa création. L’idée est que pour enregistrer un fantôme, donc ce qui se dérobe, il faut passer par ce qui s’offre. Nous nous invitons donc sur un tournage pour capter en creux ce qui hante le cinéaste. Alain Joubert notre ingénieur du son se glisse doucement ainsi avec sa perche au milieu du plateau et enregistre… de mon côté je m’installe dans une pièce à part, un casque sur les oreilles et écoute toute la journée, les mots de Bertrand à son staff, à ses comédiens, à lui-même … Je suis comme le capitaine de la Stasi de « La vie des autres »… Installée dans la tête de Bertrand Bonello.
Bertrand Bonello est un directeur d’acteur droit, précis, calme, souriant, implacable. Si une comédienne s’entête à sortir de son rang, il la recadre poliment. A la deuxième incartade, il la tue. A la troisième, il la ressuscite.
A un moment, je n’entends plus rien. Long silence. Je lève la tête, il est devant moi. Sorti du plateau pour venir se servir un café.
