
Tout au long du Moyen Âge, les pêcheurs du lac de Nemi, en Italie, ont ramené de curieuses trouvailles antiques dans leurs filets. Y avait-il un trésor au fond des eaux ? Ce n'est qu'en 1929 que Mussolini décide de vider le lac : émergent alors les palais flottants de l'empereur Caligula.
C'est un tout petit lac, d'à peine 2 kilomètres de superficie, situé au sud-est de Rome. Rien ne distingue cette étendue aux eaux calmes, si ce ne sont les vestiges d'un ancien sanctuaire de la déesse Diane qui en bordent les eaux. Ainsi qu'une curieuse rumeur : au fond des eaux de ce lac placide pourraient bien se trouver les restes d'antiques navires, que l'on peut entrapercevoir lorsque les eaux sont claires. L'hypothèse a des bases solides : depuis des siècles, les pêcheurs ramènent du fond du lac d'antiques trouvailles, qu'ils vendent ensuite sur les marchés.

Le mystère du lac de Nemi
De telles preuves incitent à enquêter. Dès 1446, un neveu du Pape, le cardinal Prospero Colonna, s'aventure avec quelques hommes au milieu du lac de Nemi et tente, à l'aide de cordes et de crochets, de remonter tant bien que mal ce qui se trouve au fond des eaux. Par plus de 20 mètres de fond, les opérations s'avèrent délicates, et ils n'écopent que de quelques morceaux de bois. Le mystère reste entier.

Un peu moins d'un siècle plus tard, en 1535, un ingénieur militaire, Francesco Marchi, entreprend cette fois de descendre au fond du lac à l'aide d'une cloche de plongée. Là, il observe pour la première fois l'ossature de ce qui lui semble être un imposant navire. A l'aide de son équipement submersible, il parvient à remonter quelques sculptures de marbre et de bronze, preuve qu'il existe bel et bien un trésor englouti. Mais pour quelle raison ? Car la présence d'un bateau n'a guère de sens ici : nulle rivière navigable n'alimente le lac de Némi.
Après la plongée de Francesco Marchi, d'autres se succéderont. En 1827, le chevalier italien Annesio Fusconi utilise à son tour une grande cloche de plongée. Mais ce n'est qu'au début du XXe siècle que des plongeurs de la Marine italienne relèvent, cette fois avec précision, l'emplacement d'une épave dont l'origine reste mystérieuse.
Mussolini et l'empire Romain
Il faut attendre encore quelques décennies pour voir l'énigme résolue, grâce à Benito Mussolini. Arrivé au pouvoir en 1922, le dictateur a pour ambition de créer une "Troisième Rome". Dès avril 1923, il fait référence, lors d'un discours donné à Milan, à une Rome "centre d'un empire sans frontières". Cette invocation de la gloire antique vise à justifier les conquêtes coloniales à venir. Lorsque les troupes italiennes entrent à Addis-Abeba, lors de la guerre italo-éthiopienne de 1936, le Duce affirme : "L’Italie a finalement son Empire. (…) Levez bien haut, Légionnaires, vos insignes, vos armes et vos cœurs pour saluer, après quinze siècles, la réapparition de l’Empire sur les collines sacrées de Rome."
Pour déployer sa propagande fasciste, l'allié d'Hitler va s'appuyer sur le passé, inscrivant l'Italie dans la continuité d'une Rome antique fantasmée. La résurgence de la romanité passe ainsi, entre autres, par la valorisation des vestiges antiques, qu'il s'agisse des fouilles des Forums impériaux (Fori Imperiali) à Rome... ou de se pencher sur les mystérieux navires qui gisent au fond du lac de Nemi.

En 1928, Mussolini commandite des fouilles inédites : pour résoudre le mystère des navires du lac de Nemi, il ordonne que ce dernier soit partiellement asséché. Une compagnie milanaise vient installer une plateforme de pompage qui va drainer sans interruption, de jour comme de nuit, l'eau du lac. Commencée en octobre 1928, cette entreprise archéologique - d'une ampleur inédite - impose de pomper 40 millions de mètre cubes d'eau, rejetés à la mer à l'aide d'une ancienne conduite romaine restaurée pour l'occasion. Le 28 mars 1929, alors que le niveau de l'eau a baissé de près de 20 mètres, les premiers vestiges émergent des flots. Le résultat, rendu possible grâce à une véritable prouesse technique, dépasse toutes les attentes : les archéologues exhument non pas un, mais deux navires, longs de plus de 70 mètres, parmi les plus grands de l'Antiquité jamais mis au jour. Grâce à des inscriptions découvertes sur des tuiles, les chercheurs ne tardent pas à dater ces vaisseaux du 1er siècle de notre ère : ils appartenaient alors à un autre dictateur : l'empereur Caligula.
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Les palais flottants de Caligula
Sur le site des épaves, les archéologues vont accumuler les découvertes : moulures de bronze, statues de marbre, anneaux de rames ornementaux, mosaïques, et jusqu'à des tuiles en cuivre dorées, qui devaient conférer à la toiture de ces navires un éclat sans pareil. Ces trouvailles permettent de se faire une idée plus nette du type de vaisseaux qui flottaient il y a près de 2000 ans sur le lac de Némi : de véritables navires de plaisance, tout entiers dédiés aux fêtes organisées par l'empereur.

Les réjouissances de l'empereur, pourtant, furent de courte durée. Car le règne de Caligula fut bref : à peine 4 ans, de l'an 37 à l'an 41. Dans ce laps de temps, le successeur de Tibère parvint pourtant à se faire un nom : si certains historiens ont depuis pris leurs distances avec ces descriptions, il est en effet resté dans l'histoire pour sa brutalité, sa cruauté, sa façon de dilapider l'argent et ses innombrables provocations. La légende raconte qu'il envisageait de faire nommer consul son cheval Incitatus.
Une chose est sûre, celui dont la devise était "Oderint, dum metuant" ("Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent") avait le goût du faste. On retrouve la trace de ses navires dans Vie de Caligula, écrit par l'historien romain Suétone, où le biographe décrit comment l'empereur s'était fait construire de véritables palais flottants sur lesquels se tenaient fêtes et orgies : "Il fit aussi construire des galères liburniennes à dix rangs de rames, aux poupes ornées de pierres précieuses, aux voiles de couleurs changeantes où l'on trouvait des thermes, des portiques, des salles à manger d'une grande étendue, voire diverses sortes de vigne et d'arbres fruitiers ; c'était pour y donner des festins, en plein jour, au milieu des danses et des concerts, en longeant les rivages de la Campanie".

Caligula ne profitera guère de ses luxueux palais flottants : il est assassiné en 41, par les soldats de sa garde prétorienne, désireux de libérer Rome de son joug. Nul ne sait si les navires ont été utilisés par son successeur, l'empereur Claude, avant d'être coulés sur place... puis retrouvés deux millénaires plus tard.
Un héritage perdu
Pour les archéologues, les navires s'avèrent d'inestimables trésors : ils permettent de répondre à des questions séculaires sur les méthodes de construction des navires romains autant que de confirmer l'existence de très grandes embarcations, les historiens estimant jusqu'alors que les récits de leurs antiques prédécesseurs étaient probablement exagérés. Richement ornés, construits en pin, en cèdre et en chêne, les deux embarcations sont longues de 73 mètres et 71 mètres pour un peu plus d'une vingtaine de mètres de large.

A la poupe, les archéologues découvrent des anneaux d’amarrage maintenus par des têtes de lions, de loups et de léopards en bronze, tandis qu'à l'intérieur, les murs sont couverts de marbre et les sols sont composés de fines mosaïques. Signe d'excès : les poutres de bois de ces luxueuses embarcations sont mêmes enduites de plomb, un traitement destiné à protéger les navires de haute mer d'un type de mollusques - les tarets - qui n'existent pas en eau douce. Comble du luxe, les chercheurs découvrent, outre plusieurs œuvres d'art, les traces d'un système de chauffage complexe permettant d'alimenter les thermes de ces véritables palaces flottants.

Cette découverte majeure est évidemment un triomphe pour Mussolini : elle assoit sont projet de "Troisième Rome". Le dictateur ordonne immédiatement la construction du Musée des Navires romains, destiné à abriter ces merveilles antiques. Hélas, le musée ne dure pas : inauguré en 1936, il est réduit en cendres le 31 mai 1944, avec les navires et nombre de trésors archéologiques, probablement incendié par les troupes allemandes au cours de leur retraite devant l'avancée des forces alliées.

Ironie du sort, Mussolini, qui avait tant souhaité s'inspirer de la Rome antique, trouvera en avril 1945, comme Caligula avant lui, une mort violente. Quant au musée de Nemi, il est reconstruit dès 1953 mais perd, forcément, un peu de sa superbe. On y trouve dorénavant des reconstitutions au 1/50e des deux navires, ainsi que les bronzes et mosaïques ayant survécu aux flammes. L'une des mosaïques qui s'y trouvent a d'ailleurs été récupérée récemment, en 2017, par l’État italien : volée puis revendue, elle siégeait dans le salon d'une famille américaine d'origine italienne, où elle était utilisée comme table basse. Si les palais flottants de Caligula avaient survécu, nul doute qu'ils seraient considérés aujourd'hui comme un des plus grands trésors archéologiques de l'Antiquité romaine.