Quinze ans après la mort de Yasser Arafat, l'Autorité palestinienne et Mahmoud Abbas à bout de souffle

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Quinze ans après la mort de Yasser Arafat, l'Autorité palestinienne et Mahmoud Abbas à bout de souffle

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Dans le centre-ville de Ramallah, les photos du président Mahmoud Abbas sont régulièrement arrachées.
Dans le centre-ville de Ramallah, les photos du président Mahmoud Abbas sont régulièrement arrachées.
© Radio France - Frédéric Métézeau

Quinze ans après la mort de Yasser Arafat, l'Autorité palestinienne semble paralysée à l'extérieur et à l'intérieur, incapable de résister à la colonisation israélienne et d'organiser des élections. Un scrutin aura-t-il lieu en février 2020 alors que le Président Abbas apparaît largement discrédité?

Entre Abou Ammar et Abou Mazen, il n'y a pas photo à Ramallah. En ce jour anniversaire de la disparition de Yasser Arafat (surnommé Abou Ammar pendant ses années de clandestinité), son portrait est accroché partout dans les rues de la ville siège de l'Autorité palestinienne. A l'inverse, les images de son successeur Mahmoud Abbas (surnommé lui Abou Mazen), qui fut longtemps un proche collaborateur d'Arafat, sont régulièrement arrachées. 

A l'approche du quinzième anniversaire de son décès, des portraits de Yasser Arafat parsèment les rues de Ramallah
A l'approche du quinzième anniversaire de son décès, des portraits de Yasser Arafat parsèment les rues de Ramallah
© Radio France - Frédéric Métézeau

"Il y a un fort déficit de démocratie au sein de l’Autorité palestinienne"

Depuis plusieurs années, les Palestiniens se détournent de l'Autorité palestinienne et de son vieux Président malade âgé de 84 ans. Au quai d'Orsay, on soupire : "Au moins en Algérie, ils ne faisaient plus semblant et ils reconnaissaient que Bouteflika était malade. En Palestine, ils veulent nous faire croire qu'Abbas est encore en forme alors qu'il n'a que quelques heures de lucidité par jour et qu'il n'est pas du matin..."

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Mahmoud Abbas a succédé à Yasser Arafat après la présidentielle de janvier 2005. Normalement, il aurait dû remettre son mandat en jeu en 2009 mais celui-ci a été prolongé sans cesse après le coup d'Etat du Hamas à Gaza en 2007. Pendant douze ans, le Conseil législatif palestinien est resté inactif puis il a été dissous en décembre 2018 avec la promesse d'organiser des élections dans l'ensemble des territoires, dans les six mois. Il n'en a rien été et au mois de septembre 2019, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, Abbas a de nouveau annoncé la tenue d'élections en Palestine. Son mouvement, le Fatah, principale composante de l'OLP, vient d'annoncer qu'il serait son seul candidat. Après cette énième promesse, la date de février 2020 circule mais rien n'est certain estime un diplomate européen à Jérusalem : "Il y a un fort déficit de démocratie au sein de l’Autorité palestinienne. Comment organiser des élections en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-est ? Le Hamas est discrédité à Gaza, l’Autorité palestinienne est discréditée en Cisjordanie, ni l’un ni l’autre n’ont envie d’élections car ils se savent discrédités." 

Une colonisation israélienne incontrôlable

Outre cette sclérose intérieure, Mahmoud Abbas est affaibli à l'international. Alors qu'il s'accroche aux accords d'Oslo signés en 1993, dont il a été l'un des négociateurs appliqués, il a face à lui le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui rejette clairement la solution à deux Etats, israélien et palestinien. Et après que Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale de l'Etat d'Israël, Abbas boycotte l'administration américaine. La colonisation juive s'est accélérée comme jamais en Cisjordanie : les colons sont désormais plus de 700 000, le territoire est morcelé sans aucune continuité géographique, balafré par le mur israélien de sécurité (que les Palestiniens appellent mur de séparation) et des routes réservées aux Israéliens, parsemé de check-points militaires fixes ou mobiles. Cette impossibilité physique de constituer un Etat palestinien et l'impuissance de leur Président désespèrent les habitants de Cisjordanie : "On parle de résilience palestinienne mais il y a une détérioration de l’état d’esprit général dans la direction et dans la population. La colonisation est une annexion de fait de la Cisjordanie. Les Européens protestent, les Américains non. L’Autorité palestinienne devait bâtir un Etat sur l’espoir d’un règlement négocié mais la population n’y croit plus", constate notre diplomate européen. 

Mur de sécurité / séparation entre Jérusalem-est et la Cisjordanie, haut de 8 mètres.
Mur de sécurité / séparation entre Jérusalem-est et la Cisjordanie, haut de 8 mètres.
© Radio France - Eric Gérard
Véhicules de patrouille militaire israélienne et de colons dans le nord de la Cisjordanie
Véhicules de patrouille militaire israélienne et de colons dans le nord de la Cisjordanie
© Radio France - Frédéric Métézeau

Mahmoud Abbas a aussi perdu le dernier combat qu'il avait lancé contre Israël. En février dernier, il avait décidé que l'Autorité palestinienne ne percevrait plus un centime des taxes douanières reversées par Israël en vertu de protocoles d'accords internationaux. Il entendait s'opposer à une loi israélienne défalquant de ces taxes le montant des allocations versées par l'AP aux familles de prisonniers palestiniens condamnés et détenus en Israël pour "terrorisme". Tout ou rien, pendant huit mois, Mahmoud Abbas a choisi "rien" mais ces taxes représentant 65% du budget de l'AP, il a dû faire marche-arrière en octobre. Faute de quoi, l'Autorité palestinienne se serait effondrée économiquement et ses fonctionnaires payés avec des mois de retard auraient fini par se révolter. Le Président palestinien a perdu sur tous les tableaux. Il s'était rangé à cette solution à la demande des différents bailleurs internationaux de l'Autorité palestinienne (Union européenne, Nations unies, etc.) qui espéraient qu'Israël ferait un pas vers elle. Mais il n'en a rien été... La seule survivance concrète des accords d'Oslo demeure la coopération sécuritaire entre l'Autorité palestinienne et Israël que Mahmoud Abbas menace régulièrement de cesser.

Le musée qui conforte la bonne image d'Arafat

Le mausolée de Yasser Arafat à Ramallah dont l'architecture est inspirée de la Kaaba à la Mecque
Le mausolée de Yasser Arafat à Ramallah dont l'architecture est inspirée de la Kaaba à la Mecque
© Radio France - Frédéric Métézeau

Le 11 novembre 2004, à la mort de Yasser Arafat en France, la situation était déjà très difficile pour les Palestiniens et l'inflexibilité du Premier ministre d'alors, Ariel Sharon, valait bien celle de Netanyahu aujourd'hui. Mais par comparaison avec la déliquescence actuelle, le charismatique Yasser Arafat pourtant soupçonné de corruption conserve une image flatteuse dans la population palestinienne toujours confrontée aux mêmes difficultés. Même si aujourd'hui on ose poser un regard critique sur ces années et sur le bilan d'Arafat (en particulier les plus jeunes), les Palestiniens voient en lui le seul vrai leader qui a su faire face à Israël. Cette image est d'ailleurs bien entretenue au musée Yasser Arafat ouvert en novembre 2016 à quelques mètres de son tombeau dans le complexe présidentiel de la Mouqata à Ramallah, là où sont installés les bureaux de Mahmoud Abbas. Arafat y a été assiégé pendant les deux dernières années et demi de sa vie par l'armée israélienne. Du portail à la tombe du "raïs" mort à 75 ans, il y a 75 pas. Son mausolée, dont la forme rappelle la Kaaba de la Mecque, fait onze mètres sur onze car il est mort le onzième jour du onzième mois. 

Le projet de discours d'Arafat à l'ONU en 1974
Le projet de discours d'Arafat à l'ONU en 1974
© Radio France - Frédéric Métézeau
Le pistolet et le keffieh d'Arafat
Le pistolet et le keffieh d'Arafat
© Radio France - Frédéric Métézeau

A l'intérieur, des photos, des vidéos et des panneaux explicatifs racontent la vie d'Arafat et l'Histoire des Palestiniens depuis une centaine d'années. Dans les vitrines, l'on découvre des discours du leader de l'OLP tapés à la machine ou bien écrits à la main, son passeport, son pistolet, ses lunettes à grosse monture, ses vareuses kaki, son keffieh et surtout les lieux où il vivait reclus : son bureau, sa minuscule chambre, le dortoir des gardes du corps...

Le dernier bureau d'Arafat à la Muqata
Le dernier bureau d'Arafat à la Muqata
© Radio France - Frédéric Métézeau
La chambre où Arafat a dormi pendant le siège de la Mouqata par l'armée israélienne entre 2002 et fin 2004
La chambre où Arafat a dormi pendant le siège de la Mouqata par l'armée israélienne entre 2002 et fin 2004
© Radio France - Frédéric Métézeau
Le dortoir des gardes du corps d'Arafat dans le bunker
Le dortoir des gardes du corps d'Arafat dans le bunker
© Radio France - Frédéric Métézeau

De temps à autre, la narration enjolive l'Histoire quand, par exemple, il est expliqué qu'Arafat est né à Jérusalem alors qu'il est né au Caire... Les notices parlent aussi du "soutien apparent" de l'OLP à Saddam Hussein lors de l'invasion du Koweït en 1990, alors que ce soutien était manifeste. On peut aussi être choqué par la présence du cheikh Yassine, fondateur du mouvement terroriste Hamas, sur la fresque représentant les grandes figures palestiniennes. Mais la présentation globalement équilibrée n'omet pas la Shoah et les souffrances des Juifs d'Europe, ni le rôle déterminant d'Yitzhak Rabin et de Shimon Peres dans les accords d'Oslo. Accords qui auront valu le Nobel de la paix aux trois dirigeants en 1994.

Une narration palestinienne de l'Histoire

Ce musée, au sein d'une mouqata superbement restaurée qui n'a plus grand chose à voir avec la caserne héritée du mandat britannique et détruite en grande partie par Tsahal, est un bel outil de communication pour raconter le point de vue palestinien du conflit, comme l'explique son directeur général Ahmed Soboh, ancien ambassadeur de Palestine dans plusieurs pays : "Ici, nous présentons notre narration : l'Histoire récente du peuple palestinien au siècle dernier, comment nous vivions avant le mandat britannique et avant la création de l'Etat d'Israël en 1948, ce qui s'est passé depuis jusqu'à maintenant et la lutte continue du peuple palestinien pour avoir son propre Etat et son propre pays. Sincèrement, la solution à deux Etats n'est pas mon problème ! L'existence d'Israël n'est pas mon problème parce qu'il est là et qu'il n'est pas mis en danger. Mon problème, c'est l'existence de mon Etat, la fin de l'occupation et l'indépendance de la Palestine, conformément au droit international et aux résolutions." 

Un musée qui fait de l'ombre à Mahmoud Abbas

Selon sa direction, ce musée magnifique enregistre 5 à 7 000 visites par mois dont 40% d'étrangers. Les affichages sont en arabe et en anglais mais à partir de cette semaine, les audioguides seront disponibles dans sept langues. Mais paradoxalement, ce musée à la gloire d'Arafat consacre l'affaiblissement de son successeur. Lors de la visite émouvante du bunker, certains visiteurs ressortent en larmes et d'autres galvanisés. Pour Sama, guide palestinienne au musée âgée de 23 ans, "il était un symbole pour les Palestiniens. Je me souviens de lui, c'était un leader connu et même s'il est mort en 2004 toute son oeuvre lui a survécu. Les enfants d'aujourd'hui s'en souviennent et l'espoir est toujours vivant de voir l'occupation s'achever pour une Palestine libre." Une représentante de l'organisation Peace and trip qui organise des voyages culturels en Israël et en Palestine le confirme : "Aujourd'hui, lorsque l'on va vous parler de gouvernement ou de présidence, on n'en parlera pas sans évoquer Abou Ammar. D'ailleurs, quand les Palestiniens vous parlent  des problèmes du quotidien, ils évoquent toujours avec regret et tristesse Yasser Arafat qui était un homme extrêmement accessible. Tout le monde en témoigne : quand des personnes avaient des problèmes financiers ou administratifs, elles rentraient à la mouqata et ne ressortaient jamais sans rien." 

Des témoignages, quinze ans après, qui risquent d'étayer les soupçons de clientélisme, même si l'administration Abbas ne semble pas en reste...

Ecoliers palestiniens en visite au musée Yasser Arafat
Ecoliers palestiniens en visite au musée Yasser Arafat
© Radio France - Frédéric Métézeau

Courant d'un couloir à l'autre du musée et de son bureau au bunker, le président de la Fondation Arafat, profite d'un afflux de visiteurs et de journalistes venus à l'occasion du quinzième anniversaire pour étriller l'actuelle direction : "Je pense qu'Arafat représente encore le symbole du nationalisme palestinien et la lutte des Palestiniens pour l'indépendance. C'était mon oncle et sans aucun doute mon modèle, même si à ce moment-là tout n'était pas rose au niveau de la gouvernance. Néanmoins, quand on regarde en arrière, cette époque nous manque car nous avions une démocratie riche. Nous regrettons le droit à ne pas être d'accord mais cela reviendra", affirme Nasser Al Kidwa, également neveu d'Arafat et ancien ministre des Affaires étrangères de l'Autorité palestinienne. Fin octobre effectivement, un tribunal de Ramallah a ordonné la fermeture de 59 sites internet critiques de Mahmoud Abbas, à la demande de l'AP. 

Avec une Palestine coupée en deux entre Gaza soumise au blocus et une Cisjordanie grignotée par la colonisation, des taux de chômage respectivement à 47% et 15% et l'absence d'une dynamique de paix, Mahmoud Abbas parviendra-t-il à réunifier les deux territoires et à organiser des élections ? Mais que se passerait-il si le Hamas remportait le scrutin ? Pour ce diplomate européen basé à Jérusalem "la décision ultime serait la dissolution de l’Autorité palestinienne. Depuis le temps que l’on entend ça… Mais Abbas veut-il mourir en ayant couvert la dégradation de son peuple ?"

Yasser Arafat mort il y a 15 ans et son successeur Mahmoud Abbas aujourd'hui politiquement très affaibli
Yasser Arafat mort il y a 15 ans et son successeur Mahmoud Abbas aujourd'hui politiquement très affaibli
© Radio France - Frédéric Métézeau