Règles du CSA pour les élections européennes : "On peste mais on respecte"

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Règles du CSA pour les élections européennes : "On peste mais on respecte"

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Le 4 avril, douze candidats ont participé au débat organisé par France 2 et France Inter, contre neuf initialement prévus.
Le 4 avril, douze candidats ont participé au débat organisé par France 2 et France Inter, contre neuf initialement prévus.
© AFP - BERTRAND GUAY / AFP

Les candidats aux européennes peuvent déposer officiellement leur liste à partir d'aujourd'hui jusqu'au 3 mai. Mais la règle d'équité des temps de parole imposée par le CSA est entrée en vigueur depuis le 15 avril, avec des règles synonymes de casse-tête pour les chaînes.

A partir d'aujourd'hui et jusqu'au 3 mai, les candidats aux élections européennes peuvent déposer officiellement leur liste. En attendant que les candidatures soient officiellement déposées, le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit composer avec les candidats "supposés ou déclarés", selon les mots de Michèle Léridon, présidente du groupe de travail droits et libertés, pluralisme et déontologie au CSA. Car depuis le 15 avril, le casse-tête a commencé pour les chaînes de radio et télévision. En plus des règles du pluralisme politique, elles doivent désormais respecter celles de l'équité du temps de parole entre les différentes listes candidates. Des décomptes complexes sous l'égide du Conseil supérieur de l'audiovisuel, entre garantie du pluralisme et liberté éditoriale.

Alors que les réseaux sociaux prennent une place toujours plus importante dans une campagne électorale, Michèle Léridon assure que “les plateformes audiovisuelles restent importantes pour les formations politiques, elles sont très attentives”. En témoignent les recours de plusieurs candidats non conviés au débat organisé par France 2 et France Inter le 4 avril dernier.

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Le pluralisme politique, même en dehors des élections

Même en dehors d’une période électorale, le CSA impose des règles de pluralisme aux chaînes de radio et télévision. Ces règles s’appuient sur la délibération du CSA datant du 22 novembre 2017, entrée en vigueur le 1er janvier 2018. 

En temps normal, l’exécutif dispose d’un tiers du temps de parole. Cela comprend le président de la République, ses collaborateurs et les membres du gouvernement. Mais attention : le temps de parole du Président n’est comptabilisé que lorsque son intervention concerne le débat national. Par exemple, ses prises de parole en rapport avec des réformes ou le mouvement des “gilets jaunes” sont prises en compte. A l’inverse, ses interventions en tant que chef de l'Etat, exerçant ses fonctions régaliennes, ne le sont pas (comme des prises de paroles à la suite d’attentats ou de l’incendie de Notre-Dame par exemple). 

Les deux tiers de temps de parole restants sont répartis entre les autres partis et mouvements politiques, de manière équitable. Cette répartition s’appuie, d’après le site du CSA, sur “les résultats des consultations électorales, le nombre et les catégories d’élus, l’importance des groupes parlementaires ou les indications de sondages d’opinion. La contribution des formations politiques à l’animation du débat politique est également prise en compte.” 

Les chaînes sont tenues d’envoyer leurs décomptes chaque mois au CSA, qui dresse un bilan trimestriel. 

L'équité, règle d'or de la campagne

En période électorale, les règles imposées par le CSA sont nettement plus strictes. Elles sont issues de la délibération du 4 janvier 2011. Le principe du pluralisme se double de celui de l’équité, même si la règle du pluralisme continue de s’appliquer pour les sujets ne relevant pas des élections européennes. 

Par conséquent, pour les sujets en rapport avec le scrutin, le temps de parole est réparti de façon équitable en fonction de la représentativité des candidats (à l’aune de leurs résultats aux dernières élections ou de l’ensemble des sondages) et de leur “capacité à animer la campagne”, précise Michèle Léridon.

Concernant la prise de parole du Président, toutes ses interventions en rapport avec les élections européennes sont décomptées du temps de parole de la liste de la majorité. Pour compenser, les autres listes bénéficient d’un accès équitable à l’antenne.  

Chaque décompte se fait à la seconde près précise Michèle Léridon, et ce souvent au sein d’une même intervention. Par exemple, une intervention d’Emmanuel Macron peut être divisée en trois décomptes distincts : les sujets régaliens, les sujets en rapport avec le débat national et les sujets en rapport avec les élections européennes. Les premiers ne sont pas pris en compte, les deuxièmes sont soumis à la règle du pluralisme en temps normal et les troisièmes aux règles en vigueur en période de scrutin. 

Un relevé hebdomadaire des temps de parole

La cadence des relevés est aussi beaucoup plus élevée : chaque média audiovisuel est tenu d’envoyer son décompte chaque semaine au CSA. “Ça veut dire concrètement que tous les lundis, jusqu’à la dernière semaine du scrutin, les chaînes doivent nous envoyer leurs décomptes, détaille Michèle Léridon_. Puis les services dédiés du CSA les analysent, les vérifient en groupe de travail le mardi et dès le mercredi, en collège avec tous les conseillers, on vérifie qu’il n’y a pas de manquement_.” 

Mais les chaînes ne sont pas tenues d’avoir une parfaite équité chaque semaine : “certaines n’ont qu’une ou deux émissions politiques par semaine” précise Michèle Léridon, ce qui rend difficilement atteignable l’équité parfaite. “L’équité va s’apprécier sur les six semaines, mais si on attendait la fin des six semaines pour réagir il serait trop tard”, d’où l’importance du relevé hebdomadaire. L’idée est de vérifier “qu’un déséquilibre ne s’installe pas chaque semaine”.  

Sont concernées pas moins de 28 chaînes

  • 19 chaînes de télévision : BFMTV, France Info, CNews, LCI, TF1, France 2, France 3 (national), France 5, Canal + (en clair), M6, C8, TMC, RMC Découverte, RMC Story, France 24, Euronews, TV5-Monde, RFI et RT France.
  • 10 radios : France Inter, France Info, France Culture, RTL, Europe 1, RMC, BFM Business, Radio classique et Sud Radio.
  • Concernant les autres éditeurs et notamment locaux, ils doivent transmettre au CSA tous les éléments relatifs aux temps de parole des candidats et de leurs soutiens.

Le travail de comptage est donc titanesque pour les chaînes, mais Michèle Léridon souligne “l’importance d’avoir des comptes précis, pour sortir du ressenti des uns et des autres, et objectiver le débat”. Si bien que la plupart font appel à un cabinet extérieur qui recense toutes les interventions politiques d’une radio ou chaîne de télévision, Yacast, avant de transmettre le décompte au CSA. 

A tous ces calculs minutieux, s’ajoute la classique période de réserve : la campagne cesse totalement la veille du scrutin à minuit pile. Cette période varie selon les pays : la plupart des pays européens votent le weekend, mais certains peuvent aussi voter le jeudi ou le vendredi. Par ailleurs, l’Outre-mer vote habituellement le samedi. 

Le jour du scrutin, aucun résultat officiel ne peut être publié avant dimanche soir à 23 heures, heure de la fermeture des bureaux de vote en Italie, la plus tardive de l’Union européenne. A partir de 20 heures, des estimations et des sondages peuvent être publiés, même s’ils fuitent souvent sur les réseaux sociaux plusieurs minutes avant.  

Préserver la liberté éditoriale

Toutes ces règles témoignent de l’équilibre précaire entre la protection du pluralisme politique et le respect de la liberté éditoriale des médias. Le président du CSA, Roch-Olivier Maistre, souligne que “le respect des règles de pluralisme doit se concilier avec la liberté éditoriale qui appartient aux rédactions”. Autrement dit, “le CSA ne peut pas forcer une chaîne à inviter telle ou telle personnalité”, ce qui serait “très dangereux” selon Michèle Léridon. Il “juge du pluralisme”, même si les protestations des candidats sont fréquentes.

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D’où la décision du Conseil d’Etat à propos du débat organisée par France 2 pour l’Emission politique. Les candidats Benoît Hamon (Génération.s), Florian Philippot (Les Patriotes) et François Asselineau (UPR), non conviés, avaient saisi le tribunal administratif en référé, qui leur avait dans un premier temps donné raison.  

Finalement, le Conseil d’Etat a donné raison à France Télévisions, d’autant que ce débat a eu lieu le 4 avril, soit avant l’entrée en vigueur des recommandations du CSA. La décision étant tombée le jour même, France 2 a maintenu l’invitation des trois candidats et un débat à douze. 

Il appartient à France Télévisions, dont la politique éditoriale est libre et indépendante, sous le contrôle du CSA, de concevoir et d'organiser des émissions participant au débat démocratique dans le respect d'un traitement équitable de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion.            
Conseil d'État, ordonnance du 4 avril 2019, France Télévisions.

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Pour Catherine Nayl, directrice de l’information à France Inter et invitée du Grain à moudre le 9 avril sur France Culture, il est “compliqué de faire exister le débat à douze”. Selon elle, les médias du service public doivent plus particulièrement avoir “une exigence de qualité, de rigueur, de pluralisme. Mais ça ne signifie pas mettre tout le monde dans une même pièce, ouvrir les micros et les laisser parler. Ça signifie organiser la parole.”  

Du Grain à moudre
39 min

Les chaînes sont donc libres d**’inviter qui elles veulent lors des débats électoraux**, tant qu’elles respectent le pluralisme sur la durée. Autrement dit, les candidats qui ne seraient pas conviés à un débat bénéficieraient d’un temps d’antenne à un autre moment (en étant invité le lendemain matin par exemple). Mais ce système n’est pas sans poser problème selon Alexis Lévrier, maître de conférences à l'Université de Reims et spécialiste de l'histoire de la presse et des médias, également invité du Grain à moudre le 9 avril : “Ces candidats ne sont pas présents pour le moment essentiel__, qui est la confrontation des candidats.

Il faut de toutes façons regarder l’ensemble des sondages et la représentativité pour apprécier. Mais c’est très difficile. On sait bien qu’il n’y a pas encore de cristallisation de ces élections donc à un moment donné, il faut faire une pondération, sur un ensemble de choses et pas seulement les sondages.            
Catherine Nayl, directrice de l'information à France Inter

Peu de pouvoir juridique

Le CSA est souvent perçu comme le “gendarme” de l’audiovisuel, alors qu’en réalité “il y a un dialogue permanent entre les éditeurs et le CSA” rappelle Roch-Olivier Maistre. Les sanctions sont possibles mais rares. En cas de manquement aux règles du pluralisme ou d’équité, le CSA commence par envoyer une lettre simple, puis une lettre ferme, qui n’ont pas de pouvoir juridique. Viennent ensuite la mise en demeure puis la sanction, uniquement en cas de répétition du motif de la mise en demeure. La sanction est souvent une amende, voire au maximum un retrait de fréquence (ce n’est jamais arrivé). Selon Agnès Granchet, chercheuse au Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (CARISM) et maître de conférence à l’université Paris II, “le CSA agit plus par la concertation que par la sanction”.

La presse écrite épargnée

En période électorale, les journaux et magazines ont une liberté éditoriale plus grande que l’audiovisuel. Ils peuvent même prendre position en faveur d’un candidat, puisque aucune instance ne régule les médias imprimés, au nom de la liberté de la presse régie par la seule loi de 1881. Selon Agnès Granchet, “la liberté de la presse est beaucoup plus ancienne que la liberté de communication audiovisuelle”, qui date de 1982. Après la fin de l’ORTF, la création du CSA se justifiait alors par “la nécessité de faire écran entre l’Etat et les médias audiovisuels”. De plus, contrairement à la presse écrite, une chaîne de radio ou de télévision besoin de l’autorisation préalable du CSA pour émettre sur une fréquence radio ou de la TNT.  

Agnès Granchet se dit néanmoins favorable à la création d’une instance de déontologie pour les journalistes : “Il me semble qu’en France, il y a beaucoup de droit parce qu’il n’y a pas assez de déontologie.” Selon la spécialiste, “le pluralisme serait mieux garanti par une instance de déontologie, qui tiendrait compte des contraintes des professionnels”. Selon le rapport 2019 de l'Observatoire de la déontologie de l'information, c’est le cas dans vingt pays de l'Union européenne, dont l’Allemagne, la Belgique ou le Royaume-Uni. 

Si vous regardez le classement de Reporters sans frontières, les pays nordiques sont beaucoup mieux classés que la France, et ils ont des instances de déontologie depuis longtemps”. Pourtant note Agnès Granchet, “il y a une réticence des professionnels”, car un conseil de presse est associé à “un ordre professionnel”, alors qu’il ne pourrait s'agir que d’une “démarche volontaire des médias”. 

Reste que les règles de l’équité et du pluralisme sont un vrai casse-tête pour les chaînes de l’audiovisuel. Mais Catherine Nayl assure être “pour les règles, même si on peste”.