Quand Michel Rocard estimait les partis condamnés à "la misère ou la fraude"
Par Chloé Leprince
1979. Alors que Jérôme Cahuzac estime avoir joué les serviteurs de la Deuxième gauche en ouvrant son compte illicite en Suisse, redécouvrez ce document d'archive de 1979, où Michel Rocard revendique une plus grande transparence du financement de la vie politique.
Une caisse noire, trésor de guerre du courant rocardien, abritée à l'UBS en Suisse et abondée par Jérôme Cahuzac grâce à ses émoluments de consultant ou de simples dessous de table de l'industrie pharmaceutique ? C'est la ligne de défense de l'ex-ministre du Budget, lundi 5 septembre, devant le tribunal qui l'entendait répondre de "fraude fiscale", "blanchiment de fraude fiscale" et déclaration mensongère de patrimoine.
Dans nos archives, on découvre qu'en 1979 Michel Rocard militait justement en faveur d'une plus grande transparence. Ecoutez-le sur France Culture, dans le cadre d'un dialogue avec son ami le banquier mendésiste Jean Saint-Geours, affirmer que l'impensé de la loi française condamne les partis à "la misère ou la fraude".
Michel Rocard sur "la fraude et la misère" des partis politiques, en 1979 sur France Culture.
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"Il y a une certaine malédiction en France. Dans beaucoup de pays, les lois - parfois la Constitution- prévoient, admettent, décrivent, certaines modalités de financement de la vie publique des partis politiques. C'est un assainissement [....] La Constitution, les lois de la République française, vouent la vie politique à la misère ou à la fraude. C'est une donnée de départ et c'est un choix dangereux car c'est un choix qui emporte avec lui la logique de la concussion."
Après avoir épinglé en particulier les financements issus des fédérations patronales et l'assise financière dont jouit le Parti communiste français, Rocard estime que "la misère triomphe plus souvent que la fraude" et défend l'idée d'un financement des think tanks chargés de nourrir les programmes des candidats... ou des candidats à la candidature :
"A partir du moment où l'absence de financement public voue les forces politiques à la pauvreté... à peine corrigée de ci de là par un peu de fraude... parfois beaucoup de fraude mais ce n'est pas sain et ce n'est pas le choix que nous avons fait nous autres... on ne finance que les campagnes électorales. Or, bien avant de financer les campagnes électorales, il faudrait financer les bureaux d'étude".
D'après les déclarations de Jérôme Cahuzac, la période de collecte pour la caisse noire concernerait les années 1993 à 1995, alors qu'une partie de la gauche poussait Michel Rocard à se présenter à l'élection présidentielle de 1995. Une époque où le financement des partis politiques commençait pourtant à gagner en transparence : une première loi est votée le 11 mars 1988 - un an après le début de l'enquête Urba-Gracco, qui sera celle qui fixera notamment les dépenses électorales des partis représentés au Parlement pour les législatives et les présidentielles.
En 1990, alors que le Premier ministre français n'est autre que Michel Rocard (à Matignon de 1988 à 1991), un projet de loi propose d'encadrer plus avant les financements privés des formations politiques et crée la Commission nationale des comptes de campagne. Cette loi, qui assainit le paysage politique mais amnistie au passage les responsables d'infractions commises avant juin 1989, donc dans le cadre du scandale Urba, restera dans les mémoires comme la " loi Rocard".
Archive INA - Radio France, avec l'appui documentaire d'Isabelle Fort, à l'INA.
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