
Antisèche. Pour réformer la SNCF le gouvernement aura recours aux ordonnances si les négociations n'aboutissent pas. 5 questions pour comprendre ce que cela implique.
Le Premier ministre Edouard Philippe a confirmé ce lundi 26 février le souhait du gouvernement de mener la réforme de la SNCF par ordonnances si jamais la concertation n'aboutissait pas. Recourir aux ordonnances, qu'est-ce que cela implique et quelles sont les étapes prévues ?
1) Légiférer par ordonnance, à quoi ça sert ?
Le Premier ministre a expliqué vouloir adopter la réforme de la SNCF "avant l'été". Le faire via des ordonnances permet au gouvernement de légiférer en raccourcissant le débat au Parlement. La procédure habituelle consiste à soumettre un projet de loi à l’Assemblée nationale et au Sénat, qui discutent et amendent le texte. Pour faire l'économie de cette étape, le gouvernement peut avoir recours à la procédure accélérée - c’est-à-dire une seule lecture par Chambre. Mais aussi à l’article 38 de la Constitution. Ce dernier donne au gouvernement la possibilité de faire passer ses réformes par ordonnance, c’est-à-dire de se passer du vote du Parlement pour légiférer dans les domaines qui relèvent de la loi. En pratique, avec une ordonnance, le Parlement délègue son pouvoir de légiférer au gouvernement.
2) Est-ce donner tout pouvoir au gouvernement ?
Non. Avec les ordonnances, le Parlement est pour un temps dépossédé de son pouvoir législatif. Mais cela ne donne pas pour autant tout pouvoir au gouvernement : il existe un certain nombre d’étapes à respecter.
- Une loi d’habilitation. Pour légiférer par ordonnances, le gouvernement a besoin de l’autorisation des Assemblées. Les parlementaires votent pour cela une "loi d’habilitation". C’est avec ce texte qu’ils délèguent leur pouvoir dans un domaine précis et pour une durée limitée. C'est donc différent du recours au 49.3 qui permet de faire adopter un texte que les députés refusent par la procédure normale. Cette fois, le projet de loi d'habilitation pourrait être présentée au Parlement mi-mars a annoncé le Premier ministre Edouard Philippe
- Passage par le Conseil d’Etat. La loi d'habilitation comme les projets d’ordonnances passent par un avis public du conseil d’État.
- La ratification. L’ordonnance doit être expressément ratifiée par le Parlement. - Le Président a seulement le droit de signer ou non l’entrée en vigueur. Surtout de les bloquer. Une situation qui peut se présenter en cas de cohabitation.
3) Réformer par ordonnances est-ce que ça va plus vite ?
Cette fois encore, l'exécutif met en avant "l'urgence" de la réforme et la nécessité d'aller vite. Or la réforme du code du travail montre la rapidité toute relative du recours aux ordonnances. Dans ce dernier cas, la loi d'habilitation a été votée en août 2017, mais suivre toutes les étapes listées ci-dessus prend du temps. Et seule la ratification donne aux textes une effectivité juridique. Or celle-ci n'a eu lieu au Sénat que six mois plus tard, mi- février 2018. En revanche, avec les ordonnances, le processus est moins visible et il occupe moins l'actualité. Car ce ne sont pas de longues heures de débats au Parlement, ni des centaines d'amendements discutés.
4) Quels sont les précédents ?
L'exemple le plus récent, ce sont bien sûr les cinq ordonnances adoptées l'automne dernier pour assouplir le droit du travail. Elles contiennent entre autres la fusion des instances représentatives du personnel, le plafonnement des indemnités prud'homales, la possibilité de ruptures conventionnelles collectives et la réduction des délais de recours après licenciement. Auparavant, un certain nombre de réformes importantes avaient déjà été conduites avec cette procédure. En 1967, c'est par ordonnance que le Général de Gaulle crée l’ANPE. De la même manière, en 1982, François Mitterrand instaure la cinquième semaine de congés payés et la semaine de 39 heures. Ces dernières années, le recours aux ordonnances est devenu fréquent. Comme le souligne un rapport du Sénat sur le sujet, la tendance est à une forte hausse depuis l'année 2000 : entre 2004 et 2013, 357 ordonnances ont été publiées. Les premiers sujets de prédilection pour recourir aux ordonnances étaient l'actualisation du droit applicable outre-mer, la transposition de textes européens et la codification. Depuis 2003, les thèmes s'élargissent.
5) Pour la SNCF, sur quoi pourraient porter les ordonnances ?
Préconisant "plus d'efficacité et de souplesse à la SNCF", le Premier ministre juge nécessaire de réorganiser le groupe public, en s'inspirant du récent rapport de Jean-Cyril Spinetta sur l'avenir du système ferroviaire français.
La ministre des Transports Elisabeth Borne a annoncé deux mois de concertation, en mars et avril, pour préciser le contenu de la réforme, notamment sur l'organisation de la SNCF, l'ouverture à la concurrence et la réforme du statut de cheminot. L'idée d'Edouard Philippe, reprenant une proposition du rapport Spinetta est que les cheminots déjà embauchés à la SNCF, conservent leur statut. En revanche, les futurs embauchés, à partir d'une date soumise à concertation « bénéficieront des conditions de travail de tous les Français : celles du Code du travail». Alors que les syndicats ont unanimement condamné cette annonce, Edouard Philippe dit vouloir réduire "le contenu des ordonnances aux seuls aspects techniques".