Régionalisation, protectionnisme, relocalisation : la fin de la mondialisation ?
Par Camille Renard
Cartes. Protectionnisme américain, baisse des échanges commerciaux, relocalisation de la production : trois cartes permettent d'envisager les signes d'une démondialisation économique et financière, structurelle depuis la crise de 2008.
La mondialisation se définit selon cinq composantes : le commerce international, les investissements directs étrangers, la finance (les capitaux à court terme), la connaissance (les brevets), et les migrations internationales. Toutes ces composantes ne sont pas en reflux, bien au contraire - les migrations internationales n'ont jamais été aussi importantes par exemple. Mais le ralentissement du commerce international, les relocalisations d'entreprises, et les annonces du président des Etats-Unis, puissance jusqu'ici leader du système multilatéral, questionnent l'avenir de la mondialisation.
1- Plus de protectionnisme américain ?

America first : dès sa campagne électorale, Donald Trump dénonçait les dégâts de l'orthodoxie libre-échangiste et laissait entrevoir une politique économique farouchement protectionnisme. Ses premières annonces continuent à aller dans ce sens :
- Retrait de l'Accord de partenariat Transpacifique (TPP) : Cet accord de libre-échange, ratifié par Barack Obama en 2016, liait le continent américain à l’Asie-Pacifique, à l’exception de la Chine. Donald Trump s'en est retiré le 23 janvier.
- Renégociation de l'Aléna : S’il ne parvient pas à le renégocier, Donald Trump a annoncé qu'il se retirerait également de l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna), qualifié de "pire traité commercial jamais signé”. Il a été à l'origine signé en 1994 par le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.
- Hausse des barrières douanières avec le Mexique et avec la Chine : Donald Trump a promis d'engager une procédure contre Pékin pour manipulation du taux de change. Il a aussi dit vouloir soumettre les produits “made in China” à des droits compensatoires de 45 %. Tandis que les produits mexicains seraient quant à eux taxés entre 20% et 35%, notamment pour financer le mur prévu à la frontière. Ces menaces semblent pourtant irréalisables tant elles imposeraient un coût prohibitif aux entreprises américaines.
Cette rhétorique anti-mondialisation du président ne peut pour autant laisser penser à une politique stratégiquement protectionniste. L'économiste El-Mouhoub Mouhoud met ainsi en garde au micro de Florian Delorme dans CulturesMonde contre une interprétation qui ferait des propos du président des Etats-Unis une politique cohérente : des "décisions tous azimuts, un mercantilisme d'une nouvelle forme, déstabilisant et dangereux". Constituée notamment d'anciens membres de Goldman Sachs, la nouvelle administration, tout voulant réglementer le commerce international, continue à chercher à déréguler la finance. Mais une tendance à des réflexes protectionnistes se fait sentir à l'échelle du globe : l'Organisation mondiale du commerce (OMC) dénombre en effet plus de 3 000 mesures restreignant le commerce depuis 2008, dont plus de 2 200 seraient encore en vigueur.
A ECOUTER " Le retour des murs 3/4 Le grand retour des barrières douanières", CulturesMonde et " Traités, échanges mondiaux : le grand remue-ménage", L'économie en questions.
2- Relocalisations, re-régionalisations d'entreprises

De Taïwan à la Haute-Savoie, Rossignol est l'une des 92 entreprises à avoir re-localisé depuis 2008 une partie de sa production sur le sol français. Depuis la crise des subprimes, aux Etats-Unis aussi, le coût salarial unitaire a augmenté, la robotisation s'est accélérée et le coût de l'énergie a baissé grâce au gaz de schiste. Tous ces paramètres conjoints, les re-localisations d'entreprises dont la production avait été délocalisées en Asie du Sud Est, en Chine ou en Afrique du Nord ont augmenté.
Deux raisons à cette tendance de relocalisations : d'abord, la hausse des coûts de transports, en particulier pour les entreprises pondéreuses, gourmandes en coûts de transports, comme l'industrie automobile. Ensuite, les coûts salariaux unitaires dans les pays du Sud, qui augmentent. Cela grève la compétitivité des entreprises qui s’étaient délocalisées. En 2008, le coût salarial unitaire d'un ouvrier chinois représentait 30% d'un ouvrier américain. Il représente aujourd'hui 80%. Cependant, ces relocalisations restent minoritaires. On compterait en moyenne un cas de relocalisation pour vingt cas de délocalisation, et dans la plupart des phénomènes observés en Amérique et en Europe, il s'agit davantage d'une re-régionalisation (entreprises américaines se relocalisant au Mexique par exemple), plus près des marchés, mais pas forcément dans l'espace national.
3- La stagnation du commerce mondial

Selon plusieurs études du centre de recherche français dans le domaine de l'économie internationale (CEPII), le commerce mondial ralentit : "au cours des quinze années qui avaient précédé la crise (1993-2007), le commerce mondial de biens et services avait cru à un rythme annuel moyen de 7,2%. Entre 2012 et 2015 en moyenne, le commerce ne croissait plus qu'à un rythme de 3,3% l'an lit-on sous la plume de l'économiste Sébastien Jean dans une note à paraître pour la fondation Robert-Schuman. Les tout derniers chiffres de 2016 laissent entrevoir une baisse encore plus nette. Ce ralentissement ne serait pas cyclique, conjoncturel, mais consisterait en une rupture structurelle de la mondialisation des échanges commerciaux. Deux principales raisons à ce ralentissement : le recentrement de la première puissance commerciale - la Chine - sur son marché intérieur. Le second est lié aux raisons de la tendance à la relocalisation des entreprises : l'épuisement de la division internationale du travail, car la décomposition de la production entre plusieurs pays régresse.
Cet indéniable ralentissement du commerce mondial, concomitant de celui des échanges interbancaires (réduits d'un tiers entre 2008 et 2016), ne doit pas faire oublier une poursuite de la mondialisation dans ses autres aspects. Comme le rappelle l'économiste El-Mouhoub Mouhoud, les inégalités dues à la globalisation de la finance et de l'économie continuent à augmenter, et ne touchent plus seulement les ouvriers les moins qualifiés. L'"hyper-mondialisation" telle que nous la connaissions se recompose, les entreprises mondiales se redéploient, la rhétorique protectionniste est clamée haut et fort, mais les effets de la globalisation continuent de s'approfondir.
A ECOUTER " Vers une "dé-mondialisation heureuse"? 1/4 Déclin du commerce mondial : la (dé)mondialisation en question", CulturesMonde