Ses idées infusent dans le débat public depuis un siècle. Pourquoi Charles Maurras est-il toujours une référence intellectuelle à l’extrême droite ?
Il hante la politique française depuis plus d’un siècle… Charles Maurras fut un antisémite virulent, dirigeant de l’Action française et fervent pétainiste. Il reste une référence pour certains souverainistes et l'extrême droite, dont il incarne la figure de proue durant la première moitié du XXe siècle.
Charles Maurras et ses idées ont longtemps été bannies du débat public. Pourtant les thèmes "maurrassiens" reviennent en force dans le débat public, portés par certains polémistes et figures de la droite identitaire.
Pour l'historienne Carole Reynaud-Paligot, ces thèmes sont "le nationalisme, la recherche d’un État fort, la critique du parlementarisme, les origines chrétiennes de la France face à celui qu’on a désigné comme l’ennemi" et constituent "une dialectique typiquement maurrassienne".
Maurras est loué pour son érudition, sa défense d'une certaine idée de la France, en oubliant parfois de dire qu'il a bâti sa pensée sur le rejet de l'autre, l'idée d'un ennemi intérieur et l'antisémitisme.
Du positivisme au monarchisme
Charles Maurras naît en 1868, en Provence, dans un milieu catholique modeste. Vif d’esprit, érudit, il est passionné de culture antique et de littérature, mais sa surdité précoce l’empêche de faire une carrière militaire et le plonge dans une dépression et une crise de la foi.
D’abord sympathisant républicain, il bascule dans le camp des monarchistes, alors que la France fête en 1889 le centenaire de la Révolution, donnant lieu à un état des lieux de la République.
Maurras est un grand lecteur d’Auguste Comte et du courant positiviste. Il essaye de justifier par des arguments scientifiques pourquoi selon lui la république est caduque.
Olivier Dard, historien : "Ce qui intéresse Maurras dans le positivisme, c’est l’idée selon laquelle on pourrait développer un certain nombre de lois de l’histoire. A l’aune de l’expérience, la monarchie serait le meilleur des régimes. Maurras n’a guère d’appétence pour l'histoire et il cherche dans l'histoire les exemples qui lui conviennent. Mais sa conviction profonde, c’est celle d’une restauration monarchiste par l’expérience historique d’une France qui a duré 1000 ans."
Maurras collabore à plusieurs revues nationalistes, avec son ami l’écrivain Maurice Barrès. Lorsqu’éclate l'affaire Dreyfus, Maurras se range du côté des anti-Dreyfusards et laisse éclater son antisémitisme.
Olivier Dard : "L’antisémitisme de Maurras, c’est un antisémitisme qui s’inscrit dans un refus de ce qu’il appelle les quatre Etats confédérés : les Juifs, les protestants, les françs-maçons et ce qu’il appelle les métèques. Ces quatre Etats confédérés incarnent pour lui la République, c’est ce qu’il appelle le parti de l’étranger."
Il théorise le “nationalisme intégral”, opérant une alliance entre les courants nationalistes alors républicains, et les courants monarchistes.
C’est dans ce contexte qu’est créée l’Action française, d’abord groupuscule nationaliste, qui donne lieu à une revue puis, à un journal. Maurras en prend peu à peu les rênes et en fait son outil de propagande pour attaquer ses ennemis politiques comme Léon Blum, qu’il appelle "à fusiller, mais dans le dos”.
A son apogée, l'Action française imprime 100 000 exemplaires de son journal par jour et compte 60 000 membres, qui s'illustrent notamment le 6 février 1934 en tentant d'envahir l'Assemblée nationale.
La nostalgie d'une France fantasmée
Maurras regrette avec nostalgie l’idée d’une France éternelle, pré-industrielle basée sur les communautés. Il défend aussi une vision très décentralisée du pays.
Olivier Dard : "Maurras est un partisan des cultures locales, la culture provençale notamment, et des pouvoirs conférés aux communes."
Maurras est proche des milieux catholiques traditionalistes, et défend un héritage culturel chrétien occidental. Mais lui-même ne croit pas en Dieu.
Profondément germanophobe, Maurras voit la montée du nazisme d’un très mauvais œil dans les années 1930. Pourtant en 1940, il se range derrière Vichy, qu’il accueille comme une “divine surprise” et soutient les lois discriminatoires sur le statut des Juifs.
Un nouveau bouc-émissaire
Après la guerre, le maurrassisme tombe en disgrâce. Maurras est condamné pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi et condamné à la réclusion à perpétuité et à la dégradation nationale.
Après sa mort en 1952, l’Action française tente de renaître sous plusieurs formes mais ne retrouve jamais son influence d’avant-guerre.
Olivier Dard : "Être Maurrassien aujourd’hui, c’est rester fidèle à une tradition monarchiste, fidèle à une pensée anti-démocratique, rattachée à une série d'idées fédéralistes, nationalistes qui font que les maurrassiens ont été par exemple de tout temps hostiles à la construction européenne."
Maurras est parfois cité comme un intellectuel critique de la démocratie libérale, quitte à occulter son antisémitisme. Mais ses obsessions ont contaminé la société française.
Carole Reynaud-Paligot : "Parmi les valeurs, on a le rejet de celui qu’on définit comme “autre” et l’autre il n’est pas réel, c’est une construction. Les théories du rejet de Maurras, à l’époque les quatre Etats confédérés, les Juifs, les francs-maçons, les protestants, les métèques… Évidemment les Juifs, aujourd’hui, c’est totalement incorrect de professer ouvertement l’antisémitisme. En revanche les métèques on les retrouve, c’est facile, c’est tout ce qui est à l’extérieur des frontières."