Culture Maison. Arnaud Laporte, producteur de La Dispute, vous invite à regarder la mise en scène de Clément Hervieu-Léger, interprétée par une troupe du Français en grande forme. Ce "Misanthrope" interroge les fondements mêmes de la vie en société et pourrait s’avérer un vade mecum utile pour le monde d’après.
Le Misanthrope mis en scène par Clément Hervieu-Léger et interprété par la troupe de la Comédie-Française sera diffusé ce dimanche 19 avril à 20h50 sur France 5, l'occasion d'admirer notamment le jeu totalement bouleversant de la grande Florence Viala.
Une dispute en ouverture
Le Misanthrope est une comédie de Molière en cinq actes et en vers représentée pour la première fois en 1666. Son sous-titre "ou l'Atrabilaire amoureux", qui ne figure que dans la mention manuscrite du privilège accordé le 21 décembre à Molière pour l'impression de sa pièce, est pourtant un éclairage tout à fait pertinent pour sa lecture.
Rappelons qu’Alceste, qui hait l'humanité dans son ensemble, aime pourtant Célimène, femme coquette et médisante. Il va tenter de l’amener dans ce qu’il considère être le droit chemin. Mais il a bien des rivaux, car nombre d’homme soupirent auprès de Célimène, alors que lui-même est aimé d'Arsinoé et d'Éliante.
Molière ne s’encombre pas de scènes d’exposition, et dès les premières répliques, tout l’enjeu de la pièce est là, qui voit Alceste le radical affronter Philinte le modéré.
Si le premier semble défendre la sincérité en tous domaines, en tous moments, le second se pose en avocat d’une plus grande plasticité de l’expression publique, ce qu’Alceste dénonce comme de l’hypocrisie.
La grande force de cette scène d’ouverture, c’est donc de poser les enjeux vertigineux de la controverse, car nous ne cesserons, depuis notre fauteuil de spectateur, de donner raison à l’un, puis à l’autre, puis à nouveau à l’un, puis à nouveau à l’autre, et devrons, au bout du compte, comprendre que définir lequel des deux hommes a raison est impossible. La question serait plutôt : comment serait-il possible, dans notre monde apparemment civilisé, de ne pas être par moment Alceste, et par moment Philinte, et souvent les deux en même temps ? Cela, Alceste ne le comprendra pas, car il estime, tout au long de la pièce, que le problème, c’est l’autre, alors qu’il n’a plus grand ennemi que lui-même, et que seul il se conduira à sa perte.
Parler, c’est survivre
Le dilemme d’Alceste réside en Célimène, qui est à la fois tout ce qu’il déteste et la personne qu’il aime plus que tout. Ainsi, la pièce ressemble fort à une expérience à la Marivaux, un laboratoire dans lequel on observerait les actions et les interactions des cobayes, qui n’auraient d’autre ressource que de parler, et parler encore.
Comme le disait d’ailleurs justement le metteur en scène Jean-François Sivadier, qui a lui aussi livré une vision très incisive de cette pièce : "Dans Le Misanthrope, parler c'est survivre". Alors, ils vont parler, ces personnages de Molière, parler jusqu’à s’étourdir, jusqu’à nous étourdir aussi, puisque nous sommes également sensibles à des arguments qui semblent opposés. C’est le plaisir du spectateur, mais c’est aussi son trouble. Alceste a l’air d’un fou, imprévisible et ingérable, et ce faisant, Le Misanthrope prend des airs de thriller, incapables que nous sommes d’imaginer le prochain coup, la prochaine pique, le prochain revirement de situation.
Réalisée par Don Kent, cette captation nous permet d’apprécier au mieux la scénographie d’Eric Ruf, qui plonge les protagonistes dans un entre-deux, un espace indéfini entre deux escaliers, entre deux saisons, comme si la maison était abandonnée, ou qu’elle attendait de retrouver son faste d’autrefois. Dans les premiers instants du spectacle, Alceste (Loïc Corbery) déambule dans cet espace gris, mais ses pensées, elles, semblent noires. Se souvient-il des joutes qui se sont tenues dans ce lieu ? La pièce ne sera-t-elle qu’un long flash-back, et Alceste ne serait-il pas arrivé dans ce désert où il clame se retirer ? Le temps s’étire, la nuit tombe, et voici qu’entre Philinte (Eric Genovese) tout aussi silencieux et la mine tout aussi sombre. Les premiers mots viendront enfin, avec cette dispute entre les deux hommes qui donne le ton du spectacle.
Florence Viala for ever
Si Loïc Corbery débute la représentation d’une humeur massacrante, qu’il maintiendra tout du long, trépignant tel un possédé devant ce qui se dit et faisant souvent monter les décibels dans le rouge, Eric Genovese campe un Philinte doux et gentiment moqueur, tout en subtilités. Célimène nous apparaît sous les traits charmants d’Adeline d’Hermy, dont le naturel piquant convient à ravir à ce rôle plus trouble qu’il n’y parait, comme on le verra au fur et à mesure de la pièce.
Il faut féliciter l’ensemble de la distribution, d’égale qualité pour porter au plus haut, au plus juste, tous les multiples sens des vers de Molière. Mais je voudrais conclure en soulignant le talent si précieux de Florence Viala, qui fait le bonheur des spectateurs du Français depuis maintes saisons, mais que l’on ne voit guère en dehors des murs de l’institution.
Cette diffusion télévisée est donc une merveilleuse occasion pour mettre en lumière son art si consommé de la nuance, l’élégance de son jeu en toutes circonstances, en tous rôles.
Ici en Arsinoé, elle n'apparaît qu’après une bonne heure de représentation. Cette entrée rebat les cartes, et sa façon de pousser Célimène dans ses retranchements, disant une chose et faisant comprendre qu’elle pense le contraire, est du très grand art.
Florence Viala fait respirer les vers, et c’est un naturel très ouvragé qui permet ainsi de les rendre aussi proches, aussi purs, aussi simples. Avec Adeline d’Hermy pour partenaire de jeu, les deux femmes feraient presque passer au second plan le duo Alceste-Philinte.
À l’heure de la distanciation sociale, se souvenir de la violence des rapports sociaux n’est peut-être pas inutile, car prenez garde, ce Misanthrope crépusculaire semble annoncer des lendemains qui déchantent.
Le Misanthrope est également disponible en DVD : https://boutique-comedie-francaise.fr/dvd/1029-moliere-dvd-le-misanthrope.html
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