QPC : dix ans de contestation des lois par les citoyens

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QPC : dix ans de contestation des lois par les citoyens

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Révolution juridique et culturelle, depuis le 1er mars 2010, grâce à la QPC, les lois promulguées sont contestables devant le Conseil constitutionnel.
Révolution juridique et culturelle, depuis le 1er mars 2010, grâce à la QPC, les lois promulguées sont contestables devant le Conseil constitutionnel.
© Getty - Naruecha Jenthaisong 

Depuis le 1er mars 2010, tout justiciable peut remettre en cause une loi. Avec plus de 740 décisions prises par le Conseil constitutionnel, le succès de la QPC - nouvelle arme pour les avocats et les lobbies - confirme le retour en France des textes fondamentaux au centre du paysage juridique.

Le droit à l’assistance d’un avocat en garde en vue, la protection des libertés publiques pendant l’état d’urgence ou encore la prise en compte du principe de fraternité dans l’aide humanitaire font partie des avancées majeures qu’elle a permises.

Après 10 ans de pratique, la Question prioritaire de constitutionnalité, la QPC, inspirée de modèles européens, est de mieux en mieux comprise comme un accès du justiciable au Conseil constitutionnel.

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L'acronyme est progressivement passé dans l’expression courante et notamment dans l’expression journalistique, sans qu’il soit systématiquement détaillé.

Preuve du succès de la nouvelle procédure, des milliers de QPC ont été soumises et plus de 740 décisions rendues en matière sociale, environnementale, économique, fiscale... depuis son entrée en vigueur le 1er mars 2010, dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 2008.

Avant cette date, seuls les parlementaires, le premier ministre et le président de la République disposaient d'un droit de regard sur la Constitution.

Révolution juridique pour les Français qui peuvent désormais se saisir des textes fondamentaux, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, soit les droits et les libertés civils, politiques et les droits sociaux, pour les opposer à l’autorité publique. Les lois promulguées ne sont plus incontestables.

Révolution de velours pour le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, la QPC, "sans faire de bruit, a rendu le droit vivant".

Révolution culturelle, en remettant la Constitution au centre du paysage juridique, elle peut être perçue aussi comme une nouvelle arme pour les avocats et les lobbies.

Les QPC transmises par le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation à la Cour constitutionnelle viennent, chaque année, pour la plupart de particuliers.
Les QPC transmises par le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation à la Cour constitutionnelle viennent, chaque année, pour la plupart de particuliers.
- Conseil constitutionnel

QPC :  pour un "contrôle a posteriori" de la constitutionnalité des lois

Avant la mise en place de la QPC, les lois pouvaient déjà être contestées mais uniquement après leur vote et avant leur promulgation, soit un "contrôle a priori". 

Et le Conseil constitutionnel ne pouvait être saisi que par les autorités politiques : le président de la République, le premier ministre, les présidents des assemblées parlementaires et, depuis une révision constitutionnelle de 1974, par 60 députés et 60 sénateurs.

Jusqu'à 2010, le professeur de droit constitutionnel de Sciences Po Bordeaux, Pascal Jan, souligne que :

C'est surtout cette procédure, par les parlementaires, qui a été appliquée et que c'est justement quand cette saisine parlementaire est devenue régulière dans les années 1980, à l'arrivée de la Gauche au pouvoir, sous François Mitterrand, que s'est vraiment posée la question de l'ouvrir aux citoyens, ou en tous cas aux justiciables.

L'idée avait déjà été évoquée au début des années 1970, dans le programme commun des partis de gauche. Et c'est sous l'impulsion de l'ancien garde des sceaux, Robert Badinter, qu’un premier projet de loi intitulé "l'exception d'inconstitutionnalité", après des années de réflexion, est présenté en 1990, mais rejeté par le sénat.

Malgré cet échec, Pascal Jan assure qu'il y a toujours eu ensuite une "volonté d'élargir le recours au Conseil constitutionnel" et que :

La maturation des esprits et le progrès de l'état de droit en France ont fait qu' en 2008, sous Nicolas Sarkozy, lors de la grande révision constitutionnelle, "l'exception d'inconstitutionnalité", rebaptisée "question prioritaire de constitutionnalité" a pu être adoptée et mise en place à partir de mars 2010.

Jour historique, le 25 mai 2010, quand l'avocat Me Arnaud Lyon-Caen répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse au Conseil constitutionnel, à l'issue de la première audience publique d'une QPC.
Jour historique, le 25 mai 2010, quand l'avocat Me Arnaud Lyon-Caen répond aux questions des journalistes lors d'une conférence de presse au Conseil constitutionnel, à l'issue de la première audience publique d'une QPC.
© AFP - Bertrand Langlois

QPC : inspirée de plusieurs modèles étrangers

L'Italie, l'Allemagne et l’Espagne ont ouvert la contestation aux justiciables bien avant la France, l'Italie en 1947, l'Allemagne en 1949 et l'Espagne en 1978.

Le système adopté par ces trois pays permet à leurs citoyens, depuis plusieurs décennies, de présenter des recours, à l'occasion d'un procès, sur la constitutionnalité d'une loi.

Et ce système est lui-même inspiré d'un autre système en place de longue date, depuis 1803, le système américain mais, précise le professeur Pascal Jan, avec une grande différence :

Dans le système européen, il y a une juridiction spéciale, le Conseil constitutionnel pour la France ou la Cour de Karlsruhe pour l’Allemagne. Aux Etats-Unis, tous les juges peuvent se prononcer jusqu'à la juridiction majeure, la Cour suprême qui intervient en dernier ressort. Il est possible d'attaquer la constitutionnalité d'une loi, partout sur le territoire américain, devant un juge californien, devant un juge du Texas, devant un juge du Minnesota, devant un juge de Floride ...

Et en Europe, après la chute du mur de Berlin, le système mis en place par l’Italie, l'Allemagne et l’Espagne, a été adopté par les pays de l’Est qui ont eux-mêmes introduit le contrôle de constitutionnalité a posteriori, un contrôle concentré, monopolisé par une institution.

Pascal Jan affirme que ce système dont s’est inspiré la France est devenu "le droit commun en matière de protection des droits et des libertés".

Et à la différence des autres pays européens, le choix a été fait, lors de de la révision constitutionnelle en 2008, de permettre la saisine par les citoyens, à travers des filtres : le Conseil d’Etat pour la juridiction administrative et la Cour de cassation pour la juridiction judiciaire.

Ces deux juridictions suprêmes, chargées de transmettre les QPC au Conseil constitutionnel ne disposent que d’un délai très court de trois mois pour se prononcer sur le caractère sérieux des dossiers. 

Prioritaire, la QPC permet aussi un traitement des questions touchant aux libertés fondamentales, d’abord au plan national, avant une éventuelle saisine des cours européennes. 

Répartition par branche du droit des décisions rendues par le Conseil constitutionnel en QPC, entre le 1er mars 2010 et le 1er mars 2020.
Répartition par branche du droit des décisions rendues par le Conseil constitutionnel en QPC, entre le 1er mars 2010 et le 1er mars 2020.
- Conseil constitutionnel

QPC : pour mieux garantir les droits et libertés

Depuis dix ans, la QPC permet déjà aux justiciables de déférer des lois, anciennes ou récentes, qui n’ont pas encore été contestées par les parlementaires. 

Et un autre acquis est jugé très important par le professeur Pascal Jan, selon les évolutions de la jurisprudence et l’apparition de nouveaux principes constitutionnels : 

La QPC permet aussi aux justiciables d’invoquer de nouveaux droits, comme celui du droit à l’environnement, depuis que la charte de l’environnement est adossée à la Constitution. Les sages de la rue de Montpensier se sont notamment prononcés pour que les pouvoirs publics soient tenus de communiquer, d’informer les citoyens, à ce sujet.

Et pendant la longue période liée à l’état d’urgence, à la suite des attentats de 2015, le Conseil constitutionnel, a précisé les contours des libertés, dans le cadre d’un maintien de l’ordre public, en se prononçant pour un renforcement de la liberté d’expression, pour le respect du domicile privé... Des droits qui, souligne Pascal Jan, "concernent donc vraiment les personnes elles-mêmes !"

La QPC représente aujourd'hui environ 80% des décisions prises par le Conseil constitutionnel.
La QPC représente aujourd'hui environ 80% des décisions prises par le Conseil constitutionnel.
- Conseil constitutionnel

Autre grande décision qui a eu un retentissement à la fois juridique et politique :   la décision du 6 juillet 2018. Le Conseil constitutionnel appelé à se prononcer sur le "délit de solidarité" pour des étrangers en situation irrégulière, a jugé que le législateur pouvait réprimer pénalement l’aide à leur entrée sur le territoire national, mais pas l’assistance pour des raisons de protection ou de santé, en faveur de ceux qui se trouvent déjà dans le pays. 

En réponse à Cédric Herrou, un agriculteur devenu le symbole de l’aide aux migrants, il y a deux ans, les sages de la rue de Montpensier ont consacré la valeur constitutionnelle du "principe de fraternité", en donnant une force juridique à la devise républicaine.

Preuve de la place importante qu’elle occupe désormais dans le droit, la QPC représente aujourd'hui environ 80% des jugements prononcés par le Conseil constitutionnel.

QPC : au service des procéduriers et d'intérêts privés ?

La Question prioritaire de constitutionnalité, malgré son succès, s'est vu reprochée d'être utilisée comme moyen dilatoire dans certaines procédures, d’être pour les avocats une nouvelle arme pour tenter d’empêcher la tenue des procès, dans l’affaire du Mediator, dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, dans l’affaire EADS, dans l’affaire Cahuzac, ou encore dans l’affaire Bygmalion, pour Nicolas Sarkozy.

L'ancien premier ministre François Fillon, au palais de justice de Paris, le 27 février 2020, après le rejet des QPC soulevées la veille par ses avocats, au début de son procès pour détournements de fonds publics et recel d’abus de biens sociaux.
L'ancien premier ministre François Fillon, au palais de justice de Paris, le 27 février 2020, après le rejet des QPC soulevées la veille par ses avocats, au début de son procès pour détournements de fonds publics et recel d’abus de biens sociaux.
© AFP - Stéphane de Sakutin

Dernier grand exemple en date : l'affaire Fillon, en février dernier

Lorsque la machine judicaire a été lancée, les conseils de l’ancien premier ministre ont effectivement tenté de gagner du temps, sur le fondement de la protection des droits et des libertés, en soulevant, sans succès, plusieurs QPC qui ont très vite été rejetées. 

Le professeur de droit constitutionnel, Pascal Jan, explique que cette arme a de tout temps existé : 

Dès lors qu’un moyen permet de retarder la tenue d’un procès, les avocats évidemment l’utilise, même s’ils savent pertinemment que c'est voué à l’échec. La QPC ne remet pas fondamentalement en cause le bon déroulé d’un procès, puisque qu’après examen du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, et le cas échéant de la Cour constitutionnelle, le prolongement d’une procédure est de six mois maximum !

Les lobbies utilisent aussi la QPC pour défendre leurs intérêts privés, au nom de la liberté du commerce, sans toutefois être assurés non plus d’obtenir gain de cause. 

Des industriels voulaient notamment continuer à exporter des pesticides pourtant interdits en Europe en raison de leur toxicité. A la grande satisfaction des organisations écologistes, le Conseil constitutionnel a tranché en leur défaveur le 31 janvier, en reconnaissant que la protection de l’environnement pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. 

Et là encore, Pascal Jan relève que ce n’est pas nouveau : 

Dans le cadre du système antérieur de contrôle a priori, avant qu’une loi soit promulguée, il y avait déjà des actions des lobbies, sous la forme de mémoires, les portes étroites qui étaient envoyées au soutien des saisines parlementaires, sans laisser de trace, sans que le grand public en soit informé, puisque ce n’était pas prévu dans les textes. La QPC permet au moins d’officialiser cette pratique, de la rendre transparente et qu’elle soit connue de tous ! 

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