Le prix Nobel de médecine a récompensé ce lundi 3 chercheurs américains "pour leurs découvertes des mécanismes moléculaires qui règlent le rythme circadien". En quoi cela rend-il "service à l'humanité", pour reprendre le critère distinctif d'Alfred Nobel ? Entretien avec le biologiste Serge Birman.
On oublie souvent l'intitulé exact du premier prix Nobel décerné chaque année : prix "de physiologie ou de médecine". Cette année, plus qu'un traitement thérapeutique strictement médical, c'est le versant physiologie qui a été récompensé. L'académie suédoise a décerné le prix aux Américains Jeffrey C. Hall, 72 ans, Michael Rosbash, 73 ans, et Michael W. Young, 68 ans, "pour leurs découvertes des mécanismes moléculaires qui règlent le rythme circadien". Ils ont permis de comprendre comment l'horloge interne d'environ 24 heures était réglée comme une réponse aux durées de jour et de nuit modifiées artificiellement. Selon le testament d'Alfred Nobel, le prix honore des personnalités du monde médical et de la recherche en biologie dont l'œuvre a rendu de grands services à l'humanité. Quels bénéfices du millésime 2017 pour la recherche ? Et pour la santé ? Analyse avec Serge Birman, biologiste.
L'importance de l'horloge biologique interne
Le rythme circadien regroupe les processus biologiques qui ont une oscillation d'environ 24 heures. Si vous mettez une mouche ou un homme dans le noir complet pendant des jours et des jours, ils continuent à avoir un rythme régulier. Le métabolisme de tous les êtres vivants repose sur cette horloge interne, qui se remet à l'heure chaque jour suivant l'alternance entre le jour et la nuit : comportement alimentaire et cycle veille-sommeil sont placés sous le contrôle de ces rythmes circadiens.
Selon l'Académie Nobel, les recherches récompensées cette année expliquent comment "les plantes, les animaux et les êtres humains adaptent leur rythme biologique pour qu'il se synchronise avec les révolutions de la Terre" autour du soleil. Un des principaux bénéfices de cette horloge interne constitue en l'anticipation de l'arrivée du jour ou de la nuit, selon les cycles nocturnes ou diurnes des animaux ou des plantes. Ils ne font pas que réagir au cycle, mais l'anticipent. Quand vous vous réveillez juste avant que votre réveil ne sonne, vous vous sentez par exemple beaucoup plus en forme que quand la sonnerie brutale vous sort de votre sommeil.
Serge Birman, directeur de recherche CNRS à l’ESPCI, au laboratoire "plasticité du cerveau", analyse la portée de ce prix 2017 au micro de Céline Loozen pour l'émission La Méthode scientifique :
Ces recherches ont été effectuées chez un organisme modèle qui a beaucoup servi au début du XXe siècle : la drosophile (ou "mouche du vinaigre", ndlr). Un chercheur décédé, Seymour Benzer, a découvert en 1971 chez cette mouche le premier gène qui contrôlait le cycle circadien, le gène "période". Chez l'homme, un mécanisme très similaire à celui de la drosophile a été conservé au fil de l'évolution. Ce qui a été observé chez cette petite mouche a une très grande généralité, et permet de comprendre l'ensemble du rythme circadien chez les êtres vivants.
Les chercheurs suivants, et notamment ceux qui ont été récompensés par le Nobel cette année, ont identifié la structure du gène animé pour contrôler le cycle au niveau moléculaire. Ils ont aussi identifié les cellules du cerveau de la drosophile qui contrôlent le cycle circadien.
Ils ont découvert une boucle de rétro-contrôle négative, au niveau moléculaire dans les cellules de l'horloge, qui dans le cerveau contrôle le rythme circadien : un cycle de synthèse et de dégradation des molécules au fil de la journée, qui fait qu'on est actif dans la journée et au repos la nuit. Au moment où le jour se lève, les animaux sont par exemple entièrement prêts. C'est ce qu'on appelle l'anticipation.
Ces chercheurs ont aussi identifié le rôle de molécules très importantes, comme le cryptochrome, qui sert à synchroniser l'horloge moléculaire interne et l'environnement extérieur. Avant ces travaux, on ne savait rien de tout cela. On savait qu'il y avait une horloge interne, mais on ne savait rien de ses origines moléculaires ni même si cela pouvait être contrôlé.
Quels "services à l'humanité" rend le prix 2017 ?
Si elles sont du principal ressort de la physiologie, ces recherches chrono-biologiques ont aussi des implications médicales, comme une meilleure compréhension des troubles du sommeil héréditaires. En traçant depuis les années 1980 le "gène horloge" ou "période" de la mouche, et en en adaptant les analyses aux humains, les trois chercheurs américains, dans leurs laboratoires respectifs ou ensemble, ont constitué une base pour identifier les troubles de sommeil et de rythme biologique. Les cycles circadiens ont aussi des conséquences sur les troubles de l’humeur. Ainsi, l'avance du cycle veille-sommeil a par exemple un impact dans le traitement de la dépression ou des troubles bipolaires. Les résultats obtenus vont enfin par exemple permettre de préciser les conséquences sur le sommeil de la lumière bleue véhiculée par les écrans, au moment du coucher.
Le chercheur français Serge Birman conclut son analyse du prix 2017 par les bénéfices de ces recherches pour la médecine :
Les interactions avec le sommeil, et de nombreuses maladies neuro-dégénératives, affectent le rythme circadien. Par exemple, les personnes victimes de la maladie de Parkinson subissent souvent des troubles du sommeil, probablement dus à ces perturbations du contrôle du rythme circadien, qui entraînent à leur tour des dysfonctionnements au niveau cérébral.
Comme le rappelle Pierre Corvol, titulaire de la chaire de médecine expérimentale au Collège de France de 1989 à 2012 dans un article concernant les progrès scientifiques, les progrès médicaux ne sont pas tous thérapeutiques ou palliatifs. Comme ceux récompensés aujourd'hui, ils peuvent aussi concerner la validation de bio-marqueurs en aidant à la prédiction et la prévention des pathologies. Ils n'en sont pas moins cruciaux pour le progrès des sciences et de l'humanité.
Dans la discipline "physiologie ou médecine", les Etats-Unis ont obtenu à eux seuls plus de prix Nobel que les 10 pays suivants du palmarès réunis, depuis la fondation du prix en 1901 : soit 97 prix pour les Etats-Unis, incluant 2017, et si l'on tient compte des lauréats individuels. Les cinq pays suivants sont le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, la Suède et la Suisse.