Au 1er mai, la consommation de viande de chiens et de chats sera interdite à Shenzhen. Une première en Chine qui pourrait bientôt concerner l’ensemble du pays où une consultation est en cours. Mais cette avancée pour les associations de défense des animaux cache bien d’autres problématiques.
La ville de Shenzhen, au sud-est de la Chine, a décidé il y a quelques semaines d’interdire la consommation de viande de chien et de chat à compter du 1er mai prochain. Une première dans le pays qui pourrait faire tâche d’huile puisque, début avril, le ministère de l’Agriculture chinois a lancé une sorte de consultation publique jusqu’au 8 mai pour interdire la consommation de viande de chien et de chat. Pour les défenseurs des animaux, ce serait une véritable avancée mais le sort d’autres animaux reste toujours aussi inquiétant.
Les chiens, des animaux de compagnie plutôt que comestibles
Sur son site internet, le ministère de l’Agriculture chinois a indiqué le 8 avril dernier qu'"avec les progrès de la civilisation humaine, l'inquiétude et l'amour du public pour la protection des animaux, les chiens ont été 'sélectionnés' pour devenir des animaux de compagnie. À l'échelle internationale, ils ne sont pas considérés comme du bétail, ils ne seront donc plus considérés comme tel en Chine". Un texte soumis à commentaires jusqu’au 8 mai prochain. Chiens et chats seraient ainsi exclus de la liste des animaux comestibles.
La consommation de viande de chien en Chine est minoritaire, d’après les associations de défense d’animaux. Elle concernerait moins de 20% de Chinois dans le centre, l’ouest et le sud du pays et plus de 65% des Chinois n’y ont jamais goûté. D’après l’ONG américaine de défense des animaux Human Society International, "dix millions de chiens sont tués chaque année pour leur viande et quatre millions de chats" sur un total respectivement de 30 millions et 10 millions à travers le monde. Il n’existe pas d’élevage de chiens, si bien que les animaux vendus sont généralement volés ou errants. Toutefois, leur consommation est de plus en plus soumise aux critiques de l’opinion publique dans le pays. "Il est courant de voir sur Weibo [sorte de Twitter chinois, ndlr] de grandes pétitions contre la viande de chien et de chat", témoigne la responsable d’une association de protection des animaux qui soutient 150 groupes de défense d’animaux en Chine. L’enquête publique lancée par le ministère de l’Agriculture ne répondrait alors qu’à l’émotion populaire. Valérie Niquet, la responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche stratégique, estime pour sa part qu’il y a aussi des raisons d’image qui expliquent une telle décision. "Au moment des Jeux olympiques, la Corée du Sud avait par exemple interdit les marchés où l’on vendait du chien. En Chine, on a le même type d’évolution en terme d’image, on déclare qu’on ne consomme plus de chien. Mais comme pour tout le reste des consommations alimentaires animales, le fait qu’il y ait des lois et règlements adoptés ou des déclarations, ne signifie pas que ce sera mis en oeuvre." Pour la chercheuse, cela montre surtout l’évolution de l’esprit public en Chine par rapport aux animaux qui sont devenus des animaux de compagnie.
Pour Reha Hutin, la présidente de la Fondation 30 millions d’amis, "chaque pas en avant est une petite victoire". Elle estime que la "mobilisation et le travail de sensibilisation des associations de protection animale locales et internationales semblent porter leurs fruits" mais concède que "la tâche reste encore immense".
"Un cache-misère"
Une autre responsable d’association qui oeuvre notamment en Chine mais préfère conserver l’anonymat n’hésite pas, elle, à parler de "cache-misère". Car l’enquête publique cache un pan important : celui qui concerne le sort des animaux sauvages. "Lors de cette crise du Covid-19, le problème de la médecine traditionnelle a ressurgi : on prétend que la médecine traditionnelle peut guérir", déplore cette défenseuse des animaux. La Chine a en effet autorisé un médicament à base de bile d’ours, début avril, pour aider contre le nouveau coronavirus. La bile d’ours est utilisée traditionnellement en médecine chinoise et aurait un certain nombre de vertus qui ne sont pas prouvées scientifiquement. D’après la Société mondiale de protection des animaux, ce marché est évalué à plus d’un milliard de dollars par an. Les dix centimètres cubes de bile d’ours se vendent 320 euros et ils seraient entre 10 000 et 20 000 à être enfermés sur le territoire. Le porte-parole d'Animals Asia Foundation, Brian Daly, interrogé par l’AFP, craint lui que cette recommandation de Pékin n’ajoute à la menace qui pèse sur l’ours noir d’Asie, une espèce en danger : "Promouvoir le recours à la bile d’ours risque de se traduire par une augmentation des volumes prélevés, non seulement aux dépens des ours en captivité mais aussi de ceux qui sont en liberté".
La médecine traditionnelle chinoise utilise toute sorte d’animaux sauvages : des os de tigres, de la corne de buffle, des écailles de pangolin… "Ce sont des produits très chers qu’on ne trouve pas en supermarché, explique la présidente d’une association, toujours sous couvert d'anonymat, ils sont autorisés pour la médecine traditionnelle. Et les intérêts financiers sont énormes". Le commerce illicite d’espèces sauvages est évalué à 20 millions de dollars par an, d’après Interpol. Le commerce du pangolin est par exemple interdit depuis 2016 en vertu de la Convention internationale sur le commerce d'espèces sauvages menacées d’extinction. Mais en vingt ans, près de 900 000 pangolins ont été vendus illégalement à travers le monde.
La difficile interdiction du commerce d’animaux sauvages
Lors de l’épidémie du Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) au début des années 2000, la Chine avait interdit le commerce d’animaux sauvages. Ce coronavirus trouvait aussi son origine dans la consommation d’animaux sauvages. La Chine avait finalement permis à nouveau leur commerce mais à condition que ces animaux viennent de fermes autorisées et donc d’élevages. L’ONG de défense des animaux Peta a demandé fin mars à l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) de fermer définitivement les marchés d’animaux vivants pour éviter de futures pandémies.
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"Le problème n’est pas la multiplication de règlements mais leur application", constate Valérie Niquet. "Avec l’évolution du niveau de vie de certains milieux, des pratiques qui n’existaient pas avant ou étaient marginales sont apparues et se sont développées", ajoute la spécialiste de la Chine. Car les animaux sauvages ne sont pas utilisés uniquement pour la médecine traditionnelle, ils sont aussi consommés et dans ce cas, achetés sur des marchés, bien souvent à l’extérieur des centres ou dans des zones moins développées. Valérie Niquet n’a pas connaissance dans la tradition chinoise d’une consommation courante d’animaux rares et sauvages, hormis les pattes d’ours lors des dîners impériaux. Mais depuis quelques années, "il y a l’idée de ces banquets fastueux qu’on offre à des officiels pour les remercier, ou à des clients, en commandant des espèces rares dont on sait qu’elles ont coûté très cher". Cela favorise le maintien et la poursuite des marchés d’animaux sauvages, tout comme la corruption. "Les autorisations [de ces marchés] dépendent des autorités locales, des comités sanitaires locaux. Mais la corruption étant très importante en Chine, il est possible d’acheter des autorisations ou d’acheter le fait que les autorités ferment les yeux", explique Valérie Niquet.
En raison de la pandémie de Covid-19, la Chine a suspendu l’élevage, le commerce et la consommation d’animaux sauvages et a promis de revoir la législation en vigueur pour pérenniser ces interdictions. Mais elles ne seraient déjà plus respectées d’après une association présente en Chine, la viande de pangolin aurait notamment retrouvé les étals. "Le problème de ces marchés, pour la chercheuse Valérie Niquet, est qu’ils sont ouverts à tous et mélangent des espèces domestiques, des espèces sauvages, dans des conditions sanitaires qui ne sont absolument pas respectées. En plus, les animaux sont tués sur place, pour des raisons de ‘fraîcheur’. Dans ce cas, les risques de contamination sont très graves, on l’a vu à Wuhan. C’était le même scénario au moment du Sras. Et on ne sait pas d’ailleurs, s’il n’y a pas eu en Chine, d’une manière moins grave, des maladies ou contaminations qui ont eu lieu autour de ces marchés sans que cela prenne l’ampleur que l’on connaît aujourd’hui. Pour la médecine traditionnelle, les risques sont liés à la destruction de la faune sauvage et d’espèces protégées mais il y a sans doute moins de risques en termes sanitaires."
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Valérie Niquet doute que les nouvelles règles adoptées, tant en matière d’interdiction du commerce d’animaux sauvages que de la consommation de viande de chien et chat, soient réellement appliquées.
Pour montrer que des efforts sont faits et que l’on tient compte des problèmes, on publie de nouveaux règlements, ainsi la Chine peut prôner le changement sur la scène internationale. Mais il y a la pratique. Si elle n’est pas surveillée par un système légal indépendant, si les responsables locaux du Parti communiste ou des comités locaux d’inspection d’hygiène sont soudoyés, s’il n’y a pas de journalistes indépendants pour dénoncer ce type de pratiques, les règlements ne sont pas appliqués.
Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche stratégique
Une pratique renforcée par le niveau de vie en Chine où "pour beaucoup de fonctionnaires, le seul intérêt d’entrer au Parti communiste et de faire partie d’un comité de surveillance est ce que cela rapporte en pots-de-vin", d’après Valérie Niquet. La spécialiste rappelle qu’en 2008 avait eu lieu le scandale du lait à la mélamine, une substance chimique qui avait été utilisée pour augmenter les volumes et qui avait causé la mort de plusieurs bébés et contaminé des centaines de milliers d’autres, "il n’y a pas de systèmes de droit en Chine donc toutes les dérives sont possibles. Cela existe dans n’importe quel pays où il n’y a pas de règles et où la corruption règne massivement."