L'anthropologue Françoise Héritier vient de disparaître. En juin 2006, elle s'était longuement confiée pour l'émission "A voix nue" sur ses combats, ses émotions, ses travaux. Et ses questionnements sans fond sur l'humain, au travers desquels elle espérait faire évoluer la société.
Anthropologue de renom, Françoise Héritier est morte ce 15 novembre 2017 (jour de son anniversaire), à l'âge de 84 ans. Réécoutez-la longuement à travers ces cinq entretiens qu'elle avait accordés à Caroline Broué en juin 2006, pour l'émission A Voix nue.
Elle avait succédé à Claude Lévi-Strauss au Collège de France, où elle dirigea pendant seize ans le Laboratoire d'anthropologie sociale, et où elle fut titulaire de la chaire d'Etude comparée des sociétés africaines.
Après une enfance passée entre l'Auvergne et la Bourgogne où elle apprit les techniques et les savoir-faire du terroir, Françoise Héritier choisit l'ethnologie pour formation intellectuelle et l'Afrique pour terrain d'étude. De ces années auprès des Samo du Burkina Faso, elle garde des émotions vives, le souvenir d'expériences humaines et le sentiment d'une communauté affective. Spécialiste des systèmes de parenté et d'alliance, Françoise Héritier a surtout travaillé sur des sujets aussi divers que le corps et ses humeurs, les rapports entre masculin et féminin, l'inceste, la violence. Dans la lignée de ses travaux, celle qui a inscrit "l'anthropologie dans la Cité" s'est aussi engagée sur un certain nombre de questions de société actuelles comme le sida, le Pacs ou la parité. Pionnière dans son métier (elle fut la première femme à occuper une chaire d'anthropologie au Collège de France), Françoise Héritier est aussi discrète que prolixe, aussi pudique que généreuse et passionnée. Une très grande dame, dont la voix continue de résonner à travers ces archives.
1. Au commencement était la terre
Dans ce premier entretien, Françoise Héritier revenait sur ses racines paysannes et son enfance, passée entre Saint-Etienne et l’Auvergne. Après ses études en histoire et géographie, elle rencontrait l'ethnologie avec les cours de Claude Lévi-Strauss.
Je suis allée entendre Claude Lévi-Strauss, dont on m’avait dit un bien si grand que je voulais vraiment l’entendre de mes propres oreilles. Et alors là, ça a été la révélation de ma vie, parce que j’ai découvert des choses qui étaient totalement étrangères à mon champ de perception. J’ignorais totalement la nature des faits dont il parlait, j’ignorais que ça ait pu exister. Et puis sa façon de parler, d’expliquer, était tellement intéressante que je les ai toujours suivis par la suite.
Françoise Héritier, “A voix nue”, 19.06.2006
25 min
2. Au cœur de l'Afrique
Dans ce deuxième épisode, Françoise Héritier revenait sur son expérience de l’ethnologie sur le terrain africain, au Burkina Faso notamment, avec la population Samo.
Les systèmes de parenté, et les systèmes d’alliance : c’était, pour Lévi-Strauss, un thème central. Je continue moi aussi à penser que ce sont des thèmes centraux pour la compréhension du fonctionnement d’une société.
Françoise Héritier, “A voix nue”, 20.06.2006
25 min
3. L'identique et le différent
“Je suis une ethnologue africaniste et une anthropologue” écrivait Françoise Héritier. C’est ainsi que, dans ce troisième volet, elle revenait tout d’abord sur les différences entre ethnologie, ethnographie et anthropologie sociale, avant d’arriver au structuralisme et à la pensée de l’identique et du même.
Je pense aussi, comme pensait Einstein, que l'intuition, c'est en fait le résultat que fait le travail de la pensée à travers toute une série d'apprentissages antérieurs, et qui du coup, craque. Il y a un jaillissement et on met en rapport des choses que l'on n'avait pas nécessairement vues auparavant.
Françoise Héritier, “A voix nue”, 21.06.2006
25 min
4. Masculin / Féminin
Dans ce quatrième volet, l'anthropologue se confiait sur l'origine de son intérêt pour la différence des sexes. Elle évoquait également la question de ce qu'elle nommait "l'inceste du deuxième type" (consanguins qui partagent le même partenaire).
Lorsqu’on se déplace d’une culture à une autre, on se rend compte que l’affectation des terminologies peut changer de sexe. Prenons l’exemple actif/ passif. Chez nous « actif » est masculin, parce que si on essaye de l’expliquer, il implique la domination sur les choses […], mais si vous allez en Inde, ou en Chine, le passif est affecté du signe masculin. L’actif est féminin, mais c’est le passif qui est valorisé, parce qu’il signe la maitrise sur soi-même, non pas sur les choses. Et ce qui est important est la maîtrise sur soi-même. […] Ce n’est pas la définition même des termes qui est porteuse d’inégalités, c’est le fait qu’ils soient affectés d’emblée du signe féminin ou du signe masculin. Ça repousse encore le problème.
Françoise Héritier, “A voix nue”, 22.06.2006
24 min
5. L'anthropologue dans la cité
Enfin, dans cette cinquième et dernière partie de l'entretien, Françoise Héritier commençait par revenir sur son intérêt premier pour la géographie. Et elle y déroulait notamment une réflexion autour de la notion de mariage (exogamie, prohibition de l'inceste, répartition sexuelles des taches, mariage homosexuel, en faveur duquel elle se prononçait).
Le mariage, nous l’entendons comme une union entre deux individus. Mais c’est venu très progressivement. Il reste qu’au départ, le mariage c’est une union entre deux groupes qui se cèdent mutuellement un partenaire. […] C’est une suite logique de la prohibition de l’inceste.
Françoise Héritier, “A voix nue”, 23.06.2006
25 min