Avons-nous déjà perdu la bataille du réchauffement climatique ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et Franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.
Nous n'avons plus qu'une dizaine d'années pour enrayer le phénomène du réchauffement climatique. Selon un rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), publié en octobre 2018, le seuil de 1,5 °C de réchauffement sera franchi entre 2030 (horizon pessimiste) et 2052 (horizon optimiste). Plutôt à l'horizon 2030, étant donné l'augmentation des émissions de CO2 de 2% en 2018, par rapport à 2017.
En clair, si nous ne changeons pas radicalement notre mode de vie dans la décennie qui arrive, les conséquences environnementales seront catastrophiques, préviennent les experts unanimes. Si message n'a jamais été aussi alarmiste, la communauté scientifique affirme également que nous avons encore les moyens d'inverser la tendance. Nous possédons la technologie, il ne manque plus que la volonté politique.
Nous avons demandé à Jeanne Gherardi, enseignante chercheuse à l’Université de Versailles Saint-Quentin si nous pouvions encore inverser la tendance.
Avons-nous déjà perdu la bataille contre le réchauffement climatique ?
Non, la lutte contre le changement climatique n’est pas perdue. Pour rester dans l’objectif des accords de Paris qui est de limiter le réchauffement à 1,5 degré, il nous reste encore une petite marge de manœuvre. Force est de constater qu’en 2018 même, nos émissions ont augmenté de 2% par rapport à l’année précédente, donc oui on est toujours dans la courbe haute, c’est-à-dire atteindre ce 1,5 degré de réchauffement plutôt à horizon 2030 que 2050.
Si demain on arrête d’émettre du CO2, le réchauffement cessera ?
Même si on arrêtait du jour au lendemain l’émission des gaz à effet de serre, malheureusement on ne réduirait pas du jour au lendemain le réchauffement. Le CO2 a une durée de vie autour de la centaine d’années. Même si on arrêtait toute émission de CO2, il faudrait plus d’une centaine d’années pour réduire le réchauffement.
La fonte des glaces en Arctique est-elle inéluctable ?
On est rentré dans une dynamique où effectivement, on a de moins en moins de glace de mer, une glace de mer qui est plus fine, plus jeune, et ça, c’est lié à l’augmentation des températures qui se fait à un taux 2,4 fois supérieur au taux de réchauffement global. Par exemple, on a un réchauffement de l’ordre de 3 degrés de plus dans l’Arctique, à l’heure actuelle par rapport à avant les années 2000, ce qui est très important. On est rentré dans cette dynamique : on parle de rétroaction positive, ou plutôt un cercle vicieux, le fait qu’on ait de moins en moins de glace de mer. On va avoir une capacité d’absorption de la chaleur de plus en plus importante donc la mer va se réchauffer, donc il va y avoir des fontes encore plus importantes de la glace, etc. A cela s’ajoute une préoccupation très importante pour ce qui concerne le pergélisol, qui correspond à la partie des sols gelés. On assiste au dégel d’une partie de ce pergélisol. Ce pergélisol est très riche en matières organiques, lors de sa fonte, il va relâcher du CO2 et du méthane qui sont des gaz à effet de serre et qui vont contribuer au réchauffement.
Y a-t-il un risque de réaction en chaîne ?
Dans le système climatique, il a cinq composantes : l’atmosphère, l’océan, la cryosphère (glaces et neige), la biosphère (le vivant) et l’hydrosphère (les eaux douces). L’ensemble de ces composantes, elles sont intrinsèquement liées. C’est l’ensemble des interactions entre les différentes composantes de ce système climatique qui sont des boucles de rétroaction. Le fait que l’océan va réagir avec l’atmosphère, quand l’eau est froide, elle va avoir tendance à absorber beaucoup plus facilement le gaz carbonique de l’atmosphère. Si on réchauffe l’atmosphère, on va du coup diminuer l’absorption du CO2 par l’océan donc là on rentre dans une autre boucle d’interaction entre océan et atmosphère qui va dans le mauvais sens.
A-t-on atteint le point de non-retour ?
Aujourd’hui, on est difficilement en mesure d’établir si on a dépassé ou pas ce point critique. On a l’appréhension que c’est le cas au niveau de la région arctique, dans la mesure où on assiste à une accélération de certains phénomènes qui n’étaient pas observables jusque-là. La stabilité de l’Amazonie en particulier qui est restée longtemps le poumon vert de la planète mais qui est tristement mise en danger est également un point critique. On risque de dépasser le seuil de recouvrement, c’est-à-dire la manière dont la forêt peut se reconstituer et contribuer à absorber le CO2 atmosphérique en tant que poumon vert de la planète.
Peut-on vraiment inverser la tendance dans les 10 prochaines années ?
Sachant qu’on connaît les solutions à mettre en œuvre qui impliquent un changement drastique de production d’énergie, on peut les mettre en place rapidement. On a les moyens techniques. Ils existent, il suffit maintenant d’une vraie volonté politique pour les mettre en œuvre activement à grande échelle et au niveau international.
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