Présidence française du Conseil de l'Union européenne: "Faire parler tout le monde pour trouver des compromis"

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Présidence française du Conseil de l'Union européenne: "Faire parler tout le monde pour trouver des compromis"

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Emmanuel Macron lors de la présentation à la presse des grandes lignes de la Présidence française de l'Union européenne, le 9 décembre 2021 à Paris.
Emmanuel Macron lors de la présentation à la presse des grandes lignes de la Présidence française de l'Union européenne, le 9 décembre 2021 à Paris.
© AFP - Ludovic Marin

Entretien. Quel sera le rôle de la France à la tête du Conseil de l'Union européenne ? Pour six mois, Paris endosse le rôle de "broker", l'artisan des compromis au sein des 27, explique Éric Maurice, de la Fondation Robert Schuman. Une fonction cruciale pour pousser ses ambitions européennes.

Tous les six mois, un nouveau pays membre de l’UE prend la tête du Conseil de l’Union européenne. Au 1er janvier 2022, la France endosse la fonction, pour la première fois depuis 2008. Son rôle : trouver la voie des compromis pour faire avancer les négociations européennes sur les chantiers législatifs en cours.

Pour le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes Clément Beaune, la Présidence de l'Union européenne est aussi "un accélérateur d’Europe". Un accélérateur dont on connaît les priorités depuis la conférence de presse du 9 décembre 2021.

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Paris devrait ainsi pousser le travail législatif en cours sur la régulation des Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – et s'efforcer de faire avancer le "Paquet climat", qui doit permettre à l’UE de remplir son objectif de réduction de gaz à effet de serre. La France appelle également de ses vœux un cadre législatif sur l’instauration de salaires minimums dans chacun des États européens. Paris va aussi mettre sur la table la révision du cadre budgétaire qui limite l’endettement des États membres, suspendu jusqu’à fin 2022 et une réforme de l'espace Schengen. 

Cela passera par l'organisation en France de grands sommets dits "informels" entre les 27 dirigeants, sur des thématiques chères à Emmanuel Macron, par exemple la défense ou l’autonomie stratégique ou la refondation de l’Europe, des thèmes qu’il porte depuis son discours de la Sorbonne en 2017. Une dizaine de villes françaises vont accueillir ces sommets et Près de 400 événements publics sont également prévus dans le cadre de cette Présidence française de l'Union européenne. 

Entretien avec Éric Maurice, responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Robert Schuman, sur le rôle de la France dans ses nouvelles fonctions et les grands enjeux de la Présidence française de l'Union européenne.

Quel rôle la France tient-elle au sein de l'Union européenne à partir du 1er janvier 2022 ? 

La France préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne, c'est-à-dire les Conseils des ministres. Le rôle de la France est donc de diriger ses réunions des ministres européens dans les différentes configurations : affaires économiques et financières par exemple, transport, environnement, affaires intérieures… Et dans ce cadre, le rôle de Paris est de faire progresser l'adoption des lois européennes, de trouver des accords entre les 27 États membres et, lorsqu’ils ont un accord entre eux, de négocier avec le Parlement européen l'adoption définitive de ces propositions de textes législatifs européens. 

Pour résumer, c'est un rôle de pilotage et de recherche du compromis ? 

Oui, on dit souvent à Bruxelles que [le pays qui préside le Conseil de l'Union européenne] est le "broker", c'est-à-dire celui qui doit trouver ou aider à trouver des compromis entre les différentes positions des États membres, ce qui suppose à la fois des discussions au niveau ministériel, mais aussi des discussions au niveau préparatoire – entre les experts techniques des différents États membres – et au niveau des ambassadeurs. Le rôle de la France est donc de faire parler tout le monde pour trouver des accords. 

En quoi cela diffère-t-il de la précédente présidence française du Conseil de l'Union ? 

La grande différence avec la présidence française de 2008, c'est que, en 2009, le Traité de Lisbonne a été adopté. Il a créé le poste de président permanent du "Conseil européen", qui réunit les chefs d'États et de gouvernement. Lors de la précédente présidence française, Nicolas Sarkozy présidait  ce Conseil européen. Aujourd'hui, c'est l'ancien Premier ministre belge Charles Michel qui tient ce rôle. Emmanuel Macron ne présidera donc pas les  sommets des chefs d'État et de gouvernement. C'est la grande différence avec 2008.

On ne peut donc pas dire que le président Macron est le "patron de l'Europe"…

Emmanuel Macron ne sera pas le patron de l'Europe dans la mesure où il ne dirigera pas ces discussions des chefs d'État et de gouvernement. Ce que le président français peut en revanche faire, c’est impulser une réflexion, impulser une discussion politique sur des grands sujets. C'est le rôle qu'il a commencé à jouer lors de sa conférence de presse [sur la Présidence française de l'Union européenne, ndlr], le 9 décembre 2021. Et c'est ce qu'il fera probablement lors d'un sommet qui sera organisé à Paris les 10 et 11 mars pour réfléchir à l'avenir de l'Union européenne. Il ne dirigera pas les discussions – c'est le travail de Charles Michel, le président du Conseil européen –, mais évidemment, les propositions que la France présentera à ses partenaires nourriront ces discussions et pourront alimenter la réflexion sur l'avenir de l'Union. 

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Il y a d'autant plus de poids politique qu'on est un grand pays ?  

La France, évidemment, est un grand pays, c'est la deuxième puissance démographique économique de l'Union européenne, derrière l'Allemagne. C'est un membre fondateur. Plus largement, c’est aussi le seul membre de l'Union européenne qui a un siège permanent au Conseil de sécurité et qui détient l'arme nucléaire. D'un point de vue militaire stratégique, c'est important. Et puis, plus précisément en ce moment, en termes de personne, Emmanuel Macron est le dirigeant le plus ancien parmi les grands pays européens. Le nouveau gouvernement allemand vient d'entrer en fonction. Le Premier ministre italien est arrivé récemment.

Depuis environ un an, Emmanuel Macron a une certaine "séniorité" par rapport aux dirigeants des autres grands pays. Et comme il arrive en fin de mandat, il va aussi jouer de ce poids politique et personnel dont il dispose au sein du Conseil européen.

Comment cette présidence française est-elle perçue par nos partenaires ? 

Emmanuel Macron a mis la barre assez haut lors de sa conférence de presse. Ses partenaires européens savent que la présidence française sera un moment d'ambition pour l'Europe, sera l'occasion d'engager de grands projets. Certains États membres sont un peu réticents à ces grands projets français. C'est assez traditionnel dans l'Union européenne, mais ils se retrouveront tous autour de la table pour en discuter. Et là, il faudra voir comment Emmanuel Macron peut obtenir des soutiens de pays comme l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, par exemple, ou l'Espagne. Et comment il peut entraîner les 26 autres chefs d'État et de gouvernement à le suivre un peu dans cette réflexion pour essayer de réorienter et donner un nouveau souffle à l'Europe. 

En matière de grands projets, que compte faire Emmanuel Macron ? Sur quelles grandes thématiques entend-il emmener ses partenaires ? 

La première grande thématique est la souveraineté de l'Europe, que ce soit en termes économiques, industriels, ou en termes de de régulation des plateformes et des nouvelles technologies. C’est très important pour la France. C'est une idée que Paris porte depuis quelques années et qui commence à être partagée par les autres États membres.

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Autre grand thème, ce sont les politiques économiques et sociales pour essayer de réformer la gouvernance budgétaire de l'Union européenne et essayer d'aller un peu plus loin dans l'intégration de la zone euro et il veut aussi faire avancer ce qu'on appelle l'Europe sociale. La France, notamment, espère avoir un accord sur un cadre commun pour un salaire minimum.

La France aussi veut porter ce que ce qu'elle appelle le sentiment d'appartenance européenne, c'est-à-dire l'identité commune, la culture commune, et essayer de développer les échanges entre les Européens pour essayer de construire un sentiment commun face non pas face au reste du monde, mais en tout cas pour faire face aux défis actuels de la planète. 

Certains États s'inquiètent-ils de cette ambition européenne d'Emmanuel Macron ? 

On peut distinguer plusieurs positionnements. Celui de la France, classique de son point de vue : elle veut obtenir une gouvernance économique, donc pousser pour que l'État joue un rôle dans la politique économique, dans la politique industrielle de l'Union européenne. Certains États membres, notamment les Pays-Bas ou les pays nordiques, qui sont très portés sur le libre-échange, y sont un peu réticents, même si aujourd'hui, ils prennent conscience que l'Europe doit aussi savoir se défendre et savoir défendre ses intérêts, en matière de  défense notamment.

L'idée d'autonomie stratégique, aussi, est portée par Paris, mais certains États ne veulent pas s'éloigner de l'Otan, alors même que la France et le président américain Biden ont déclaré que l'autonomie stratégique européenne pouvait venir en complément de l'Otan. Certains États membres, comme la Pologne et les pays baltes, sont toujours à convaincre sur ce sujet-là.

On retrouve donc des différences d'appréciation, mais on sent néanmoins que les lignes bougent en Europe, notamment avec le nouveau gouvernement allemand.

Le premier déplacement officiel d'Olaf Scholz, nouveau chancelier allemand, l'a conduit, le 10 décembre 2021, à Paris.
Le premier déplacement officiel d'Olaf Scholz, nouveau chancelier allemand, l'a conduit, le 10 décembre 2021, à Paris.
© AFP - Michael Kappeler/DPA

Justement, ce nouveau couple franco-allemand, comment le percevez-vous ? 

D'une part, il est indispensable, nécessaire dans la prise de décision européenne, dans la façon de définir les grandes orientations de l'Union. À Paris et à Berlin, on en est très conscient. Le nouveau chancelier allemand n'est pas un inconnu pour la France, puisqu'il était ministre des Finances [sous le gouvernement d'Angela Merkel, depuis 2018, ndlr]. Et la France a beaucoup travaillé avec lui, notamment dans le cadre du plan de relance européen suite à la crise pandémique. Ce dialogue-là, cette coopération, vont donc se renforcer.

Il y a eu un message symbolique au dernier Conseil européen, puisqu’ Emmanuel Macron et Olaf Scholz, le nouveau chancelier, ont tenu une conférence de presse commune. Ils ont donc tout de suite identifié l’axe franco-allemand comme un point important dans les politiques européennes.

Il faudra ensuite voir comment les lignes politiques peuvent s'accorder, notamment sur la réforme de la gouvernance économique en Europe, ou sur ces fameuses questions d'autonomie stratégique et de défense européenne. Il faudra encore voir si la coalition allemande est ambitieuse, mais on sait que les équilibres en son sein sont parfois difficiles à maintenir. 

D'après vous, cela peut-il mieux se passer pour Emmanuel Macron qu'avec Angela Merkel ?

Disons qu'Angela Merkel était par nature pragmatique et prudente. Il fallait donc souvent faire un effort pour la convaincre. L'accord de coalition du nouveau gouvernement allemand appelle l’Europe à faire un saut, se prononce en faveur d’un caractère plus fédéral pour l'Union européenne, et l'exécutif fédéral est prêt à discuter d'une réforme des traités européens. Il fait aussi sien le concept de souveraineté européenne ! On sent donc qu'avec l'équipe réunie autour d'Olaf Scholz, il y a peut-être une volonté, effectivement, de faire bouger l'Europe.