Publicités politiques sur les réseaux sociaux : en avoir ou pas

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Publicités politiques sur les réseaux sociaux : en avoir ou pas

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Les réseaux sociaux et notamment Twitter sont le moyen de communication favori du président américain Donald Trump
Les réseaux sociaux et notamment Twitter sont le moyen de communication favori du président américain Donald Trump
© Getty - SOPA Images

Repères. Une présence sur les réseaux sociaux est aujourd'hui indispensable aux politiques. Mais au-delà d’interactions régulières avec leurs abonnés, ces plateformes leur offrent surtout la possibilité de diffuser des publicités politiques ciblées : Twitter a décidé de les interdire mais pas Facebook.

Twitter et Facebook sont devenus des plateformes indispensables aux politiques pour diffuser leurs messages. Aux États-Unis, le Président Donald Trump utilise chaque jour Twitter pour faire des annonces. Il est aussi le plus gros consommateur de publicité politique sur Facebook. Or, Facebook n’entend pas "limiter la liberté d’expression" en continuant d’autoriser les publicités à caractère politique. Il n'est pas non plus question pour le plus gros réseau social du monde de vérifier si ces publicités contiennent ou non de fausses informations. De son côté, Twitter a décidé en novembre d'interdire les publicités politiques, considérant que ce type de messages ne doit pas "s’acheter"

Les positions de Facebook et Twitter

C’est dans une série de tweets que Jack Dorsey a annoncé que depuis le 22 novembre, les publicités politiques ne seraient plus autorisées sur Twitter. Le patron du réseau social à l'oiseau bleu considère que "la portée des messages politiques devrait être méritée et non achetée". Pour lui, il en va de la crédibilité des réseaux sociaux car il n’est pas possible d’un côté d’empêcher les utilisateurs de diffuser de fausses informations et de permettre à ceux qui payent pour des publicités politiques de dire ce qu’ils veulent. "Il ne s’agit pas de liberté d’expression", conclut-il, en référence sans détour aux explications du PDG de Facebook. 

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Car pour justifier sa volonté de ne pas interdire ces publicités politiques, Mark Zuckerberg a brandi l’argument de la liberté d’expression. Lors d’une conférence pour les analystes le 30 octobre dernier, le patron de Facebook a déclaré ne pas croire que dans une démocratie _"il soit juste que des entreprises privées censurent les personnalités politiques ou les informations"__._ Une décision confirmée le 9 janvier 2020 par le directeur de produits de Facebook Rob Leathern. Il écrit dans un billet de blog : "Nous basons nos principes sur le fait que les gens puissent entendre ceux qui ont vocation à les diriger, le bon grain comme l'ivraie, et que ce qu'ils ont à dire soit passé au crible et débattu en public".

Lors d’une audition devant le Sénat américain le 23 octobre dernier, Mark Zuckerberg avait tenté de défendre sa position face à la sénatrice Alexandria Ocasio-Cortez (voir vidéo ci-dessous, en anglais). Le fondateur du réseau social a rappelé les cas dans lesquels des contenus pouvaient être retirés, y compris s'il s'agit de politiciens, à savoir "des contenus violents ou pouvant entraîner des dommages physiques ou empêcher les gens de voter". À la question de la sénatrice new-yorkaise,"voyez-vous un potentiel problème avec le manque total de vérification des publicités politiques ?", Mark Zuckerberg répond : "Je pense que mentir c’est mal et si vous lanciez une publicité mensongère, ce serait mal. Cela ne veut pas dire que la bonne chose à faire pour nous est d’empêcher les citoyens de voir que vous avez menti". "Supprimerez-vous les contenus ou non ?" insiste-t-elle, réponse du patron de Facebook : "Dans une démocratie, je crois que les gens devraient être capables de voir pour quels politiciens ils pourraient voter ou non"

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La Question du jour
8 min

Le ciblage des publicités politiques

Maria Mercanti-Guérin est maîtresse de conférence en marketing à l’IAE (Institut des administrations des entreprises) de Paris et s’intéresse aux réseaux sociaux depuis plusieurs années. "Avec ma vision de ‘marketeuse’, explique-t-elle, _je dirais qu’__il n’y a pas de problème à avoir de la publicité politique sur les réseaux sociaux._ Si on considère que la politique a le droit de faire de la publicité, elle utilise toutes les stratégies et tous les outils marketing à sa disposition pour cibler au mieux les gens." Les politiques se contenteraient donc d’appliquer ce que la plupart des grandes marques font tous les jours.

Pour la spécialiste en marketing digital, le débat sur la présence de ces publicités politiques va finalement "bien au-delà des réseaux sociaux" car la publicité politique existe depuis bien longtemps à la télévision par exemple. À la différence près qu’à la télévision, il n’est pas possible de cibler directement les électeurs et électrices indécis pour tenter de les convaincre de voter d’un côté ou de l’autre. 

Si on considère que la politique ne doit pas faire de publicité parce que cela introduit une inégalité de traitement vis-à-vis des candidats ou des partis riches par rapport aux candidats pauvres, c’est un autre débat, un débat démocratique.                                                        
Maria Mercanti-Guérin, maîtresse de conférence en marketing à l'IAE de Paris

Le ciblage existe pourtant depuis plusieurs années. Lors de la première campagne électorale de Barack Obama, déjà en 2008, "une stratégie de mailing et de calling [d’envoi d’e-mail et d’appels téléphoniques, ndlr] ciblée sur la base des cartographies d’électeurs potentiellement intéressés par son parcours" avait été mise en place raconte Alexandre Eyries, auteur de "La Communication poli-tweet" et enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne Franche-Comté. Une manière de s’adresser à ses sympathisants ou aux personnes susceptibles de l’être et non à la totalité des votants, ce qui peut potentiellement être gênant pour la démocratie. Un ciblage qui peut être défini en fonction des données personnelles et des actions des usagers de Facebook sur le réseau social.

C’est l’utilisation des données personnelles sans le consentement de leur propriétaire en vue de leur envoyer des publicités politiques ciblées lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 qui avait provoqué le scandale de Cambridge Analytica, cette société britannique spécialisée dans l’analyse de données et le conseil en communication. 

La Question du jour
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Une définition assez floue

Une autre difficulté tient dans la notion même de publicité politique. "En marketing, explique Maria Mercanti-Guérin, on différencie les publications organiques, des publications payantes. L’organique, c’est tout ce que les personnes mettent comme contenu, sans publicité. Tout ce qui est payant, c’est de la publicité."

Si la définition paraît assez simple, elle se complique nettement au sujet de la publicité politique. La co-autrice de "Marketing digital" donne pour exemple un post sponsorisé du gouvernement sur la réforme des retraites. Doit-il être considéré comme de la publicité politique ou de l’information pour les citoyens ? "Les frontières ne sont pas bien définies entre organique, payant, publicité politique, communication. On met le doigt dans un engrenage assez dangereux pour la démocratie" analyse-t-elle. Car c’est aussi via les réseaux sociaux que se sont organisées des révoltes comme  "le printemps arabe" ou celle des "gilets jaunes" en France. 

Le Billet politique
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Une frontière assez floue, c'est aussi ce que pense Paige Morrow, avocate au sein de l'ONG britannique Article 19 qui défend la liberté d'expression. Dans un article de medium.com, elle explique craindre que la décision de Twitter limite le travail d'ONG et de militants sur le réseau social car les publicités traitant de questions législatives telles que le changement climatique, la santé, l'immigration, la sécurité nationale ou encore les impôts seraient aussi visées par la mesure. L'avocate prône un accès égalitaire à tous les partis et candidats si les publicités politiques en ligne sont acceptées. "Certaines associations, notamment les petites associations, n'ont pas nécessairement la possibilité de distribuer leur contenu de manière très large sur les réseaux sociaux et la publicité politique offre une voie d'accès à la tribune mondiale qui est aussi un enjeu de liberté d'expression", ajoute son collègue Pierre-François Docquir, responsable du "programme de la liberté des médias" chez Article 19 et joint par téléphone. 

Au sujet de l'autorisation de la publicité ciblée, que Paige Morrow juge "discutable", "les critères de sélection utilisés devraient être clairement définis" et "un débat public" devrait être instauré pour "déterminer si les règles existantes sont suffisantes pour préserver une démocratie saine". L'ONG souhaite la mise en place d'un Conseil des médias sociaux, qui permettrait l'auto-régulation des réseaux sociaux, en rassemblant les différents acteurs du domaine  : réseaux sociaux, citoyens, médias, associations de journalistes, etc. Écoutez à ce sujet Pierre-François Docquir ci-dessous :

L'ONG Article 19 souhaite la mise en place d'un Conseil des médias sociaux

1 min

Les « fake news » ou fausses nouvelles

Dans une tribune publiée récemment sur le site du Washington Post (en anglais), Yaël Eisenstat, ancienne cadre chez Facebook, notamment en charge des publicités politiques, s’inquiète des dangers de désinformation dans ce type de publicité sur le réseau social. Elle voit dans la politique du groupe "un bricolage" au sujet de ces publicités politiques "qui ne résoudra pas le problème". "Aussi longtemps que Facebook privilégiera les profits aux discours sains, ils ne pourront pas éviter de nuire aux démocraties", écrit-elle. 

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Les réseaux sociaux sont une agora qui a tout de même fait avancer la démocratie. Si vous interdisez à Facebook et Twitter d'avoir une connotation politique, vous supprimez toutes les pages un peu trop politiques, fermez les comptes politiques, elles se recréeront ailleurs avec beaucoup moins de contrôle.                              
Maria Mercanti-Guérin, maîtresse de conférence en marketing à l'IAE de Paris

Mais de là à ne pas du tout vérifier les informations des publicités politiques, il y a un pas. Alexandre Eyries, auteur de "La Communication poli-tweet", juge "incroyable" la décision de Facebook. "Cela pose un problème en terme d'éthique et de déontologie puisque Facebook se définit comme un espace de libre parole. On peut tout dire et tout faire, et surtout n'importe quoi, avec des conséquences qu'on a vues, notamment aux États-Unis récemment : combien y-a-t-il eu de tueries de masse, avec un auteur qui avait fait part de ses intentions très explicitement sur Facebook ? Si on ne combat pas les 'fake news' ni les messages ouvertement problématiques d'un point de vue sociétal et éthique, c'est une posture que je trouve dangereuse", commente Alexandre Eyries. Mais l'enseignant-chercheur reconnaît qu'il est très difficile de combattre les fausses nouvelles dans les publicités politiques car c'est un service payant et qui a donc été acheté par celles et ceux qui en sont à l'origine. La plateforme est donc moins disposée à réguler, critiquer et interdire certaines parties du propos. D'autant plus que la publicité est la principale source de revenus pour Facebook. 

Exemple de publicités politiques diffusées sur Facebook en faveur de Donald Trump
Exemple de publicités politiques diffusées sur Facebook en faveur de Donald Trump
- Capture écran Facebook

Maria Mercanti-Guérin voit dans la stratégie du réseau aux 2,41 milliards de membres actifs la volonté de continuer à bénéficier de l'importante manne financière que lui rapporte la publicité politique. Depuis mai 2018, les publicités portant sur des enjeux sociaux, les élections ou la politique ont atteint 873,7 millions de dollars (soit 791,2 millions d'euros), avec en tête Donald Trump, dont le montant des dépenses en publicité sur Facebook atteint 21,6 millions de dollars (19,5 millions d'euros).

Pour la maîtresse de conférence en marketing, Facebook a beaucoup investi dans les programmes d'intelligence artificielle afin de combattre les fausses nouvelles et son fondateur pourrait estimer que ce problème est réglé par la technologie. En revanche, le problème est plus complexe chez Twitter et pour Maria Mercanti-Guérin, Jack Dorsey a sans doute jugé trop coûteux d'investir dans des moyens luttant contre les fausses nouvelles dans les publicités politiques et donc préféré les interdire tout simplement.

© AFP - Paz Pizarro, Maryam El Hamouchi

La publicité politique pour se détacher des médias traditionnels

Les politiques le savent, leurs électeurs et électrices sont présents, en nombre, sur les réseaux sociaux. Y faire de la publicité leur permet donc _"__de se dégager de l'influence des médias 'mainstream' télé, radio et presse écrite"_, d'après Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Bourgogne Franche-Comté. Et de trouver également "une partie plus jeune des électorats des différents partis dans le monde qui sont plus connectés. Il est plus intéressant d'aller les chercher sur leur terrain de jeu habituel plutôt que de s'adresser à eux via des canaux finalement assez institutionnalisés."

En terme de ciblage et d'influence, c'est mieux d'être sur les réseaux sociaux pour faire de la publicité politique plutôt que de diffuser classiquement un spot de campagne en période électorale à la télé.                                        
Alexandre Eyries

D'ailleurs, aux États-Unis, la décision de Twitter a été vivement critiquée, essentiellement dans le camp républicain. Mitch McConnell, le chef de file de la majorité républicaine au Sénat, a dénoncé une mesure qui ouvre la voie "à un processus arbitraire consistant à choisir les vainqueurs et les perdants dans la compétition des idées". C'est même "une tentative de réduire au silence les conservateurs puisque Twitter sait que le président Trump a le programme en ligne le plus sophistiqué qui ait jamais existé" de l'avis de Brad Parscale, chef de la campagne présidentielle de Donald Trump. Au contraire, les démocrates ont salué l'initiative de Jack Dorsey, notamment le comité de campagne de Joe Biden, qui avait vivement critiqué Facebook pour avoir relayé une publicité contenant une fausse information à son égard, émanant de l'équipe de campagne de Donald Trump.

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Vidéo publiée sur la chaîne YouTube de Donald Trump accusant Joe Biden de corruption et retournant les accusations dont le président est l'objet et qui lui valent un procès en destitution.

En vue de la présidentielle américaine de 2020, Facebook a toutefois précisé une série de mesures pour lutter contre la désinformation et les menaces d'ingérences étrangères. Un plan pour "protéger le processus démocratique" où les comptes des candidats et des élus politiques seront mieux protégés. Le réseau social entend renforcer la transparence en indiquant clairement qui contrôle les pages politiques ou les pages des médias étatiques. En matière de lutte contre les fausses nouvelles, les articles et vidéos qui contiennent de fausses informations d'après des journalistes indépendants seront mieux signalés. 

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